Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Pour une sortie de crise verte, sociale et démocratique

Solidaires dans la crise… et pour la suite des choses !

Par le comité exécutif du Conseil central du Montréal métropolitain — CSN (CCMM—CSN) [1]

Depuis maintenant plus de six mois, la population du Québec vit une crise sans précédent dans l’histoire récente. Cette crise sanitaire a précipité la venue d’une crise économique affectant l’ensemble des secteurs d’activité. L’insécurité touche une part importante de la population, nombre d’entreprises ont dû fermer leurs portes, sans que nous sachions précisément à quel moment cette situation difficile se résorbera. La crise accentue aussi les inégalités sociales, affectant plus particulièrement les femmes, les personnes occupant des emplois précaires, les populations d’origine immigrées ou racisées.

Durant la crise, les gouvernements ont dépensé (et continuent de dépenser) des milliards de dollars pour venir en aide aux personnes, aux commerces et aux industries, dans le but avoué d’éviter un effondrement de l’économie. Des programmes de soutien ont été mis en place afin de minimiser les effets de la pandémie, qui a provoqué un choc économique équivalent à celui de la crise de 1929. Or, depuis quelques mois déjà, les gouvernements et les milieux d’affaires réfléchissent à la sortie de crise et au « retour à la normale ».

Considérant le contexte néolibéral et affairiste qui détermine cette réflexion, nous avons tout à craindre que les mesures de « relance » économique n’entraînent un renforcement du système en place et un retour à l’austérité, qui sont pourtant, dans une large mesure, à l’origine de la situation dans laquelle nous sommes actuellement plongés.

Afin d’éviter qu’une telle chose s’avère, le CCMM—CSN souhaite diffuser des idées et orientations pour éviter que la sortie de crise ne renforce le néolibéralisme. Nous pensons que l’on doit plutôt saisir cette occasion pour repenser notre manière de produire, de travailler, de consommer et de nous organiser collectivement. Les vieilles recettes des quarante dernières années ont démontré encore une fois leur caractère nuisible et antisocial. Il est temps de passer à autre chose et de mettre en place des mesures de relance qui vont dans le sens de la protection de l’environnement, de la justice sociale et de la démocratie.

Ce n’est malheureusement pas ce qu’on peut comprendre des signaux qui ont été envoyés au cours des derniers mois par les gouvernements provincial et fédéral, qui nous indiquent plutôt que leur manière d’envisager la relance économique va à l’encontre des valeurs et principes qui sont les nôtres : subventions à des industries polluantes, gouvernement par décret, dépôt d’un projet de loi visant à accélérer les projets d’infrastructure au détriment des garde-fous environnementaux, refus du gouvernement du Québec d’octroyer un statut à l’ensemble des travailleurs et travailleuses de première ligne sans papier, etc. Cette manière d’envisager la relance économique fait fausse route et va largement à l’encontre des valeurs et principes qui sont les nôtres.Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de « retourner à la normale », mais bien de sortir du capitalisme pour de bon ! La prédation et l’exploitation des êtres humains et de la nature en vue du profit maximal ont fait leur temps : il faut profiter des changements imposés par [la crise pour passer définitivement à autre chose.

Une crise révélatrice

À plusieurs égards, la crise de la COVID-19 a mis en relief des problèmes que les organisations syndicales, communautaires et citoyennes dénoncent depuis des années, voire des décennies. Elle aura fait en sorte que de nombreuses personnes réalisent l’étendue des dommages causés par quatre décennies de néolibéralisme et d’individualisme outranciers. Si pour nous la démonstration des effets dramatiques du capitalisme n’est plus à faire depuis longtemps, la crise aura servi de révélateur pour celles et ceux qui n’avaient pas encore pris conscience du ravage néolibéral.

Avec la pandémie, les inégalités sociales sont apparues de manière particulièrement marquée. Les travailleuses et travailleurs pauvres, souvent des personnes racisées, n’ont pas vécu la crise de la même manière que les personnes plus privilégiées et ont subi de multiples difficultés, à différents niveaux : logement, accès aux soins de santé, impossibilité du télétravail, etc. Vivre le confinement dans un logement où l’on est déjà à l’étroit, avec des enfants à qui l’on doit faire la classe sans avoir accès à la technologie nécessaire parce qu’on n’en a pas les moyens, vient grandement compliquer une situation déjà difficile.

Ceci est particulièrement vrai pour les populations immigrantes ou racisées, notamment chez les femmes, qui constituent une part importante des personnes travaillant sur la ligne de front, entre autres dans le domaine de la santé et des services sociaux. Les pauvres habitant des logements souvent exigus, les personnes immigrantes ou racisées, ainsi que les personnes réfugiées, sans statut, promues au rang d’« anges gardiennes » ont été particulièrement exposées à des risques de contamination. Les quartiers qui ont connu les niveaux d’infection à la COVID-19 les plus élevés en font foi, Côte-Des-Neiges, Parc-Extension, Saint-Michel et Montréal-Nord étant des quartiers qui accueillent une forte proportion de travailleuses et travailleurs pauvres, immigrants ou racisés. Nous y voyons une manifestation du racisme systémique dénoncé de toutes parts ces derniers temps.

De même, les jeunes et les femmes ont été particulièrement affectés par la pandémie, ne serait-ce qu’au niveau des pertes d’emploi. [2] Ce sont aussi les professions traditionnellement occupées par les femmes qui se sont retrouvées au cœur de la lutte contre la pandémie. La pandémie aura ainsi mis de l’avant l’importance cruciale de certaines fonctions sociales dévalorisées dans le domaine des soins à la personne, des services, de l’entretien ménager, etc. Elle aura aussi fait réaliser à la population que les personnes qui y travaillent le font dans des conditions bien loin de correspondre au caractère essentiel de leur emploi.

Un réseau public affaibli

La crise a démontré de manière incontestable les conséquences dramatiques de la privatisation, des compressions budgétaires et du sous investissement dans les services publics, à commencer par les services de santé et services sociaux. Les mesures d’austérité mises en place durant les dernières décennies ont grandement affaibli le réseau et expliquent en grande partie l’incapacité de plusieurs milieux à lutter efficacement contre la pandémie ; pensons à la situation dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), qui donnent un exemple clair des effets néfastes d’une présence accrue du privé dans la prestation des soins. L’hécatombe au CHSLD Herron aura même poussé le premier ministre Legault à envisager la nationalisation de l’ensemble des CHSLD privés, rien de moins !

Dans le réseau de l’éducation, le sous financement chronique a eu pour conséquence de handicaper gravement la capacité des écoles publiques à prendre des mesures pour poursuivre l’enseignement dans le contexte du confinement, et plus largement de la pandémie. Si l’on y ajoute les nombreux changements d’orientation du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, tous les éléments étaient réunis pour que la désorganisation des établissements d’enseignement soit significative. Alors que les écoles privées se tournaient rapidement vers l’enseignement à distance, les écoles publiques, confrontées à un manque criant de ressources humaines et technologiques, peinaient à trouver des manières de reprendre leur mission dans le nouveau contexte. Combiné au vide politique laissé par l’application du projet de loi 40 [3] , ce déficit de ressources a laissé au dépourvu les élèves, leurs parents ainsi que le personnel, et renforcé les inégalités entre les enfants tout en imposant aux parents, notamment aux femmes, une pression et un stress énormes.

Les travailleuses et travailleurs du secteur privé

Les effets de la pandémie se sont évidemment aussi fait ressentir dans le secteur privé. Alors que le Québec enregistrait depuis quelques mois des taux de chômage parmi les plus bas de son histoire, les mises à pied et les fermetures d’entreprises ont frappé durement. Plusieurs dizaines de milliers d’emplois ont été perdus durant la pandémie, ce qui a d’abord touché les populations racisées, les femmes et les jeunes travailleuses et travailleurs. Pour celles et ceux qui ont préservé leur emploi malgré le confinement, les conditions de travail étaient parfois très difficiles, les employeurs hésitant souvent à mettre en place des mesures de santé et de sécurité au travail et à reconnaître financièrement les risques accrus encourus par les travailleuses et travailleurs. Dans plusieurs milieux de travail, une forte mobilisation s’est avérée nécessaire pour qu’une « prime COVID » soit octroyée ou pour que l’employeur fournisse les équipements de protection, pourtant nécessaires pour assurer la santé et la sécurité. Les heures supplémentaires effectuées pour assurer le télétravail n’ont que rarement été rémunérées

Dans certains secteurs, en particulier ceux du tourisme, de la restauration et du commerce au détail, les effets de la pandémie sur l’emploi ont été dévastateurs : dans plusieurs hôtels de la région métropolitaine, ce sont jusqu’à 90 % des emplois qui ont été perdus et qui n’ont toujours pas été retrouvés. De même, la fermeture des bars et restaurants a fait en sorte que des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées sans emploi du jour au lendemain. Quand on considère qu’une forte proportion des travailleuses et travailleurs, en particulier les plus précarisés, survit d’une paye à l’autre et ne dispose pas d’épargne, on comprend facilement pourquoi les gouvernements ont dû mettre en place les programmes massifs de soutien économique que nous connaissons — même si ceux-ci laissaient de côté une part significative des travailleuses et des travailleurs précaires.

La situation est loin de s’être rétablie dans le secteur privé. La crainte de se rendre dans les commerces de peur de contracter la maladie, couplée à la montée des achats en ligne, menace la survie de nombreuses entreprises. En restauration, selon certaines estimations, ce sont de 60 % à 80 % des établissements dont la survie est menacée, si la pandémie perdure jusqu’à la fin de 2020. Malgré des initiatives comme le Panier Bleu, il n’en demeure pas moins que la pandémie est une menace importante pour de très nombreux commerces et les emplois qu’on y trouve. Cette situation est d’autant plus scandaleuse si l’on considère les profits faramineux engrangés par plusieurs corporations, telles que Dollarama et Amazon.

Gouverner par décret

L’un des éléments troublants de la pandémie fut le recours constant des gouvernements provincial et fédéral à des décrets et l’absence à peu près complète d’oppositions et du débat démocratique.

Disposant d’une tribune télévisée quotidienne pendant des semaines, le gouvernement du Québec a pu passer son message sans remise en question. Il en a d’ailleurs largement profité pour tenter de faire porter aux syndicats l’odieux des conditions de travail dans le secteur de la santé, en particulier celles des préposé-es aux bénéficiaires. Nous avons été soumis aux mensonges éhontés du gouvernement à différents égards : conditions de travail, conditions salariales, accès à l’équipement de protection individuelle, etc.

La volonté clairement affichée des gouvernements Trudeau et Legault de soustraire leur activité à la critique du parlement est scandaleuse. Tous deux ont cherché à se donner les coudées franches pour pouvoir continuer à bénéficier longtemps des pouvoirs discrétionnaires que leur fournissait la crise. D’ailleurs, il faudra demeurer attentif à cet effet de la pandémie sur notre vie démocratique. Outre les pouvoirs accrus que cherchent à obtenir les gouvernements, les mécanismes de télésurveillance auxquels gouvernements et patrons pourraient vouloir avoir recours représentent une réelle menace à nos droits.

L’environnement, bénéficiaire de la pandémie ?

Nombreux sont celles et ceux qui ont cru voir dans le ralentissement économique consécutif à la pandémie un bienfait du point de vue environnemental. En effet, l’un des premiers effets du confinement (et des mesures de distanciation physique par la suite) a été la réduction des déplacements, réduisant le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Malheureusement, cette réduction n’aura été que temporaire ! L’histoire démontre qu’après une crise économique et la réduction de la pollution qu’elle entraîne, la tendance est à une augmentation rapide de la consommation énergétique allant jusqu’à dépasser les niveaux d’avant la crise. Les subventions du gouvernement fédéral à l’industrie de l’énergie fossile et aux transporteurs aériens démontrent l’incohérence de son approche environnementale. Dans son plan de relance, le gouvernement du Québec favorise des projets d’infrastructure selon un modèle de développement dépassé qui laisse de côté de larges pans de l’économie et de l’emploi, en particulier dans les emplois de services, occupés majoritairement par des femmes, et qui se sont révélés des activités essentielles.

Il faut ajouter à ceci que les risques de contamination ont relancé en flèche le recours au matériel à usage unique dans à peu près tous les secteurs. Certains commerces ont recommencé à avoir recours à de la coutellerie et de la vaisselle de plastique, ce qui ne va certainement pas dans le sens d’une amélioration de nos pratiques de production et de consommation. Septembre 2020, Chapitre 1 Pour une sortie de crise verte, sociale et démocratique

Conclusion

De ce qui précède, nous pouvons tirer deux conclusions générales : d’une part, il est insoutenable de continuer à vivre, travailler, produire et consommer comme nous le faisions par le passé. D’autre part, la crise que nous vivons actuellement doit nous servir de tremplin pour la mise en place de mesures de transition juste, qui favoriseront à long terme la protection de l’environnement, les mécanismes de protection sociale et la démocratie.

C’est avec ces idées en tête que le CCMM—CSN publiera, au cours des prochaines semaines, une série de textes thématiques qui approfondiront les réflexions qui ont été annoncées ici. Chacun des comités de front de lutte du conseil central [4] ainsi que quelques organisations alliées de la société civile ont été appelés à rédiger un texte sur les leçons à tirer de la pandémie et des mesures à mettre en place pour nous assurer que la sortie de crise soit verte, sociale et démocratique.

Nous vous invitons à les lire, les diffuser et en discuter avec votre famille, vos collègues et vos ami-es afin de faire en sorte que la prise de conscience et la mobilisation collectives fassent en sorte que nos gouvernements n’aient d’autre choix que de mettre en place des mesures allant dans le sens du bien être et des intérêts de l’ensemble de la population, à commencer par ceux des personnes les plus précarisées de notre société.

Solidarité !


[1Le comité exécutif du CCMM—CSN remercie Madeleine Ferland, responsable du comité éducation, et Carole Yerochewski, responsable du comité immigration et relations interculturelles, pour leur contribution à la rédaction de ce texte.

[2Plus de détails et de référence dans les textes des comités jeunes et condition féminine.

[3Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires, qui a notamment aboli les anciennes commissions scolaires pour les transformer en centres de services scolaires.

[4On compte dix comités front de lutte au CCMM—CSN : action en santé-sécurité, droit au travail, solidarité internationale, santé et services sociaux, environnement, condition féminine, immigration et relations interculturelles, éducation, jeunes et LGBT+.

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