Édition du 11 novembre 2025

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Quarante-cinq ans à défendre les chômeurs

Le nouveau livre de Pierre Céré - La tête de l’emploi

Au printemps 2024, quelques mois avant de prendre sa retraite, Pierre Céré a réalisé un projet dont il rêvait depuis quelques années : raconter les histoires vécues de personnes qui avaient perdu leur emploi et à qui on avait refusé leurs prestations d’assurance-chômage.

14 octobre 2025 | tiré de l’Aut’journal
https://www.lautjournal.info/20251014/quarante-cinq-ans-a-defendre-les-chomeurs

Lorsque je l’ai rencontré chez lui à Sutton, je lui ai demandé d’où lui était venue cette idée. « Au cours de ma carrière, m’a-t-il dit, j’ai tellement parlé du filet social que j’en étais fatigué moi-même. La loi de l’assurance-chômage, c’est plate, c’est compliqué. J’ai donc décidé d’en parler autrement en montrant le visage du chômage à travers 63 histoires que j’ai retenues parmi les centaines de personnes que j’ai défendues. »

Il a donc écrit ces histoires dans le livre La tête de l’emploi (Écosociété), dont certaines remontent à plus de 45 ans et dont il se souvient très bien parce qu’elles l’ont marqué. « Ce sont les histoires d’hommes et de femmes qui fuyaient une situation toxique, cherchaient une solution, mais qui, malheureusement, se sont retrouvés pris dans un goulot d’étranglement. Des gens que le système a refusé d’écouter et qui les a souvent méprisés. »

C’est à la fin des années 1970 que Pierre Céré a fait ses premières armes comme travailleur communautaire à Rouyn-Noranda au moment où le taux de chômage était effarant en Abitibi, il dépassait les 15 %.

Il revenait d’un voyage dans l’Ouest du Canada où il avait fait une foule de petits boulots. Sans le sou, sans domicile fixe, il s’est mis en tête de créer le « regroupement des chômeurs » à Rouyn-Noranda. Étrangement, il se bute alors à des groupes marxistes-léninistes qui le critiquaient pour son « déviationnisme économiste ». On lui reprochait de se cantonner dans l’aide individuelle plutôt que de se lancer dans l’action collective visant de grands changements. Ce qui a eu pour effet de décourager ses coéquipières.

L’orage de la critique s’est heureusement dissipé, et il a poursuivi ses démarches pour créer un nouveau collectif. Avec l’aide du Syndicat des travailleurs de l’enseignement du Nord-Ouest québécois (STEENOQ affilié à la CEQ, l’ancêtre de la CSQ), il a pu signer un bail d’un an à Noranda, à un pâté de maisons de la Fonderie Horne.

Mais Pierre n’a pas étudié le droit à l’université, c’est un autodidacte qui a appris sur le tas, avec un coaching de l’aide juridique de Rouyn-Noranda et l’aide de Louise du Mouvement Action Chômage de Montréal.

« Souvent, j’accompagnais les chômeurs au bureau d’assurance-chômage. C’est comme ça que ça marchait à l’époque, on pouvait rencontrer les fonctionnaires dans leur bureau, contrairement à aujourd’hui où il est quasi impossible de rencontrer un enquêteur de l’assurance-emploi. »

Lorsque le fonctionnaire refusait de revoir sa décision, il demandait au chômeur de réunir ses amis et de retourner le lendemain pour occuper le bureau de l’assurance-chômage. « On était des vrais cow-boys, on faisait de l’action directe pacifiste », dit-il en riant.

Et ça fonctionnait. Sa moyenne au bâton était autour de 90 %. Car contrairement aux fonctionnaires qui doivent prendre une décision rapidement, Pierre prenait le temps d’écouter la personne qui avait perdu son emploi, ce qui lui permettait d’expliquer au Tribunal administratif de l’assurance-emploi les vrais motifs du congédiement, que ce n’était pas pour inconduite, ou que ce n’était pas un départ volontaire, comme le prétendait l’employeur.

Le livre couvre une longue période, de 1979 à 2025, de Rouyn-Noranda à Montréal. Après avoir quitté l’Abitibi, Pierre a été coordonnateur du Comité Chômage de Montréal de 1987 à 2024 et porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses.

Les histoires de cas qu’il relate dans son livre nous font parfois rire, rager ou pleurer. Des histoires comme celle de Simon, qui venait d’être suspendu sans solde pour une période de six mois, parce qu’il avait trafiqué des certificats médicaux. La preuve était claire. Des vérifications avaient été effectuées auprès de la clinique médicale où il avait volé le carnet d’un médecin.

La fonctionnaire, une certaine Mireille, a éclaté de rire quand Pierre lui a annoncé qu’il faisait appel de sa décision. En prenant le temps de discuter avec Simon, celui-ci avait fini par lui confier qu’il souffrait de troubles chroniques de sommeil qui lui causaient une kyrielle de problèmes. Après plusieurs démarches, Simon a été orienté vers une clinique spécialisée d’un grand hôpital de Montréal. Il a été soigné, et a bénéficié d’un traitement contre la dépression.

La fabrication de faux certificats s’expliquait alors, les arguments ont été exposés. La directrice des ressources humaines de l’entreprise écoutait. Le résultat heureux de cette mésaventure, ce fut non seulement un gain devant le Conseil arbitral et la possibilité pour Simon de recevoir des prestations de chômage, mais à la suite de ce jugement, la compagnie lui offrit même de le réembaucher.

Cet essai se lit comme un roman, il est écrit dans une langue vivante, teintée d’humour et remplie d’humanité. Bref, si vous voulez tout savoir sur le fonctionnement de l’assurance-emploi et l’histoire de l’assurance-chômage, faites-le de manière agréable en lisant La tête de l’emploi. Ce sera plus divertissant que de lire la Loi sur l’assurance-emploi et toute la jurisprudence.

Luc Allaire

Conseiller CSQ.

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