Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Place Tiananmen : La sauvegarde de la mémoire du 4 juin, de 1989 à aujourd’hui

Il y a trente ans, un vaste mouvement démocratique a eu lieu à Pékin. Les populations du continent, de Hong Kong et d’outre-mer, ont toutes retenu leur souffle pendant qu’elles assistaient au développement du mouvement. Elles espéraient que ce mouvement apporterait enfin quelques changements à la dictature corrompue au pouvoir en Chine.

Tiré de Europe solidaire sans frontière.

Lorsque la fusillade a éclaté le 4 juin 1989, leur espoir était anéanti, mais les larmes et le sang versé sur la place Tiananmen n’ont jamais disparu de leur mémoire. Aujourd’hui encore, les habitant.es de Hong Kong pleurent encore les victimes.

Nous avons interviewé des travailleurs/euses de Hong Kong qui ont soutenu ce mouvement démocratique, pour comprendre les causes de leur participation à celui-ci, les souvenirs qu’ils/elles ont gardés précieusement, ainsi que la signification de ce mouvement démocratique pour eux/elles.

Syndicat hongkongais des salarié.es de la Poste (UPOE) : Une implication continue sous différentes formes

UPOE est composé de fonctionnaires. A Hong Kong, ce type de syndicat a plutôt tendance à être conservateur lorsqu’il s’agit de questions politiques.
Nous nous sommes entretenus avec Yung Sing-kwong qui était à l’époque secrétaire-adjoint de l’UPOE. A notre grande surprise, il nous a nous a raconté comment le syndicat s’est immédiatement intéressé au mouvement démocratique en cours sur le continent.

« Depuis le début du mouvement, sous la direction de son président de l’époque, Michael Siu, le syndicat a été très avant-gardiste. Influencé.es par les militants des droits démocratiques et sociaux Lau Chin-shek et Lee Cheuk-yan,(1) et étant donné que la Déclaration conjointe sino-britannique (concernant le processus de rétrocession de Hong Kong à la Chine) n’avait été signée que depuis cinq ans, les hongkongais.es étaient très préoccupé.es par leur avenir après la rétrocession, ainsi que par le climat politique en Chine continentale. Dans ce contexte, l’UPOE s’est beaucoup préoccupé de l’évolution du mouvement. Un de nos responsables, s’est même rendu à Pékin, pour soutenir les étudiant.es et les travailleurs/euses. »

« Après le massacre du 4 juin, l’UPOE a soutenu l’Alliance hongkongaise en soutien aux mouvements patriotiques démocratiques en Chine (ci-après dénommée l’Alliance) dans son appel à »la grève des travailleurs/euses et des étudiant.es« . Bien que le président de l’Alliance, Szeto Wah ait ensuite annulé l’appel a la grève, UPOE a organisé ses membres pour qu’ils/elles fassent grève une demi-journée, afin de rendre hommage aux victimes et apporter des fleurs au siège hongkongais de l’agence de presse du régime de Pékin, afin de montrer notre soutien au mouvement. L’UPOE est ensuite devenu membre de l’Alliance. »

À l’approche de la rétrocession de Hong Kong à la Chine (au 1er juillet 1997), certain.es membres d’UPOE ont commencé à s’inquiéter de l’adhésion du syndicat à l’Alliance et de son impact négatif potentiel. Comme en 1995, les Hongkongais.es étaient préoccupés par l’environnement politique après la rétrocession, ainsi que par les représailles qu’ils/elle pourraient subir.
Bien que l’UPOE ait continué à débattre avec ses membres pour apaiser leurs inquiétudes, les adhérent.es ont quand même décidé que le syndicat devait quitter l’Alliance.

Lorsque Yung Sing-kwong a mentionné cet épisode, il a fait preuve de nostalgie. Certains dirigeant.es de l’UPOE ont décidé de continuer à soutenir l’Alliance à titre personnel. En ce qui le concerne, Yung ing-kwong s’est porté volontaire pour participer à l’organisation de la « Veillée aux chandelles » annuelle, organisée par l’Alliance.

Honte à la centrale syndicale hongkongaise dépendant du régime de Pékin (HKFTU), qui a dans un premier temps condamné le massacre, puis ensuite pris la défense du régime meurtrier

Cheng Ching Ching-fat, est actuellement secrétaire du Syndicat général des travailleurs/euses des centres d’aide sociale et de santé.

Il avait dans le passé été un membre actif de la Fédération des syndicats de Hong Kong (FTU), qui dépend du régime de Pékin. Il y participait au travail de développement syndical. Lorsque le mouvement démocratique a éclaté, Cheng Ching Ching-fat en a suivi attentivement l’évolution en compagnie d’autres syndiqué.es.

« Nos membres suivaient les évènements et en discutaient depuis que les étudiant.es ont fait entendre leurs revendications à l’occasion des funérailles de Hu Yaobang.(2) Nous estimions également que la réforme économique en Chine avait entraîné de nombreux problèmes sociaux. »

Cheng Ching Ching-fat se souvient : « Quand le massacre du 4 juin a eu lieu, notre réaction et celle de la centrale FTU étaient similaires. Nous étions en colère et perplexes, nous pensions que le pouvoir de Pékin aurait pu mieux gérer la situation. » Le 6 juin 1989, la FTU a publié une déclaration dans le journal pour condamner la brutalité du gouvernement envers les manifestant.es.«  »Puis elle a changé de position en août ou septembre 1989. Le sommet de la FTU a prétendu que notre interprétation n’était pas correcte. Beaucoup de syndiqué.es, dont moi-même, étions surpris. En septembre 1989, le dirigeant Tam Yiu-Chung s’est rendu à Pékin. À son retour, il a organisé une réunion dans notre centre d’aide sociale et a déclaré que nous comprenions mal ce qui se passait. Il a prétendu que l’attitude du pouvoir chinois témoignait de la vitalité de l’État. Nous avons estimé que la FTU était en train de glisser vers le nationalisme."

Profondément contrarié, Cheng Ching Ching-fat avait alors publié une déclaration pour condamner la FTU, avec l’aide d’un autre militant syndical expérimenté. Il a été interviewé par le quotidien Singtao Daily, et est officiellement parti de la FTU. Il avait rejoint la FTU avec un grand idéalisme, et se sentait profondément déçu par son passage au nationalisme. Par la suite, Cheng a rejoint le mouvement syndical indépendant, et est devenu plus tard président de HKCTU.

Outre son travail syndical, Cheng Ching Ching-fat a également participé à des activités liées aux droits des travailleurs/euses de Chine. Il pense qu’il ne vivra peut-être pas assez longtemps pour assister à la réparation des évènements du 4 juin, mais comme les hongkongais.es ont encore la possibilité de s’exprimer, il estime que les hongkongais.es doivent le faire, non seulement pour les victimes du 4 juin, mais également pour d’autres préoccupations concernant les droits de la personne en Chine. Il est de la responsabilité morale des hongkongais.es de lutter en faveur de la justice pour les plus démuni.es. C’est pourquoi Cheng Ching Ching-fat participe chaque année à la manifestation du 4 juin ainsi qu’à la veillée aux chandelles pour montrer qu’il n’oubliera jamais les personnes les plus démuni.es en Chine.

De membre d’équipage de cabine d’avion à présidente de la centrale HKCTU, Carol Ng Paid rend hommage aux victimes

En tant que présidente actuelle de HKCTU, Carol Ng faisait en 1989 partie du personnel au sol de la compagnie aérienne Cathay Pacific. Elle s’était jointe à l’action « brassard noir » pour pleurer les victimes.

« J’étais nouvelle à Cathay Pacific. Mes autres collègues ont commencé à suivre le mouvement démocratique dès ses débuts en mai. A l’époque, nous disposions d’une pièce équipée d’une téléviseur à l’hôtel Regal. Nous y allions regarder les informations entre nos quarts de travail. Lorsque le gouvernement de Pékin a promulgué la loi martiale, nous avions presque ressenti la tension existant à Pékin. Quand nous avons vu dans les nouvelles en direct que les troupes étaient arrivées à Pékin et avaient commencé à tirer, certains collègues étaient très ému.es. »

Carol Ng Paid se souvient.

« Le lendemain, un ou deux superviseurs solidaires du mouvement ont mis un sac d’épingles et de tissus noirs à côté du téléviseur. Ils nous ont incité à mettre des brassards noirs, pour pleurer les victimes. Cette action a duré un certain temps, deux semaines plus tard, j’ai encore vu beaucoup de collègues porter des brassards noirs. »

A l’époque, Carol Ng Paid estimait que l’action du gouvernement chinois était inacceptable et qu’il devait y avoir de meilleurs moyens de traiter ce mouvement. Mais, à l’époque, elle ne connaissait pas la politique chinoise.

Par la suite, elle a travaillé pour British Airways et a eu l’occasion de se rendre à Pékin et de mieux connaître ses habitant.es. Elle est allée sur les lieux du massacre du 4 juin, pour rendre hommage aux victimes et « reconstituer » ces scènes dans son esprit.

« Un jour, j’ai demandé à un commerçant dont j’avais fait la connaissance s’il voulait parler du 4 juin, ou d’autres questions concernant le pouvoir en place. Il est devenu anxieux et m’a demandé de me taire. Je sentais les contraintes pesant sur les gens. »

Entre son passage à British Airways, et son accession à la présidence de HKCTU, Carol Ng Paid a acquis une meilleure compréhension de ces évènements, « les militant.es syndicaux/cales indépendant.es en Chine font face à toutes sortes d’oppressions. Aujourd’hui, le gouvernement de Hong Kong, en tant qu’homme de main de Pékin, renforce son contrôle et rend le militantisme syndical plus difficile », analyse-t-elle.

Garder vivant le souvenir du 4 juin ainsi que l’esprit de la démocratie

A Hong Kong, depuis le « mouvement des parapluies » de 2014 (3), beaucoup de jeunes se sentent vaincu.es et impuissant.es.
Pour surmonter cette dépression, Carol Ng Paid pense que l’esprit du mouvement démocratique pourrait nous guider.

"Trente ans après, le régime essaie toujours de se soustraire à ses responsabilités. Cela signifie que le gouvernement communiste a peur d’assumer ses responsabilités, peur des changements que cela pourrait impliquer.

Le mouvement démocratique en Chine ne s’est pas reconstitué depuis le coup porté en 1989, mais il y a toujours des gens en Chine et à Hong Kong fermement attachés à la lutte pour la justice. Ils servent de modèles.
Le « mouvement des parapluies » est né il y a seulement 4 ou 5 ans et nous avons encore un long chemin à parcourir. Nous devons continuer et ne jamais abandonner notre cap, tout comme celles et ceux qui continuent à se se battre pour que justice soit rendue aux victimes du 4 juin 1989. Ce n’est qu’avec de la persévérance que nous pourrons sortir de cette marée basse et changer les structures de la société ", a-t-elle ajouté.

Traduction et notes : Union syndicale Solidaires et Réseau syndical international de solidarité et de lutte

Notes

1. Lau Chin-shek https://en.wikipedia.org/wiki/Lau_Chin-shek et Lee Cheuk-yan https://en.wikipedia.org/wiki/Lee_Cheuk-yan ont par la suite fait partie des dirigeants centraux de la centrale HKCTU fondée en décembre 1989.

2. Yaobang est un dirigeant chinois limogé en janvier 1987, sous l’accusation de sympathie envers certaines idées démocratiques. Ses funérailles, en avril 1989, ont joué le rôle de déclencheur du mouvement qui a ensuite été écrasé dans le sang début juin.

3. Le « mouvement des parapluies » désigne une série de manifestations de masse ayant eu lieu à Hong Kong, à l’automne 2014, pour l’obtention des mesure démocratiques dans ce territoire. Ce nom lui a été donné parce que les manifestant.es utilisaient des parapluies pour se protéger des gaz lacrymogènes.
P.-S.

Article publié en anglais sur le site de HKCTU
http://en.hkctu.org.hk/content/protecting-june-fourth-memory-1989-now

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