Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Palestine - L'assassinat d'un artiste engagé

Le metteur en scène judéo-arabe Juliano Mer-Khamis a été tué le 4 avril à Jénine. Ce crime a plongé dans la consternation les intellectuels de Ramallah. Samih Muhsen, un des membres influents du Syndicat des écrivains palestiniens, lui rend hommage.

"Un Israélien vivant dans le camp de Jénine a été abattu par des inconnus devant le théâtre de la Liberté." Quand j’ai reçu ce texto, en fin d’après-midi, le lundi 4 avril, je me suis demandé qui pouvait bien être cet Israélien qui vivait dans un camp de réfugiés palestiniens. J’ai pensé qu’il devait s’agir d’un militant anti-occupation, mais qu’il n’avait certainement pas choisi le camp comme lieu d’habitation, pas plus qu’il n’avait été adopté par les habitants. Une heure plus tard, je me suis rendu au rond-point Menara à Ramallah, où est organisé le sit-in de l’Alliance des jeunes du 15 mars.

C’est vers cet endroit qu’ont convergé, peu de temps après, des dizaines de personnes des deux sexes et de tous âges. Des amis de Juliano Mer-Khamis, des artistes et des intellectuels palestiniens qui avaient du mal à retenir leurs larmes tenaient une grande pancarte sur laquelle ils avaient écrit : "Qui a tué le metteur en scène du théâtre de la Liberté ?" Sur d’autres, on pouvait lire : "Nous demandons à l’Autorité palestinienne d’arrêter l’assassin", ou encore : "Non à la loi du silence !" C’est seulement là que j’ai su qui était la victime.

Malgré la proximité géographique entre Jénine et mon village de Naqoura, je n’avais jamais eu l’honneur de le rencontrer. En discutant avec les gens, j’ai appris qu’il était originaire de la ville de Nazareth et qu’il était le fils de Saliba Khamis, militant communiste palestinien de renom. Or il se trouve qu’en 1993 j’avais croisé Saliba Khamis lors d’une conférence à Nazareth. Pendant deux jours, je n’avais pas raté une occasion de l’écouter parler de la lutte du peuple palestinien.

Cela avait été la première fois de ma vie que j’avais rencontré une figure communiste palestinienne de ce niveau. C’est cela qui avait dû pousser Juliano à s’installer à Jénine et à vivre parmi ses habitants. Cela a dû être pour lui une manière de suivre la voie inaugurée par son père pour la défense de son peuple, ainsi que par sa mère, juive, dans la lutte contre l’occupation. [Arna Mer-Khamis, célèbre militante israélienne pour les droits de l’homme, avait choisi de vivre dans un camp de réfugiés palestiniens à Jénine jusqu’à sa mort, en 1994.]

L’un de ses amis m’a expliqué que cet artiste patriote, progressiste et internationaliste avait accompli un travail impressionnant en formant des jeunes du camp aux métiers du théâtre, notamment les plus marginalisés d’entre eux. Il avait réussi à transformer des vendeurs ambulants en acteurs professionnels. Le lendemain de sa mort, des dizaines d’artistes, écrivains, journalistes et intellectuels se sont réunis à nouveau sur ce même rond-point Menara pour dénoncer le crime, puis ont défilé devant le ministère de la Culture jusqu’au tombeau de l’ancien président Yasser Arafat.

Pour eux, l’assassinat de Juliano Mer-Khamis constitue une agression contre la culture nationale palestinienne tout entière. Comment la main de l’assassin, s’il est palestinien, n’a-t-elle pas refusé d’appuyer sur la détente plutôt que de tuer une des plus grandes figures parmi ceux qui nous permettent de rêver ? Quel drame, cette perte ! Quel être "humain" a bien pu commettre ce crime ?

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