Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Pourquoi le gouvernement de la CAQ présente-t-il les demandeurs d’asile comme un péril pour la société québécoise ?

Les personnes qui cherchent à se réfugier au Québec seraient devenues un problème majeur pour la société québécoise. Pour relancer le débat sur l’immigration, Legault interpelle Trudeau pour fermer le chemin Roxham par lequel de trop nombreux demandeurs d’asile entreraient au Québec. Le Québec n’aurait pas la capacité d’accueil de recevoir plus de 35 000 de ces derniers. Le chef du Parti québécois n’hésite pas à utiliser cette même démagogie au mépris des besoins de ces personnes. Cette démagogie vise à s’accaparer d’une rente électorale durant les prochaines élections. Ces politiciens font montre que leur seule ambition est de s’accrocher au pouvoir en nourrissant les sentiments d’intolérance si nécessaire.

Les débats essentiels que la CAQ veut refouler

Les problèmes majeurs qui traversent la société québécoise tendent à s’imposer dans le débat public : ceux liés à la crise climatique et aux événements extrêmes qui tendent à se multiplier ; ceux liés au sous-financement du secteur public (santé et éducation) et au manque de ressources humaines dans ces secteurs ; ceux liés à une répartition de plus en plus inégalitaire des richesses particulièrement dans cette période de montée de l’inflation. Sur l’ensemble de ces questions, le gouvernement de la CAQ a montré qu’il travaillait pour la minorité possédante.

Face à la crise climatique, le gouvernement Legault freine des deux pieds et refuse de mettre de l’avant des mesures capables de faire face à l’urgence climatique. Il investit dans le développement d’infrastructures autoroutières malgré l’avis du Comité consultatif sur les changements climatiques (CCCC) qui lui conseille de marquer un temps d’arrêt. [1] Il refuse de prendre au sérieux le problème de l’étalement urbain. Il s’entête à vouloir construire un tunnel sous-fluvial à des coûts exorbitants. Il traîne les pieds pour la construction de moyens de transports publics. Il refuse de sortir de l’utilisation de l’autosolo comme moyen de transport privilégié. Il inscrit ses politiques économiques dans la perspective du développement de la croissance, même s’il est établi que la croissance contribue à la destruction de la biosphère.

Dans le secteur de la santé, son projet de réforme ouvre la porte à l’élargissement de la privatisation des soins de santé. C’est la solution qu’il oppose à la nécessité d’un réinvestissement massif dans ce secteur qui a dû affronter la crise sanitaire liée à la COVID 19 dans une situation de faiblesse. [2] Le refus du gouvernement d’améliorer radicalement les conditions de travail des employé-e-s du secteur de la santé est au fondement d’une crise qu’on n’arrive pas à surmonter. En éducation, il refuse de mettre un terme au financement public des écoles privées.

Alors que le gouvernement caquiste est d’une très grande générosité en subventions de toutes sortes aux grandes entreprises d’ici et d’ailleurs, il rejette toutes les mesures qui pourraient permettre une répartition plus égalitaire des richesses. Pour ce qui est de la réforme de l’impôt permettant une véritable redistribution des richesses, ils laissent les plus riches refuser de payer leur part et cacher leurs avoirs dans les paradis fiscaux. Mais pour les travailleurs et les travailleuses au bas de l’échelle sociale, il refuse d’augmenter le salaire minimum à 18$ de l’heure.

L’utilisation des discours contre les demandeurs d’asile ou la diversion au poste de commande

Sur toutes ces questions essentielles pour l’avenir de la société québécoise, le bilan du gouvernement de la CAQ est négatif. C’est pourquoi il cherche encore, à l’approche des élections à faire dévier le débat public sur les questions identitaires.

Le premier ministre Legault n’en est pas à ses premières tentatives d’utiliser les personnes migrantes pour se créer une rente électorale. On se souviendra de ses promesses lors de la campagne électorale de 2018 de diminuer le nombre de migrant-e-s de plus de 20% pour l’année 2019. Il voulait disposer de tous les pouvoirs sur l’immigration afin de pouvoir réduire toutes les catégories de personnes migrantes : que ce soit les migrant-e-s économiques, les réfugié-e-s ou les personnes venant au pays suite à la réunification familiale. Pour le gouvernement caquiste, la solution à une meilleure intégration des immigrant-e-s passe par la réduction des seuils d’immigration, sans parler d’un test des valeurs auquel ils voulaient soumettre toutes les personnes migrantes. [3]

Aujourd’hui, il reprend les mêmes chansons. Il n’hésite pas à qualifier les demandeurs d’asile passant par le chemin Roxhman de faux réfugié-e-s. Il enjoint le gouvernement fédéral de distinguer les faussaires des véritables demandeurs d’asile. Il leur reproche de profiter de l’aide sociale, et de se retrouver dans les écoles et d’utiliser les services de santé. Il pousse la démagogie encore plus loin et n’hésite pas à prétendre que l’immigration constitue un danger pour la défense de l’identité québécoise et ses valeurs.

Le PQ joue le rôle de la cinquième roue du carrosse caquiste

Le chef du PQ essaie d’occuper le même terrain et de surfer sur la crainte des personnes migrantes. Il a été le premier à déposer une motion avec l’appui de la CAQ pour réclamer du fédéral la fermeture du chemin Roxham. Ignorant les enjeux majeurs auxquels fait face la société québécoise, il veut ouvrir, dans cette période préélectorale, un débat sur l’immigration, sur son coût et son utilité. Paul Saint-Pierre Plamondon prétend vouloir un débat « objectif et serein sur l’immigration ». Pour cela il pose des questions qui présentent les personnes migrantes comme des coûts pour la société québécoise. « Entre autres, est-ce qu’accueillir davantage d’immigrants crée davantage de richesse, hausse véritablement le produit intérieur brut par habitant ? Quel est l’impact d’une hausse de l’immigration sur la dynamique linguistique ? Quel est l’impact sur la crise du logement ? Cela abaisse-t-il la moyenne d’âge de la main-d’œuvre ? » [4] Il prétend que ce débat doit se faire sans acrimonie, mais il promet de fixer un seuil à ne pas dépasser avant la prochaine campagne électorale. Ce parti vise lui aussi à se construire une rente électorale sur le dos des personnes migrantes. La CAQ s’efforcera de ne pas laisser cette rente au PQ. On risque donc d’assister à une compétition délétère sur ce terrain.

L’immigration va s’accélérer. Les politiques de la forteresse assiégée ne mèneront qu’au désastre.

Ces discours de méfiance envers les personnes migrantes sont des justifications du refus de reconnaître que l’afflux de personnes migrantes sont les conséquences des guerres de pillage menées par les gouvernements du Nord contre les populations du Sud. Des personnes doivent quitter leur pays, car des guerres néocoloniales (guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie...) sont menées pour conserver le contrôle sur des ressources pétrolières. Les gouvernements du Nord continuent d’imposer des politiques qui ravagent les économies du sud : inondation des marchés via les stocks d’invendus, manipulation du marché mondial, prêts favorisant des régimes corrompus, accords de libre-échange inégaux. Des populations n’arrivent pas à se nourrir réellement parce que des multinationales ont détruit l’agriculture vivrière et l’ont remplacé par des monocultures industrielles orientées vers l’exportation. Des personnes ont des difficultés à vivre, parce que des minières, dont des minières canadiennes, participent au pillage des ressources naturelles en comptant sur la protection des régimes autoritaires auxquels le Canada et d’autres puissances vendent des armes qui assurent la domination d’une minorité d’exploiteurs. Les migrations s’expliquent par le fait que des personnes ne trouvent pas la possibilité de vivre dignement là où elles se trouvent. Tant que de tels rapports de domination et de spoliation existeront, les migrant-e-s continueront d’arriver.

Les dirigeants politiques en Amérique du Nord comme en Europe sont en train de dresser des murs physiques ou juridiques autour de leur territoire croyant pouvoir empêcher les migrations que leurs agissements provoquent par ailleurs. Si on ajoute à ces causes économiques et sociales, les conséquences de la crise climatique sur les déplacements des populations humaines, l’attitude la moins réaliste est celle du refus de se préparer et de planifier les déplacements de population qui se préparent.

Le zéro immigration est donc impossible. Se limiter à l’immigration choisie et à l’accueil parcimonieux de réfugié-e-s, c’est un refus de reconnaître la nouvelle réalité de la recrudescence des migrations en cette période de crise. Se camper sur des politiques de fermeture, sur la construction de murs matériels ou légaux, c’est préparer de nouvelles catastrophes.

Il faut donner une réponse humaniste et rationnelle aux migrations

« À l’heure où les conflits se multiplient, où les inégalités et l’exclusion sociale atteignent des sommets, et où l’environnement se dégrade à grande vitesse, il est totalement illusoire d’imaginer que les flux migratoires cessent ou diminuent. Les choix politiques en matière de migration doivent absolument partir de ce constat et s’envisager à la fois avec humanisme, en partant des libertés et des droits fondamentaux des individus, et avec pragmatisme, en se donnant les moyens et les capacités de s’adapter aux évolutions de la réalité, en n’oubliant pas que la terre est le bien commun par excellence de tous les habitants de la planète. »  [5]

Les migrations vont se faire. Et il ne faut pas favoriser les migrations clandestines qui feront qu’une partie significative de la population se retrouvera sans papiers et sans droits… à la merci des décisions arbitraires des autorités et des patrons. Pour éviter cela, il faut ouvrir les frontières et réguler l’immigration à partir de constats précis : la migration est une richesse et le contrôle des frontières est inefficace et contre-productif. Les personnes migrantes accueillies dans le pays produisent, paient des impôts et peuvent être intégrées dans les circuits économiques. Ces personnes sont un apport au niveau culturel, car elles sont porteuses de diversité qui enrichit la société qui les accueille.

Comme l’écrit Me Guillaume Cliche Rivard en parlant des demandeurs d’asile qui empruntent le chemin Roxham : « Déterminés à pouvoir rester, ils sont les premiers à sauter à pieds joints dans le travail, cumulant les emplois, souvent les plus difficiles, sans jamais énoncer la moindre plainte. Tout au long de la pandémie, j’ai d’ailleurs pu constater qu’ils étaient en première ligne du combat contre le virus, dans nos CHSLD, nos hôpitaux, nos entreprises essentielles, qu’ils en ont sauvé, des vies, souvent au péril des leurs, avec pour sentiment de nous avoir rendu la pareille pour les avoir accueillis parmi nous. » [6] Il en déduit la nécessité de suspendre l’Entente sur les tiers pays sûrs, d’accorder rapidement un permis de travail aux demandeurs d’asile en attente d’audience, d’accélérer le traitement des dossiers… Bref, d’adopter, enfin, une position véritablement humaniste.

En somme, il faut défendre l’égalité des droits : droit de s’installer durablement, de travailler, de recevoir un salaire égal pour un travail égal et d’acquérir la nationalité et de voter. Ce sont là les axes pour développer l’accueil et la solidarité envers les personnes migrantes. Ce sont là des droits pour toute la population laborieuse du pays.

Adopter une telle attitude c’est faire primer les droits de la personne sur les besoins du capital et dépasser une immigration conforme aux seuls intérêts des grandes entreprises. Agir ainsi c’est empêcher que se développe une population d’étrangers de l’intérieur avec toutes les paniques identitaires qui s’y rattachent. Face aux crises qui taraudent la planète qui provoqueront une accélération des migrations, il faut savoir prendre le problème à bras le corps et le faire dans une perspective radicalement humaniste.

Anticiper, prévenir et gérer les migrations et les déplacements qui se feront nécessitent de poser ces problèmes non d’abord à partir d’une optique étroitement nationaliste, mais à partir d’un point de vue internationaliste pour faire face collectvement aux défis qui vont se poser à l’ensemble de la planète.


[1Gaëlle Kanbyeba, Devant l’urgence climatique, il faut un électrochoc, Le Droit, 9 mai 2022

[2Elisabeth Fleury, Gestion de la pandémie, le gouvernement loin de mériter une note parfaite, Le Soleil, 14 mai 2022.

[3François Legault, La CAQ, des propositions claires et assumées, Le Devoir, 4 mars 2017

[4Patrice Bergeron, Le PQ appelle à un débat sur l’immigration, Le Devoir, 9 mai 2022

[5Olivier Bonfond, Il faut tuer TINA -There Is No Alternative_ 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde}, Éditions du Cerisier, p. 311

[6Le Devoir, Mettons fin au clivage sur le chemin Roxham, 17 mai 2022

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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