Édition du 23 avril 2024

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Le Monde

Noël Mamère : « On ne sauvera pas le climat si on ne change pas le système »

La bonne nouvelle de la ratification de l’accord de Paris sur le climat par la Chine et les États-Unis ne peut dissiper les doutes sur son application, explique notre chroniqueur. En s’interdisant toute critique des énergies fossiles et du modèle économique dans lequel nous vivons, la COP21 a accouché d’une feuille de route « indigente ».

Tiré de Reporterre.

La ratification de l’accord de Paris sur le climat par la Chine et les États-Unis est une avancée que personne ne peut contester. Une bonne nouvelle est toujours bonne à prendre. Mais, même si cette ratification est entérinée avant la fin de l’année par 55 États, les interrogations sur la réalisation de l’accord subsisteront.

Si la Chine a ratifié l’accord, c’est qu’il ne l’engageait pas à grand-chose, sinon à éviter d’atteindre un pic de ses émissions de CO2 d’ici à 2030. Mais cette ratification revêt une importance politique majeure pour la Chine, puisqu’elle acte son rôle de leader mondial des énergies renouvelables ainsi que la baisse significative de sa production et de sa consommation de charbon, due en grande partie au ralentissement de sa croissance économique des dernières années.

Quant à la ratification par les États-Unis, elle n’est malheureusement qu’une promesse tant que le Congrès n’a pas donné son accord… On en est encore loin.

« Inverser la courbe du réchauffement » 

Il est donc permis de douter de la réalisation effective d‘un accord, qui a été un succès diplomatique pour la France, mais qui doit encore trouver sa traduction en « inversant la courbe du réchauffement », comme dirait François Hollande.

Première question à régler, celle du financement. Souvenons-nous que le protocole de Kyoto, adopté en 1997, n’a été mis en application que huit ans plus tard et qu’il n’avait pas été ratifié par les États-Unis ; le volet financement était gravement défaillant. En sera-t-il de même malgré ces deux ratifications de poids ? Le Fonds climat et les 100 milliards de dollars qui devraient l’abonder sont pour le moment des objets virtuels, au point que les pays du Sud peuvent légitimement se poser des questions sur l’engagement des pays du Nord ou de la Chine, interrogations d’autant plus légitimes qu’une véritable taxe sur les transactions financières, visant à financer l’adaptation au changement climatique, n’est toujours pas appliquée. Si le Fonds vert n’est pas abondé en permanence par des financements qui proviendraient de l’application du principe pollueur/payeur et de la lutte contre l’évasion fiscale, l’Accord de Paris sera mort-né.

Deuxième sujet d’inquiétude, les énergies fossiles. Quel calendrier a-t-on prévu pour la réduction de la production et de la consommation de ces énergies ? Aucun ! L’Accord de Paris n’a pas réussi à imposer un moratoire international sur toute nouvelle exploration d’énergies fossiles et a fait l’autruche sur l’exploitation existante. Or, c’est en mettant concrètement fin aux subventions publiques, directes et indirectes et aux prêts bancaires, aux acteurs du secteur des combustibles fossiles, que pourra s’engager une politique efficace de réduction des gaz à effet de serre.

Troisième question, celle de la souveraineté alimentaire. 70 % des cultures pourraient être affectées par le changement climatique. Si rien n’est fait, 600 millions de personnes supplémentaires souffriront de la faim d’ici à 2080. Ajoutons à cela l’accaparement des terres, accéléré par la demande accrue en agrocarburants, qui se substituent à la production de blé ou de maïs et qui participent ainsi de la crise alimentaire. Là encore, l’Accord de Paris est resté muet.

Refus de créer un « tribunal de la justice climatique »  

De surcroit, le mécanisme de sanctions de cette forme de criminalité écologique est défaillant, pour ne pas dire inexistant. Le refus de créer un « tribunal de la justice climatique », chargé, en particulier, d’appliquer des sanctions contre les États, entreprises ou individus qui ne respecteraient pas la charte commune, montre que le rapport entre l’OMC et la COP21 est inégal.

Les raisons de ces doutes légitimes sur l’application, même a minima, de la COP21, ont des racines connues. Le chaos climatique est une donnée structurelle, directement liée à la folie du mode de développement capitaliste, marqué par la voracité et la démesure. La globalisation économique et financière de ces deux dernières décennies a accéléré cette course à l’effondrement, dont les effets dépassent en ampleur tout ce qu’on nous avait prédit. Il est donc illusoire de vouloir sauver le climat sans rien toucher au système [1]. Or, les dirigeants des puissances réunies au Bourget voulaient le beurre et l’argent du beurre : ils s’obstinent à rechercher la croissance indéfinie de leur propre économie, qui ne peut se passer des ressources de la manne pétrolière… Tout en nous promettant de réduire leur production de gaz à effet de serre… Ce jeu de dupes continue, parce que les véritables solutions à la crise climatique entrent nécessairement en conflit avec le modèle économique dominant et l’idéologie qui le porte.

Tout le monde n’a pas intérêt à changer de système

Le réchauffement climatique est intimement lié à nos modes de vie, de production et de consommation. Or, ce qui a été traité dans l’Accord de Paris — la réduction des émissions de gaz à effet de serre — n’est que l’arbre qui cache la forêt. La méthode suivie n’était pas la bonne : parce que la COP21 ne s’est intéressée qu’aux conséquences du réchauffement mais pas à ses causes. Aucune critique des énergies fossiles n’ayant été admise, la feuille de route ne pouvait être qu’indigente. Elle a dû se contenter de reposer sur la communication du « plan climat » de chaque pays, à travers les « intentions de contributions nationalement déterminées ». Les négociations s’étant faites sur cette base, cela a permis à chaque État de laisser croire qu’il ferait quelque chose, sans s’engager sur rien en fin de compte.

En France aussi, l’Accord n’est pour le moment qu’un affichage politique. Après l’enterrement de la taxe poids lourd, la fermeture d’une partie des lignes de trains intercités et la libéralisation Macron prônant le tout-autocar, le gouvernement a renforcé la fracture territoriale entre des zones rurales, des territoires abandonnés et des métropoles toutes puissantes, sans se préoccuper de la lutte contre le dérèglement climatique. Face à cette réalité, la loi sur la transition énergétique n’est qu’un catalogue de principes hors-sol et sans effet. Quand on entend Manuel Valls nous dire que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes contribue à la lutte contre le dérèglement climatique, on voit bien que l’écologie est le dernier souci d’un pouvoir uniquement obsédé par sa survie.

Cette vision court-termiste est à l’image du reste : ils n’ont rien appris. Nous le savons, tout le monde n’a pas intérêt à changer de système. Pour « sauver le climat », il ne peut y avoir d’accommodement raisonnable avec des modes de développement productivistes et insoutenables.

Note

[1] Cf. Changeons le système, pas le climat (Flammarion), coécrit avec Patrick Farbiaz.

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