Édition du 26 mars 2024

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Cultures, arts et sociétés

Mercader au Musée d’Art moderne

Quand la caricature est un portrait

Texte publié dans le site Hoy digital

"José Mercader, comme Daumier, excellent peintre, déploie, dans sa galerie de portraits, presque un temple de la renommée, les modèles et (anti)héros étant généralement des personnalités dominicaines. Nous avons découvert son talent pictural, qui densifie l’espace, élabore des fonds et parfois des ambiances, joue avec les tons et les volumes, et, bien entendu, joue comme un virtuose des partitions de lignes. La qualité de la facture plaît au plus exigeant et projette un dessin puissant."

Texte de Marianne de Tolentino

Traduction de Chloé De Bellefeuille Vigneau

Le Musée d’Art moderne offre aux visiteurs la délicieuse exposition d’estampes de Picasso. Ensuite, au second étage, une substantielle exposition de Yoryi Morel. Et, juste en face, occupant la moitié d’un étage, Caricaturola se propose à un contemplateur séduit par ce qu’il vient de voir. C’est une troisième exposition, qui ne détonne pas, à la fois une bonne peinture et ingénieuse. José Mercader, dont la première apparition à Santo Domingo a été à la galerie "Nouveau" de Porfirio Herrera, présente plus d’une centaine de caricatures. Une exposition parfaite pour le public de la Foire du livre et pour tous ceux qui aiment les œuvres débordantes de réalité et de fantaisie. Malgré la quantité de dessins similaires en format, traitement et proposition, on ne se fatigue pas et l’intérêt se renouvelle à chaque image.

La Caricature

Caricaturola, comme son nom le signale, est une exposition de caricatures, s’appropriant des traits de personnalités, en les déformant et les chargeant ( caricare signifie charger ) d’effets humoristiques. Ce genre, qui existe depuis l’Antiquité, s’est développé dans le Moyen Age, a fleuri dans les XVIIIe et XIXe siècles et s’est popularisé définitivement, propagé par les vignettes comiques. La tendance satirique domine, plus ou moins offensive. Les buts varient de la simple dérision sympathique, en passant par le dénigrement, à la dénonciation. Il peut susciter autant le sourire complice que des réactions violentes, dépendamment du sujet et du spectateur !

José Mercader a sous-titré l’exposition Hommage à Daumier, comparaison qui surgit avant de lire la dédicace, malgré une différence absolue entre les deux, et même s’il s’agit d’une source purement spirituelle. Daumier, artiste français du XIXe siècle, est considéré maître universel de la caricature. Conquérir les gens lui a coûté des mois de prison pour la représentation moqueuse du roi Louis-Philippe en forme de poire.

Malgré cela, Daumier n’a jamais cédé et a continué à fustiger, dans ses livres et lithographies, le pouvoir, la bourgeoisie et plus que tout la justice, avec un humour impitoyable. En même temps, il était un virtuose de la ligne, la forme et l’expression. Artiste très populaire, dont les prochaines estampes étaient très attendues, il n’a pas eu, de son vivant, la position qu’il méritait comme peintre remarquable, déjà expressionniste et sculpteur. Que Mercader se souvienne de cet illustre, courageux et jamais vulgaire caricaturiste, est un beau geste.

L’exposition

José Mercader, comme Daumier, excellent peintre, déploie, dans sa galerie de portraits, presque un temple de la renommée, les modèles et (anti)héros étant généralement des personnalités dominicaines. Nous avons découvert son talent pictural, qui densifie l’espace, élabore des fonds et parfois des ambiances, joue avec les tons et les volumes, et, bien entendu, joue comme un virtuose des partitions de lignes. La qualité de la facture plaît au plus exigeant et projette un dessin puissant.

L’artiste parcourt le panorama des gens publics dans les arts, le théâtre, les médias, la littérature, le folklore, le sport, les affaires, et surtout la politique - lesquels protagonistes sont partout les boucs émissaires des caricaturistes. Les hommes dominent quantitativement et nous préférons généralement leur interprétation réelle - fantaisiste, peut-être parce que l’auteur montre plus de considération envers les femmes.
Dans la majorité des oeuvres, José Mercader se limite au visage, aux expressions et aux traits.

Par ailleurs, quand il compose un tableau, la réunion de sorciers de deux ex-présidents, l’atmosphère vibre, et si on s’intéresse aux mains du communicateur et non seulement à sa mimique caustique, c’est une image percutante. Il y a des éléments anatomiques qui fascinent évidemment l’auteur : les oreilles- possédant une vie propre !- le regard et les lunettes et la grosseur sans compassion. Après s’être vu dans le miroir "mercaderien", le personnage affecté d’embonpoint n’a d’autre choix que de commencer une diète.

Si on le compare avec d’autres caricaturistes du passé et du présent, ce recréateur de physionomies bizarres, et parfois investigateur de consciences incertaines, ne dramatise pas les déformations, ne simplifie pas exagérément les traits, ni ne professe la cruauté.

[…] Même si quelques ressemblances sont assez terrifiantes, comme les visages du docteur Abinader et de l’économiste Ramón Albuquerque, José Mercader sait exprimer de la tendresse quand il représente Cándido Bidó, Freddy Beras ou Sonia Silvestre. Il aime faire ressortir le crâne imposant de Pepín Corripio, le front large de Andrés L. Mateo, la gourmandise intellectuelle de Alexis Gómez ! Un détail vestimentaire peut l’impressionner, que ce soit le chapeau de Guillo Pérez ou la coiffure de Dagoberto Tejeda. De plus, les laids, que nous ne mentionnerons pas, ne bénéficient d’aucune indulgence. Enfin, chaque tableau est un petit monde.

Psychologie du portrait

La férocité ne domine pas dans la veine caricaturesque de José Mercader. Il ne souhaite pas dégrader, blesser, ni condamner. Il n’est pas un pourchasseur de vices, de bizarreries ou d’erreurs. C’est un humoriste formidable, qui tire parti du réel observé avec une maîtrise magistrale pour aboutir en une qualité comique de représentants de la condition humaine.

Il faudrait analyser ses œuvres dans ce contexte aussi. José Mercader traite ses modèles, comme photographie ou ébauches de mémoire ?, plus comme des amis que des ennemis, et la truculence ne dégénère pas en irrespect. C’est un talent ludique qui évite le sarcasme et nous y répondons en nous divertissant, franchement et sainement. "Caricaturola" est une grande et originale exposition que nous devons tous voir.

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