Édition du 16 avril 2024

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Syndicalisme

Augmentations fixes dans le secteur public, pourquoi les directions syndicales sont contre les bas salarié·e·s ? : l’exemple de la CSQ

Depuis plus de 30 ans, la vaste majorité de nos augmentations salariales sont faites en pourcentage. Cela favorise toujours les plus hauts salarié·e·s. Une augmentation de salaire de 1,5%, pour un salaire de 40 000$, représente une augmentation de 600$ par année, mais le double, 1200$, pour un salaire de 80 000$. Cela veut dire qu’à chaque fois, le gros de la masse salariale du gouvernement favorise les mêmes titres d’emploi au détriment des autres.

Photo et article tirés de : Infolettre septembre 2019 De Alternative Socialiste

Cela ne serait pas si grave si les augmentations des bas salarié·e·s étaient intéressantes et suivaient le coût de la vie. Ce n’est pas le cas. Le salaire minimum a augmenté de 71,2% depuis 2003, l’inflation a été de 32,9%1 et le salaire des travailleurs et travailleuses des services publics a augmenté de 23.44% (voir annexe 1). Il n’est donc pas étonnant que la plus grande force de travail organisée au Québec s’attende à plus et à mieux.

C’est pourquoi le Syndicat des employé.es du CHUM pousse fort pour ramener l’idée des augmentations fixes2. L’augmentation fixe vise à déterminer les demandes salariales en argent sonnant, par exemple 3 $/H pour tout le monde, plutôt que de le faire en pourcentage (%). C’est ce que propose maintenant, grâce à la pression de sa base, la CSN.

Malheureusement, les autres directions syndicales ne semblent vraiment pas vouloir aller dans cette direction. La FIQ et l’APTS vont se positionner sur les demandes de la table centrale (dont les salaires) uniquement au début du mois de septembre, mais pour le moment, rien ne semble supposer qu’ils défendront une augmentation fixe. Il est encore plus triste de constater cette tiédeur chez un syndicat de bas salarié.es, comme le SCFP…

Lors de son instance du 13 mai 2019, la direction du SCFP, sans se positionner clairement contre les augmentations fixes, critiquait les demandes salariales de la CSN « trop importantes » qui, comme « par hasard », étaient incarnées par le montant fixe. Cela est suffisant pour soutenir qu’il « sera très difficile de conclure un protocole de solidarité de front commun avec la CSN »3.

Rien de moins ! Nous avons donc bien hâte de voir le « guide de questions-réponses pour les exécutifs » que le SCFP veut faire…En attendant, nous n’avons que celui de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). C’est donc celui-ci que nous allons décortiquer.

En espérant que les autres directions syndicales ne pensent pas la même chose que la CSQ !

Tout va bien… !?!

Le texte de la CSQ, Écart de salaire au sein des services publics québécois : effets des différentes formes d’augmentations4, vise à présenter les différentes façons d’augmenter nos salaires et s’attarde principalement à faire une comparaison entre les augmentations en pourcentage et fixes.

L’objectif est d’y nourrir les réflexions sur les demandes salariales pour les prochaines négociations du secteur public. Mais certains éléments méritent clairement une réponse.

Le premier constat dans le document est le suivant : « Globalement, nous constatons une réduction importante de l’écart entre les plus hauts et les plus bas salariées et salariés des services publics québécois au cours des 40 dernières années. » Tant mieux, mais cela a été possible précisément à cause de revendications égalitaires comme le montant fixe5.

De plus, cela ne change rien au fait que les salarié.es du secteur public connaissent une baisse du pouvoir d’achat et s’appauvrissent depuis 20 ans. Cela impacte plus durement les bas salarié.es et constitue l’une des principales raisons pour exiger une augmentation fixe substantielle6.

Le document de la CSQ conteste cette affirmation :

« Dans un contexte où l’inflation sur les produits de base (alimentation, nourriture, transports et vêtements) est plus rapide que celle des autres produits consommés, il serait justifié de faire augmenter plus rapidement les bas salaires. En effet, plus nos revenus sont bas, plus la part qui est consacrée aux produits de base est importante. Or, les études récentes n’offrent aucune indication que l’augmentation du coût de la vie affecte plus sévèrement les plus pauvres. L’inflation gruge l’ensemble des revenus au même rythme. »

Répétons… « Or, les études récentes n’offrent aucune indication que l’augmentation du coût de la vie affecte plus sévèrement les plus pauvres. »

Comment ne pas hurler de rage en lisant cela ?

Évidemment, qu’une inflation de 1,5% est la même pour tout le monde, sauf que l’impact n’est pas le même selon le revenu ! Pour un bas salarié.e, c’est couper dans l’épicerie, pour le haut salarié.e, c’est choisir une voiture moins luxueuse… méchante différence !

C’est épeurant de voir une centrale syndicale dire cela avec le plus grand sérieux !

N’est pas « inégalitaire » ?

En niant l’impact négatif plus grand de l’inflation sur les bas salarié.es, il n’est pas étonnant que le document affirme également qu’« il serait erroné de dire que les augmentations en pourcentage viennent accroître les inégalités entre les salaires des différents emplois ».

Les augmentations en pourcentage maintiennent « les écarts relatifs », mais creusent l’écart « en dollars nominaux ». Dans le tableau ci-dessous, au début la différence est de 20$ entre le haut et le bas salarié.e et se termine par une différence de 30$. Pourtant le « ratio relatif » demeure de 2.00.

Source : CSQ, Écart de salaire au sein des services publics québécois : effets des différentes formes d’augmentations.

Si nous suivons la logique jusqu’au bout, nous pouvons déterminer l’inégalité « entre les salaires » uniquement à partir de la mesure de l’écart relatif… Il n’y a pas d’inégalités, même si le haut salarié.e reçoit au départ le double (20$) et termine avec le triple (30$).

Nous ne vivons pas dans un calcul mathématique, encore moins dans un graphique. Nous vivons dans le monde réel avec des dollars. Dire que l’écart relatif est le même est une chose, mais soutenir que les augmentations en pourcentage ne creusent pas les inégalités c’est pousser un peu loin…

Le SECHUM continue donc d’affirmer que les augmentations en pourcentage « creusent les inégalités ». À chaque augmentation en pourcentage, une proportion de la masse salariale accordée aux travailleurs.euses du système public va systématiquement vers les mêmes titres d’emploi. Cette proportion augmente, graduellement certes, mais constamment en faveur des mêmes. Si cela n’est pas inégalitaire, ce n’est clairement pas égalitaire non plus !

Selon le document de la CSQ, les augmentations en pourcentage ne sont pas « inégalitaires », mais les « augmentations à montant fixe représentent un moyen efficace pour réduire les écarts relatifs. » Si « réduire les écarts relatifs » n’est pas une lutte contre les « inégalités », comment devons-nous appeler cela ?

Source : CSQ, Écart de salaire au sein des services publics québécois : effets des différentes formes d’augmentations.

Le chat sort du sac !

Tout ce texte n’est qu’un prétexte pour soutenir qu’une augmentation fixe réduit « la reconnaissance salariale liée à l’évaluation » et que les augmentations en pourcentage « préservent l’équilibre au sein de la structure et maintiennent la reconnaissance offerte pour l’évaluation des emplois. »

C’est oublier rapidement qu’une augmentation fixe demeure une augmentation pour tout le monde. La « reconnaissance salariale liée à l’évaluation » est faite dès l’embauche par le salaire d’entrée et les échelons par la suite. Le fait de recevoir une augmentation en pourcentage est une reconnaissance supplémentaire.

Le vrai débat – et le document de la CSQ aurait eu l’avantage d’être beaucoup plus honnête en le disant clairement d’entrée de jeu – est celui-ci : est-ce que les salarié.es ayant une formation, une expertise et une spécialisation plus grande que les bas salarié.es doivent systématiquement recevoir le double d’augmentation à chaque fois ? C’est le cas depuis plus de trois décennies.

Le SECHUM croit que les bas salarié.es doivent recevoir des augmentations salariales substantielles en montant fixe. Non seulement pour stopper notre appauvrissement, combler l’écart creusé par l’augmentation du coût de la vie des dernières décennies et rendre le système public plus attractif que le privé.

Vous êtes d’accord avec nous ? N’hésitez pas à revendiquer vous aussi dans vos instances des augmentations fixes. Tout augmente sauf nos salaires. Cette fois-ci, prenons les moyens pour que cela change vraiment.

Bruno-Pierre Guillette, TPO, préposé service alimentaire du CHUM.


Source : Durant cette période, nos meilleures augmentations ont été lors du décret de 2005. Situation qui s’explique en partie par les nombreuses actions directes du mouvement syndical (blocages d’autoroutes, du port, etc.) et la menace de « grève générale illégale de 24 heures » (Le Devoir, 23 septembre 2004) contre le projet de réingénierie de l’État du gouvernement Charest. Forçant ce dernier à calmer la plus grande force d’opposition organisée au Québec, les travailleurs.euses syndiqué.es du secteur public, avec des augmentations salariales raisonnables.

Les montants forfaitaires ne sont pas des augmentations, ils ne sont pas calculés. Le calcul de nos augmentations a été fait à partir des conventions collectives suivantes (Elles sont disponibles pour consultation ici : http://www.cpnsss.gouv.qc.ca/index.php?accueil) :
La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et le sous-comité patronal de négociation des centres hospitaliers publics (du 22 mai 2000 au 30 juin 2003) – Mise à jour : 11 février 2005. (Convention collective 2000-2003).

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et le comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) (du 14 mai 2006 au 31 mars 2010).

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et le comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) (du 13 mars 2011 au 31 mars 2015).

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et le comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) (du 10 juillet 2016 au 31 mars 2020).

Notes :

[1] Banque du Canada.

[2] IPC, Indexation, Échelons, Montant fixe : Comment augmenter nos salaires pour notre prochaine négo ?.

[3] Procès-verbal du Conseil général du conseil provincial des affaires sociales, 13 mai 2019, Palais des Congrès de Québec. SCFP. Et le document Demandes syndicales pour la Table centrale – 2020 (FTQ) remis à l’instance de juin 2019 à Rouyn-Noranda.

[4] CSQ, Écart de salaire au sein des services publics québécois : effets des différentes formes d’augmentations.

[5] André Beaucage, Syndicats, salaires et conjoncture économique : L’expérience des fronts communs du secteur public québécois de 1971 à 1983, Montréal, PUQ, 1989, p.91.

[6] Le conseil du trésor nous offre l’appauvrissement.

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