Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Pologne : manif, « lundi noir » et grève des femmes pour défendre le droit à l'IVG

Après une manifestation samedi devant le Parlement, la Pologne s’apprête à connaître, lundi, sa première grève générale des femmes. Il s’agit de protester contre un projet de loi bannissant l’avortement, déjà très limité dans le pays, sous forte influence catholique.

« Lundi, je ne vais pas au travail, j’ai pris une journée libre, j’irai manifester contre ce projet. Trop c’est trop », dit à Libération Ola, 30 ans. Catholique et mère d’un garçon de 4 ans, elle voit l’avortement comme un mal mais se dit opposée à sa pénalisation. Elle n’a pas hésité à répondre à ces nombreux appels à la grève lancés sur Facebook : « Mettez-vous en noir, prenez une journée libre au travail. N‘allons pas au travail. Faisons grève. »

L’idée d’une grève des femmes a été lancée la semaine dernière par l’actrice Krystyna Janda, qui s’est inspirée d’un cas similaire en Islande, le 24 octobre 1975. Pour demander l’égalité, et surtout l’égalité des salaires, les femmes en Islande avaient arrêté de travailler et cessé les travaux domestiques. « J’ai décidé de me joindre à la grève des femmes », a écrit sur Facebook l’actrice – qu’on a pu voir dans certains films d’Andrzej Wajda, tels que l’Homme de marbre et l’Homme de fer.

Des milliers de Polonaises, de tous âges, ont décidé de débrayer dans le cadre de ce mouvement lancé après que le Parlement, dominé par les conservateurs de Droit et Justice (PiS), a décidé d’envoyer en commission un projet de loi bannissant totalement l’IVG dans le pays, à une exception près : si la vie de la femme enceinte est en danger immédiat.

Selon les propositions du comité Stop avortement, sous peine d’être punie, une femme violée devra mener sa grossesse à terme, tout comme une mineure enceinte après un acte de pédophilie ou encore une femme chez qui les médecins ont constaté une malformation grave du fœtus. Les propositions élaborées par Ordo Iuris, un think thank mis sur pied par des juristes pour défendre un ordre social basé sur les valeurs naturelles et la famille, prévoient jusqu’à cinq ans de prison pour les femmes et toute personne les ayant aidées à avorter.

« Nous sommmes ici pour arrêter les fanatiques de droite »

Selon la loi actuelle, ce n’est pas la femme qui est punie pour une IVG illégale mais le médecin qui pratique l’intervention. L’avortement est autorisé en cas de risque pour la vie ou la santé de la mère, grave pathologie irréversible chez l’embryon et en cas de grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste. A la même session, les députés du PiS, du mouvement antisystème Kukiz 15 et quelques députés de l’opposition ont décidé d’envoyer en commission une proposition de loi visant à limiter strictement la pratique de la fécondation in vitro. En revanche, ils ont rejeté d’emblée le projet d’une autre initiative citoyenne, Sauvons les femmes, demandant à libéraliser l’IVG.

Ces votes ont fait déborder le vase. Près de 10 000 personnes, 5 000 selon la police, se sont réunis samedi devant le parlement polonais sous le mot d’ordre « Fini, les blagues ! » à l’appel de Sauvons les femmes. « Les députés nous ont déclaré la guerre. A nous, à nos sœurs, nos mères, nos filles. Ils ont déclaré la guerre à toutes les femmes polonaises. Nous sommes ici pour leur dire "vous n’allez pas gagner cette guerre" », a lancé Agnieszka Dziemianowicz-Bak, responsable d’un nouveau parti de gauche, Razem, devant une foule de femmes, d’hommes, de tous les âges. Tous, comme elle, sont vêtus de noir. « Nous sommes ici pour arrêter les fanatiques de droite, pour dire qu’on ne permettra pas de nous imposer encore d’autres interdits. »

« On veut des médecins, pas des policiers »

Devant le Parlement, la foule scandait : « On veut des médecins et non des missionnaires », « Stop aux fanatiques au pouvoir ». Sur les pancartes on pouvait lire : « On a besoin de soins médicaux, non pas de ceux du Vatican », ou « On veut des médecins, pas des policiers ». Certains ont apporté des cintres en métal, qu’on utilisait autrefois pour faire des avortements clandestins. « On nous dit qu’on ne doit pas traiter du sujet de l’avortement dans la rue. Mais où doit-on en parler ? » a lancé Barbara Nowacka, féministe et politique de gauche, à l’initiative du mouvement Sauvons les femmes.

« Dans quelques mois, je vous demanderai votre aide pour réunir plus d’un million de signatures. Elles seront destinées non plus à ceux qui nous méprisent mais à ceux qui vont nous écoutent », a-t-elle ajouté, annonçant ainsi le lancement d’une collecte de signatures en faveur d’une initiative législative européenne assurant l’accès garanti à un avortement légal, à l’éducation sexuelle et à la contraception.

Les partisans d’un accès à l’avortement, même limité, chercheront de l’aide au Parlement européen, qui, déjà mercredi, à l’initiative du groupe Socialistes et démocrates, doit se pencher sur la situation des femmes en Pologne. De son côté, le PiS sait qu’il marche sur une corde raide. Ce parti – qui fait souvent référence aux valeurs chrétiennes et à l’Eglise catholique – est conscient que la bataille de l’avortement peut lui coûter cher. En effet, la majorité des Polonais se prononce pour le maintien de la loi actuelle, surnommée le « compromis abortif » ; et même l’épiscopat polonais, pourtant farouchement opposé à l’avortement, est défavorable à la pénalisation des femmes. Le vice-président de la Diète, la chambre basse du parlement, Adam Bielan (PiS), a tenté d’apaiser les tensions : « Ce projet n’est pas un projet préparé par un parti politique mais par un groupe de citoyens. C’est sûr qu’il n’entrera pas en vigueur dans la forme proposée », a-t-il déclaré aux médias samedi. Reste à savoir ce que les députés en garderont.

Maja Zoltowska

Journaliste pour le quotidien Libération (france).

Sur le même thème : Le mouvement des femmes dans le monde

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...