Édition du 16 avril 2024

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Europe

Politiques féministes de résistance et de désobéissance en Espagne

Dans le cadre de notre campagne pour la défense du droit à l’avortement, nous publions ci-dessous des extraits d’un article de Begoña Zabala paru le 4 janvier dernier dans la revue Viento Sur. Une manière comme une autre de se rappeler que les attaques faites aux droits des femmes ici comme ailleurs vont en s’intensifiant. Raison de plus, en Suisse, pour Voter NON le 9 février 

Bien que son contenu ait été attendu et connu, l’avant-projet relatif «  aux droits du conçu et non-né  » présenté vendredi 20 décembre par le gouvernement du Parti populaire (PP) est un coup de massue pour les femmes en général et pour le mouvement féministe en particulier. Nous vivons sous un gouvernement de la droite la plus rétrograde et la plus ultraconservatrice. Le ministre de la Justice (ministère marié politiquement et idéologiquement à celui de l’Intérieur) est la pointe avancée des secteurs philo-franquistes et du catholicisme le plus intégriste.

Malgré tout, l’espoir d’un projet un peu moins néfaste subsistait. Le projet de loi est clair quant à la détérioration des droits des femmes et au recul qu’il suppose ; des situations plus restrictives qu’en 1985, lors de la première loi de dépénalisation partielle de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Une modification de ce calibre – entraînant la criminalisation et la pénalisation de plus de 100 000 interventions (beaucoup consistent à «  prendre une pastille  ») – s’effectue sans aucune analyse des faits et des situations, des causes pour lesquelles se produisent des IVG, des causes de grossesses non-désirées et des échecs. Aucune analyse, non plus, de la situation des personnes majoritairement concernées… Pourtant, ces données existent, le ministère de la Santé les publie chaque année.

Un projet ultraconservateur

Ce projet n’est pas présenté dans le cadre des politiques concernant la santé sexuelle et reproductive des femmes, il s’inscrit dans un cadre idéologique reflétant les valeurs particulières de l’intégrisme catholique. La preuve que ce projet émane de ce secteur de la société réside dans les appuis qu’il trouve de manière unanime et fervente  : le cardinal Rouco (président sortant de la Conférence épiscopale de l’Etat espagnol, NdR) et les secteurs autobaptisés «  pour la vie  » du foetus. Notons cependant que ce projet ne semble pas trouver l’assentiment de l’ensemble du PP, car des militant·e·s et des diri­geant·e·s connus de ce parti s’en sont démarqués ouvertement, en demandent le retrait, et, au cas où celui-ci serait soumis au Parlement, la liberté de conscience dans un vote à bulletins secrets. Certaines personnes proches de la politique européenne relèvent qu’avec ce projet l’Etat espagnol se sépare dangereusement de la majorité des législations européennes, démocratiques, inscrites dans les principes et les directives relatives aux droits sexuels et reproductifs, basées sur les normes internationales. Cela supposera pour les pays européens les plus proches que de nombreuses femmes viendront y faire pratiquer des IVG.

Un mouvement féministe très actif

Les réactions les plus intéressantes et les plus immédiates sont venues du mouvement féministe. Avec une détermination exemplaire, des centaines de mobilisations se sont déroulées dans tout l’État espagnol, dans les vingt-quatre heures qui ont suivi l’annonce gouvernementale. La rapidité de la réponse, un jour comme le 21 décembre, n’a laissé aucun siège du PP sans visite. L’appel du mouvement féministes a été appuyé par des milliers de personnes. Le climat d’indignation et de rejet était important. La contestation a été brutale. A nouveau, les points centraux du débat en matière de politique féministe apparaissent : droit à décider librement de son corps, avortement libre et gratuit dans les centres de santé public, maternité libre et désirée, ce sont les femmes qui décident.

Avec l’ensemble de ces consignes et de ces revendications, le mouvement est descendu dans la rue, avec l’appui de nombreux secteurs sociaux. Le droit des femmes à décider est devenu le premier point de l’agenda politique. L’engagement de milliers de jeunes femmes dans les organisations féministes et les mobilisations entraîne une forme intéressante de contestation et de protestation  : manifestations de rues audacieuses, ouvertes, divertissantes, musicales, radicales... Cela rend possible une participation très directe où les gens se rencontrent volontiers, en s’impliquant personnellement  : il s’agit de ton corps, de ta mobilité, de ta décision, de ton espace...

Toutes, mais surtout les plus jeunes, voient dans ce projet de loi une grave ingérence dans leur vie et dans leurs décisions les plus importantes. Des décisions qui sont un droit reconnu et garanti par l’État et les administrations publiques peuvent se transformer en conduites délictueuses et pénalisées, en plus sans garantie pour les femmes. Cela impliquera la mise en danger de la vie de milliers de femmes puisqu’il faudra revenir aux avortements clandestins. Celles qui ont davantage de ressources financières ou peuvent voyager plus facilement pourront décider d’interrompre une grossesse non désirées, alors que les femmes plus fragilisées par le système devront supporter des maternités imposées par d’autres volontés et sous d’autres dépendances.

Il n’existe aucune raison, hormis l’idéologie ultraconservatrice elle-même, pour que les femmes voient s’effondrer leurs possibilité de libre choix. Les mobilisations montrent l’ampleur du désaccord et de la contestation. Une fois de plus, le mouvement féministe se mobilisera pour résister. Une résistance déjà devenue désobéissance.

Begoña Zabala (membre du comité de rédaction de la revue Viento Sur)

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