Édition du 23 avril 2024

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Québec solidaire

Présentation d’ouverture à la rencontre des réseaux militants de Québec solidaire – 6 février 2023

On m’a demandé de présenter ma vision quant à l’importance des réseaux militants au sein de Québec solidaire et les défis que j’y perçois pour ceux-ci. Dans ce contexte, j’ai séparé ma présentation en trois parties : premièrement, je vais tenter de démontrer pourquoi, à mon sens, le développement des réseaux militants devrait être pris très au sérieux au sein de Québec solidaire, pour ensuite présenter brièvement l’historique de fondation des réseaux ainsi que, plus précisément, quelques éléments de l’expérience du réseau intersyndical auquel je fais partie. Je conclurai en présentant les défis que je perçois pour les réseaux militants au sein du parti.

Pourquoi des réseaux militants ?

Pour comprendre l’importance des réseaux militants dans un parti de gauche comme Québec solidaire, il faut se replonger dans les racines de notre organisation.

Historiquement, comment Québec solidaire s’est-il construit ?

On dit de Québec solidaire qu’il est un parti « populaire », un parti qui défend le point de vue des travailleuses et des travailleurs dans son ensemble, de ce fameux 99 % : notamment les personnes salariées, les contractuelles, en attente de travail, les couches populaires, les personnes les plus précaires, les groupes sociaux marginalisés, les femmes, les personnes racisées, les personnes vivant avec un handicap, les exploité.e.s…

On dit de Québec solidaire qu’il se différencie – ou que sa vision contraste – avec les autres partis sur l’échiquier politique ; ces autres partis qui cherchent globalement à satisfaire – ou qui ne veulent surtout pas déranger – les grandes compagnies, les grands actionnaires, les individus qui détiennent la majeure partie des ressources de notre planète… qui détiennent en autre terme les capitaux, le pouvoir de l’argent…

On peut donc différencier à grand trait ici les partis qui, par leurs actions politiques, préservent et favorisent les intérêts d’une classe sociale ultra privilégiée ; avec les partis de gauche, tels que Québec solidaire, qui cherche plutôt à donner du pouvoir à celles et ceux qui ont pour intérêt de sortir de cette société basée sur l’exploitation et l’oppression ; à celles et ceux qui souhaitent dépasser cette société pour aller dans le sens du bien commun.

Maintenant, c’est bien beau dire tout ça en théorie, dans les discours… que Québec solidaire est porteur du bien commun et des luttes sociales des opprimé.e.s, ou des exploité.e.s, mais qu’en est-il en pratique ? Comment Québec solidaire s’est-il assuré d’être le véritable porte-parole, ou le véhicule de ces actrices et acteurs sociaux qui cherchent à transformer le monde dans lequel on vit, pour en faire une société plus libre, plus verte, plus féministe, plus solidaire ?

De mon côté, ça me semble assez évident.

Historiquement, dans sa constitution, dans l’action, c’est la relation concrète avec les mouvements sociaux combatifs qui aura permis à Québec solidaire de se former, de grandir et de se dresser devant les aléas du capitalisme à la défense de l’humain et de la nature…

Quand je parle de concret…
• Que serait Québec solidaire sans son héritage historique des luttes provenant du mouvement syndical, et de ses militantes et militants qui ont participé à la construction du parti à travers les années ?
• Que serait Québec solidaire sans la réunion du mouvement altermondialiste et féministe des années 90-2000 ?
• Que serait Québec solidaire sans l’héritage du mouvement communautaire ?
• Sans le mouvement indépendantiste ?
• Étudiant ?
• Écologiste ?
• Antiraciste ?
• Autochtone ?

Québec solidaire est le fruit concret historique des luttes, de la convergence et de l’organisation de différents groupes sociaux combatifs de gauche au Québec. On pourrait d’ailleurs affirmer que c’est le succès, à différents moments de l’histoire, de divers segments des mouvements sociaux, qui leur ont donné l’assurance nécessaire pour former ce parti qu’on connait aujourd’hui.

Québec solidaire est donc, historiquement, un regroupement de forces sociales, le fruit de la convergence d’organisations issues des mobilisations sociales. Québec solidaire s’est construit, fondé, articulé, depuis sa naissance, principalement, autour de sa dynamique avec les mouvements.

Et vice-versa, nous pourrions également affirmer que QS a participé et participe encore aujourd’hui à la dynamique des mouvements. Il alimente des réflexions politiques en leur sein, il permet à différentes échelles la coordination et l’échange entre différentes actrices et acteurs des milieux militants, participe à l’élaboration d’orientations ou de stratégies politiques…

Bref, on le constate… un lien tangible, organique et fondamental co-existe depuis la naissance de Québec solidaire entre le parti de gauche et différents segments des mouvements sociaux.

Mais surtout – et c’est là que je veux en venir – ces liens ne sont pas immuables.

Et ils sont surtout à préserver… et à enrichir !

Le danger de l’électoralisme

En effet, avec la pression du temps, les exigences au niveau électoral et parlementaire, la croissance du parti, les tendances diverses à l’institutionnalisation de notre organisation, les pressions médiatiques… Le danger nous guette d’un parti dont la visée s’articulerait strictement autour de l’élection du maximum de député-es à l’Assemblée nationale, mais qui oublierait, par le fait même, de construire et de renforcer la base sociale nécessaire à la mise en œuvre de son programme politique.

En l’absence de portes d’entrée visant à attirer un grand nombre de personnes actives sur le terrain des luttes sociales, notamment entre les périodes électorales… n’y a-t-il pas danger à ce que le parti perde peu à peu ses liens historiques et sa dynamique avec les mouvements, la force motrice de son projet politique initial, et que le parti ne devienne à terme, qu’une machine électorale bien rodée, un peu comme les autres ?

Conscient de cette possibilité, et des risques réels de bifurcation pour Québec solidaire, le parti ne doit-il pas travailler activement à développer des mécanismes pour favoriser et enrichir l’engagement et la participation des actrices et acteurs issus des mouvements sociaux en son sein ?

Si oui, quel mécanisme Québec solidaire devrait-il développer ?

C’est entre autres pour répondre à ses questionnements que l’idée des réseaux militants a fait son apparition à QS.

Les Réseaux militants

L’une des choses que l’on peut constater, c’est que la structure initiale de Québec solidaire, sa structure organisationnelle, qui regroupe principalement ses membres sur une base géographique selon la délimitation d’une circonscription électorale, n’est pas toujours la forme la plus attractive ou naturelle pour des militantes ou militants provenant des mouvements sociaux qui cherchent en QS le véhicule pour s’organiser et faire atterrir les luttes sociales dans l’arène politique officielle…

Naturellement, par exemple, en période non électorale, une militante provenant du mouvement féministe aura sûrement d’autant plus envie de s’investir dans un parti politique de gauche si elle sait qu’elle aura l’occasion d’échanger et de militer avec plusieurs autres camarades à travers les régions issues du même mouvement, et que ces échanges permettront d’enrichir ses luttes sur le terrain et d’influencer l’arène politique pour gagner des victoires.

Et on pourrait dire la même chose des militantes et militants issus du mouvement syndical, étudiant, altermondialiste, paysan, etc.

Les Réseaux militants, comme entité officielle dans Québec solidaire, ont donc fait son apparition dans les statuts en 2016 pour remédier à cette problématique.

Voici quelques éléments historiques.

Il serait faux de dire qu’il n’existait pas, fondamentalement, avant la création des Réseaux militants, d’instances ou d’initiatives au sein du parti qui pouvaient permettre la création de ponts avec les mouvements. On peut penser à la commission nationale des femmes, la commission autochtone, les campus, les associations locales et régionales ainsi que nos élus qui permettent de réunir plusieurs membres impliqués dans des mouvements.

D’ailleurs, entre la fondation du parti en 2006, et 2014, deux tentatives de regroupements intersyndicaux ont vu le jour dans Québec solidaire.

C’est cependant en 2014, à mon souvenir, qu’on voit au sein de QS, un grand pas dans l’avancement de la problématique du lien entre le parti et la rue.

Le parti adopte une résolution lors d’un CN qui vise à donner les moyens organisationnels pour permettre au parti de resserrer ses liens avec le mouvement social… Par cette résolution, on souhaite notamment favoriser la tenue de rencontres des personnes militantes syndicales, étudiantes et féministes dans la prochaine année.

L’expérience de l’intersyndicale

Le Réseau militant intersyndical qu’on connait aujourd’hui a vu le jour durant cette période.

Pour vous mettre en contexte, si vous vous rappelez, en 2015, une lutte féroce prend de l’ampleur au Québec entourant la négociation des conventions collectives du secteur public, qui représente 550 000 travailleuses et travailleur, à très grande majorité des femmes. On est dans les années libérales avec le ministre Leitao et Barette qui proposent une importante politique de compressions dans les finances publiques.

Les travailleuses et travailleurs du secteur public sont encore attaqués de toute part, et le résultat des négociations risque encore une fois de mettre à mal nos services publics, d’ouvrir la voie à leur privatisation et à la réduction des conditions de travail, en plus d’affaiblir potentiellement le mouvement syndical dans son ensemble…

C’est dans ce contexte qu’au sein de Québec solidaire, à l’aube de la grève du secteur public – quelques mois avant –, l’initiative visant à former un nouveau réseau militant intersyndical voit le jour. Ce nouveau groupe convoque une rencontre large dans le parti pour réunir les travailleuses et travailleurs du secteur public membre de QS. Le but de cette initiative était fort simple : faire l’état commun de la situation avec les personnes directement concernées et développer des axes de mobilisation commune en appui à la lutte en cours.

Cette expérience a eu un effet très positif par la suite. L’intersyndical a su réunir plusieurs centaines de militantes et militants de Québec solidaire et du milieu syndical à travers ses activités qui ont suivies, des liens se sont développés et concrétisés entre des membres de QS et des secteurs combatifs de la mobilisation en cours.

Suite à cette expérience assez réussie, l’intersyndical a décidé de maintenir ses activités, notamment à Montréal.

Enfin, toutes ces réflexions et expériences pratiques visant à enrichir les liens avec les mouvements ont mené, en 2016, à la reconnaissance statutaire et formelle de ce qu’on appelle aujourd’hui les Réseaux militants. Le parti encourage alors officiellement ses membres à se regrouper dans des comités sur la base de leur implication dans un même mouvement social.

Depuis 2016, 4 réseaux militants ont vu le jour au sein du parti : l’intersyndical, ainsi que le Réseau militant écologiste, antiraciste et culturel – d’autres membres pourraient aujourd’hui parler de l’expérience de leur réseau respectif.

De notre côté, pour l’intersyndicale, et après notre participation à la lutte du secteur public en 2015, nous avons travaillé de concert avec différentes organisations syndicales, communautaires et populaires pour faire de la lutte du 15 $ l’heure un enjeu politique important sur la sphère publique. À travers notre expérience, des liens organiques étroits se sont développés avec le syndicat du Vieux-Port de Montréal qui vivait à ce moment un conflit de travail majeur. Plus tard, nous avons soutenu la lutte au sein de diverses coalitions.

Bref, il serait juste à mon avis d’affirmer que l’apport du Réseau militant intersyndical de QS a été précieux dans la progression de la lutte du 15 $ l’heure au Québec.

Plus récemment, le réseau s’est penché sur les enjeux du climat en soulevant dans Québec solidaire et dans le mouvement syndical la problématique de la conversion des emplois dits « polluants », ainsi que la nécessité de créer des emplois verts et justes dans la transition écologique à venir. Il a également été en appui aux mobilisations climatiques des travailleuses et travailleurs, notamment en soutenant les mouvements de grève politique ces dernières années.

Enfin, dernièrement, nous avons aussi soutenu les luttes entourant la nouvelle loi sur la santé et sécurité au travail, sans parler de nos activités avec le milieu de la santé et de l’éducation, et des liens développés avec les organisations qui militent pour le droit aux travailleuses et travailleurs immigrants.

Ces expériences à elles seules montrent, à mon sens, l’importance et la pertinence des Réseaux militants au sein de notre organisation politique. Québec solidaire peut favoriser la convergence des mouvements de gauche pour aider à renforcer le rapport de force en faveur des luttes sociales.

Les défis

Maintenant, en dernière partie, même si l’expérience des réseaux des dernières années ont montré leur pertinence, plusieurs défis restent à relevés pour faire de ces réseaux un véritable lieu d’échange entre les mouvements sociaux et le parti, pour créer une dynamique stimulante et mobilisante.

Tout d’abord, au niveau national, il faut selon moi augmenter les lieux de rencontre et de discussions entre membres pour approfondir collectivement sur la question de la relation que QS souhaite établir avec les mouvements sociaux. D’ailleurs, il faut que les membres de QS connaissent mieux l’existence des Réseaux militants, leur rôle et qu’on leur donne envie de les construire et de s’y impliquer. Enfin je souligne l’importance d’une rencontre comme celle d’aujourd’hui qui devrait à mon sens se répéter.

De plus, il faudrait, selon l’expérience de l’intersyndicale, déployer plus de ressources et d’efforts du parti pour aider à la fondation de nouveaux réseaux, et offrir du soutien pour favoriser le développement et le recrutement de leurs membres… et tout ça, bien entendu, en visant l’autonomie et la prise en charge collective des réseaux par leurs membres. Il faudrait à ce sujet permettre à ce que les réseaux militants puissent avoir plus d’outils à leur disposition pour connaitre et entrer en contact avec les membres du parti militant dans des mouvements sociaux.

D’ailleurs, il faut favoriser le réseautage et l’échange entre les réseaux dans QS, ainsi que renforcer l’implication des réseaux dans le cadre de l’élaboration des stratégies et des campagnes politiques nationales. Cela aura pour effet de stimuler la collaboration avec les différentes instances du parti, en plus d’encourager l’unité des forces au sein de QS.

Enfin, je termine par un point central… Pour être attractif, il faut offrir des espaces de représentation officielle aux Réseaux militants pour que ceux-ci participent à la vie démocratique du parti. Il faut leur permettre une représentation lors des instances, Conseils nationaux et Congrès. En d’autres termes, il faut offrir aux membres des Réseaux militants la possibilité d’être partie prenante des orientations de Québec solidaire. (À ce sujet, les Réseaux militants élaborent actuellement avec le Comité de coordination nationale une proposition visant à mettre à jour les statuts du parti qui irait dans le sens de cette dernière recommandation.)

Maintenant, au niveau plus micro, si j’esquisse les défis que je perçois à relever au sein des réseaux eux-mêmes… Il faut à mon sens continuer à développer des outils et des pratiques pour que les nouveaux membres ou personnes sympathisantes se sentent bien accueilli.e.s et partie prenante de ces organisations. Il faut s’assurer que les dynamiques de rencontre ou d’activités favorisent la participation de toutes et tous, nouveaux membres, comme anciens, et notamment les femmes.

Pour permettre cette adhésion, des espaces d’accueil et de formation politique devraient entre autres être offerts dès l’implication des nouveaux membres aux différents réseaux, pour permettre à toutes et tous de pouvoir se connaître, s’approprier pleinement les enjeux de l’heure et pour que toutes et tous se sentent à l’aise de discuter des stratégies politiques et des actions à mener avec leurs camarades.

Enfin, il faut également tenir compte de l’énergie disponible des membres qui participent aux Réseaux militants. C’est tout un défi, car il faut trouver le moyen de mobiliser des militantes et militants actifs du mouvement social, sans les essouffler… car il faut se rappeler que les membres des Réseaux militants sont par ailleurs, souvent déjà très occupés par leur lieu de militance sur le terrain.

En guise de conclusion…

Bon, pour conclure, je dirais qu’aux sorties des élections, il s’agit selon moi d’un moment opportun pour construire activement les ponts avec les mouvements dans Québec solidaire.

Pour que de partout, le soutien aux orientations du parti se développe et s’enrichisse des luttes sociales, pour que les milieux militants puissent s’épauler les un des autres au sein d’une organisation politique commune… pour renforcer le rapport de force en faveur des luttes sociales… pour que la pression sur le gouvernement et sur ceux qui détiennent le pouvoir du capital devienne encore plus une réalité... pour qu’un véritable mouvement solidaire puisse s’épanouir pleinement, se répandre et, ultimement, prendre le pouvoir pour aller dans le sens du bien commun…

Bref, créer, encourager, valoriser, développer la culture des Réseaux militants à travers le Québec pourrait ouvrir la voie à une dynamique militante renouvelée, combative et rassembleuse au sein de Québec solidaire, j’en suis convaincu. Et j’espère que le parti en fera une orientation stratégique d’importance lors de la prochaine période qui s’ouvre.

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