Édition du 3 décembre 2024

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Afrique

Quelles alternatives face aux fausses solutions promues par la Banque africaine de développement ? : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique (Partie 3)

Dans la partie 1, vous avez lu l’analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle quelle est développée dans un rapport d’octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». Dans la partie 2, nous avons abordé avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport. Cette partie 3 poursuit l’analyse des fausses solutions et apporte des conclusions en lien avec la déception du sommet de Paris du 22 et 23 juin 2023 pour un « Nouveau Pacte Financier Mondial » ainsi que les propositions alternatives de ATTAC et du CADTM. Cette partie 3 porte sur les alternatives éventuelles aux fausses solutions citées plus haut. Les obligations vertes sont-elles une alternative ? Quelles critiques peut-on en faire ? Quelles sont les recommandations de l’association ATTAC concernant la finance dite verte ? Quelle est la politique européenne dans ce domaine ? Enfin, quelles sont les recommandations du CADTM sur ces différentes questions ?

Tiré du site du CADTM.

1) Le plan d’action « relance verte » de la BAD (2021-2027)

Il est proposé à l’Union Africaine en Juillet 2021 pour une durée de 5 ans. Ces Cinq priorités concernent le financement climatique, les énergies renouvelables, la nature et la biodiversité par la gestion durable des terres, forêts et océans ainsi que par l’écotourisme, l’agriculture résiliente, les villes vertes. Pour réaliser ces objectifs, le plan encourage les opérations de dettes innovantes telles que les obligations dites vertes ou bleues. Il faut assurer une bonne coordination entre les États membres, assurer le soutien des partenaires internationaux. Nous apportons une critique de cette politique orientée principalement vers les obligations vertes dans la partie qui suit.

2) Les obligations vertes : mécanismes pour lier les dettes souveraines aux résultats sur le plan climatique et écologique

Sur le site du gouvernement français, voici comment on définit une obligation verte : « Une obligation verte est un emprunt émis sur le marché par une entreprise ou une entité publique auprès d’investisseurs pour lui permettre de financer ses projets contribuant à la transition écologique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion durable des déchets et de l’eau, exploitation durable des terres, transport propre et adaptation aux changements climatiques...), plus particulièrement les investissements en infrastructures. Elle se distingue d’une obligation classique par un reporting détaillé sur les investissements qu’elles financent et le caractère vert des projets financés ».

Des OBLIGATIONS VERTES sont émises en 2007 par la Banque européenne d’Investissement puis en 2008 par la Banque Mondiale. Elles se divisent en deux catégories : les obligations durables traditionnelles ou à utilisation ciblée comme les obligations vertes et bleues et les obligations liées aux Objectifs de Développement Durables (ODD) qui sont conditionnelles et en principe essentiellement réservées au secteur privé (avec l’exception des obligations ODD émises par le Chili en mars 2022. Cependant le mouvement de la « La Relance Verte » essaie de mettre au point un modèle plus adapté aux obligations ODD de type souveraines).

Les agences gouvernementales, les institutions multilatérales, les conseillers juridiques et financiers, les ONG environnementales ont essayé de mettre en place une stratégie d’accompagnement pour conseiller les structures de financement les plus adaptées (entre les échanges de dette-nature, l’obligations à utilisation ciblée et les obligations liées aux ODD) en fonctions des objectifs poursuivis, des besoins identifiés et du profil d’endettement du pays. (Voir le tableau comparatif p35 dans le rapport de la BAD)

a) Les obligations à objectifs ciblés ou obligations durables traditionnelles

Elles sont émises contre l’engagement d’affecter au moins une partie des fonds à
un projet connu d’avance lié au Développement Durable. En contrepartie les
détenteurs de obligations doivent accepter des rendements moins élevés. Cet
écart est appelé PRIME VERTE ou GREENIUM.

Par exemple, le Bénin, le 15 juillet 2021, a émis des obligations ciblant deux objectifs de développement durable : l’environnemental et le social et 15 des 17 ODD définis par les Nations Unies (l’accès à l’eau, l’énergie, l’agriculture, l’éducation, la santé, le logement, la conservation de la biodiversité...). L’atteinte de ses objectifs a été évalué grâce à des Indicateurs Spécifiques. Il a récolté 500 millions d’euros avec une rendement à 5,25% ce qui a permis la constitution d’une Prime verte de 20 points de base. 91% des obligations émises ont été souscrites par des investisseurs ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance).

Ces obligations vertes sont des instruments prédominants aujourd’hui sur les marchés, bien plus que les traditionnels échanges dette-nature. En 2021, les banques facilitatrices de ces obligations ont remporté plus de commissions sur les transactions vertes que sur les énergies fossiles et celles-ci ont encore augmenté de 1,4 milliards de USD de 2020 à 2021 ( chiffres du rapport de la BAD).

Malgré cet engouement, on peut souligner des inconvénients : elles ne disposent pas de mécanisme de surveillance intégré à la structure permettant de vérifier si les fonds sont bien utilisés par les gouvernements pour la conservation.

Le cadre législatif national n’oblige pas à la destination des ressources. Il y a donc une crainte justifiée d’écoblanchiment, "ce qui conduirait à une dépréciation des primes vertes. On peut s’attendre aussi à ce que les gouvernements en raison d’urgences sociales ou de santé préfèrent utiliser des fonds pour d’autres dépenses publiques que celles liées à l’environnement. Les gouvernements n’ont pas intérêt à être trop contraints quant à la destination des financements vu les instabilités circonstancielles » nous explique la BAD. Ce type d’obligations ciblées est donc plus adapté aux pays ayant accès aux marchés internationaux et cherchant un financement pour un projet environnemental spécifique mais par contre il ne convient pas aux pays surendettés qui veulent améliorer la viabilité de leur dette à long terme et pour lesquels les obligations liées aux ODD sont plus pertinentes.

b) Les obligations liées au développement durables

Elles sont plus récentes et apparues avant la pandémie. Elles s’adressent principalement au secteur privé. Elles sont émises à un taux inférieur à celui du marché. Elles sont indexées à un ou plusieurs ODD (objectifs de Développement Durable) et dépendent d’Indicateurs Clés de Performance (ICP) à atteindre à une échéance précise. Des normes de bonnes pratiques sont définies. L’encadrement méthodologique est plus précis et contrôlé. Elles présentent l’avantage d’un plus grand choix d’affectation des fonds mobilisés. Elles sont utilisables pour combler des déficits budgétaires, refinancer des dettes existantes... « Elles sont plus transparentes pour les créanciers et peuvent plus difficilement cacher des écoblanchiments »

Selon le rapport de la BAD, « Des experts secondaires peuvent évaluer à mi-chemin les progrès effectués sur base des ICP et les paramètres financiers peuvent être modifiés si les conditions ne sont pas remplies dans la première partie. Le taux d’intérêt peut être relevé et un coupon progressif peut être émis dans le secteur privé, le paiement d’une prime supplémentaire à l’amortissement ou coupon dégressif en cas d’atteinte ou un système d’ajustement pondéré peut être mis en place en fonction des ICP plus ou moins respectés. Ces obligations peuvent avoir des retombées positives et ne détériorent pas la prime verte ». Une obligation ODD souveraine est attendue et le groupe POTOMAC (cabinet de conseil pour les PME, investisseurs, grands groupes et fonds d’investissement) et la Banque Mondiale y réfléchissent. En effet, les conséquences de la non atteinte d’ICP sont différentes quand il s’agit d’un acteur privé car un État souverain ne peut pas faire faillite. Ils ont besoin d’un cadre juridique pour permettre l’analyse et l’audit par un tiers.

« Un créancier reçoit le paiement d’un coupon à un taux inférieur au marché. La différence est transférée par le gouvernement dans un fonds fiduciaire extraterritorial, subventionné par des donateurs. Si les ICP ne sont pas réalisés, le créancier reçoit la part versée par le souverain dans ce fonds, un rendement cette fois au taux du marché. Si les ICP sont atteints, le souverain reçoit un paiement en espèce de la fiducie (la différence de rendement auquel s’ajoute un fonds supplémentaire). Pour qu’un Etat puisse être intéressé, il faut que l’atteinte des ICP lui apporte une plus-value plus importante, ou que l’obligation se réalise à une plus large échelle. Un simple ajustement de coupon serait insuffisant à ses yeux. »

c) Les obligations ODD de la BOAD

Dans son article « L’Afrique lance aussi ses obligations vertes » publié le 2 juin 2021 sur le site du Figaro, Anne Cheyvialle, journaliste spécialisée en économie internationale, décrit le phénomène avec enthousiasme.

Depuis 2020, la banque ouest africaine BOAD lance sa première obligation à objectif durable (pour un montant de 750 millions d’euros, sur 12 ans, sursouscrite 6 fois, avec une demande totale de 4,4 milliards d’euros) « Elle a attiré, dès le début, 260 investisseurs internationaux avec un taux attractif de 2,75%, bien inférieur au prix de marché. À titre de comparaison, le coût moyen des eurobonds sur des émissions d’une durée de dix à quinze ans, réalisées entre 2018 et 2020, a atteint 7,5 %, selon une récente étude de l’Agence française du développement sur la soutenabilité des dettes africaines ». Ainsi, en mars, le Ghana a emprunté pour 1 milliard de dollars à douze ans au taux de 8,625 % !

« Les obligations vertes et sociales de la BOAD ont beaucoup de succès pour diverses raisons. Tout d’abord, elles sont en accord avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations unies. Elles visent prioritairement à financer les secteurs de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, des énergies renouvelables, des infrastructures de santé, de l’éducation et l’habitat. Des objectifs de résultats par rapport à ses ODD sont inscrits dans le plan stratégique de la BOAD à horizon 2025. Ensuite, nous avons vu que leur taux d’intérêt sont compétitifs. Enfin, elles présentent des garanties de transparence (grâce à un fléchage rigoureux des projets, un reporting précis) qui attirent les grands gestionnaires d’actifs et les fonds de pension. Ces derniers apprécient aussi le fait que ces emprunts puissent être de longue durée ce qui est nécessaire pour financer par exemple des projets d’infrastructure pour les énergies et les transports renouvelables. »

Basée à Lomé, la BOAD intervient dans huit pays – le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo - de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Un des premiers projets financés par l’émission pourrait être une centrale solaire au Bénin.

Le cas des obligations ODD du Bénin

Le Bénin a été retenu en 2018 pour participer au programme pilote conjoint du FMI et de l’ONU portant sur l’évaluation des besoins de financement pour l’atteinte des ODD, aux côtés de 4 autres pays à travers le monde. À la fin seuls deux pays africains ont été sélectionnés dans cette liste restreinte. Suite à cette sélection, le Bénin publie un document-cadre d’émission obligataire ODD en juillet 2021 fort étayé et bien présenté qui fait rêver, à la manière d’un prospectus publicitaire. Dans son introduction, Romuald WADAGNI, le Ministre d’État chargé de l’Économie et des Finances et du Plan, en précise l’intention. Ce document cadre d’émission obligataire ODD vise à intégrer l’Agenda 2030 des Nations Unies à toute l’action publique du Bénin. Sur base d’un diagnostic et d’une analyse chiffrée de la situation du Bénin au regard des ODD, après concertation avec différentes parties-prenantes pour une planification stratégique budgétisée, il présente la stratégie de financement extérieur via les marchés internationaux de capitaux. Le Bénin veut ainsi offrir aux investisseurs une transparence accrue sur l’utilisation des fonds levés. Comme garantie, il signale que l’agence Vigeo Eiris (V.E.) a attesté de sa conformité aux meilleurs standards pratiques de marché en finance durable (obtenant le score le plus élevé) et précise qu’il jouit d’un partenariat technique innovant avec le Réseau des solutions de développement durable des Nations unies (SDSN).

« Ce partenariat technique avec une organisation qui travaille sous les auspices des Nations unies et est spécialisée dans le diagnostic et la documentation des tendances ODD permettra de suivre les progrès accomplis, d’évaluer la pertinence des politiques publiques menées, ou encore d’identifier les lacunes à combler, permettant ainsi une réorientation et une adaptation des politiques ». Le Bénin souhaite élargir sa base d’investisseurs internationaux, partenaires financiers bilatéraux et multilatéraux, mais aussi et avant tout d’investisseurs privés béninois.

Pourtant, en lisant les avertissements à la fin du document, on comprend aussi les limites et la fragilité de cette présentation stratégique d’investissement.

En effet, on comprend qu’il n’a finalement aucune valeur juridique, aucune obligation d’exactitude, intégrité, caractère raisonnable et exhaustivité des informations ; aucun devoir de rectification s’il y a erreur ou de réactualisation en cas de changement données. Il ne s’agit pas de promesses ou de prévisions mais juste d’hypothèses prospectives.

Il n’y pas de vérification ou d’évaluation extérieure aux parties prenantes, indépendante et impartiale. Le document n’a aucune valeur juridique ou contractuelle contraignante. Le document n’est pas approuvé par une autorité réglementaire financière. Il n’y pas d’obligation de résultat ou même de respect des objectifs défendus, aucun recours n’est possible contre l’État dans ces cas-là.

« Un manquement de la République du Bénin au titre de ce Cadre ne constituera pas un cas de défaut ou un manquement à une quelconque obligation contractuelle des termes et conditions de tout titre émis en référence au présent Cadre, y compris si des projets éligibles ne sont pas financés ou ne sont pas réalisés, si un financement, directement ou indirectement, bénéficie à des activités exclues, si les rapports sur l’utilisation des produits et les impacts environnementaux ne peuvent être remis aux investisseurs conformément au présent Cadre en omettant (en raison d’un manque d’informations et/ou de données fiables ou autre), ou de toute autre manière ».

Pas de garantie non plus face à des catastrophes externes ou internes. Seuls les investisseurs sont rendus entièrement responsables.

« Sur la base de ce qui précède, toute responsabilité, qu’elle soit délictuelle, contractuelle ou autre que tout acheteur de titres ou toute autre personne pourrait autrement avoir en lien avec le présent cadre ou tout titre émis par la République du Bénin lié à un manquement au titre de ce cadre est par les présentes exclue dans toute la mesure permise par la loi ».

Malgré ces avertissements, les obligations ODD du Bénin remportent un grand succès comme le clame Romuald Wadagni, le Ministre d’Etat de l’Economie et des Finances béninois, dans un article intitulé « Le Bénin réussit sa première émission d’un Eurobond ODD » publié sur le site de Financial Afrik le 16 juillet 2021. Il se réjouit de cette première émission d’obligations internationales dédiées au financement de projets à fort impact sur l’atteinte des Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies, la première émise par un Etat africain, pour un montant de 500 millions d’euros (328 milliards FCFA), avec une échéance de remboursement fixée en 2035.

« A cet effet, une délégation officielle de la République, conduite par, M. Romuald Wadagni, a tenu des entretiens bilatéraux avec un grand nombre d’investisseurs institutionnels internationaux de premier plan, organisés les 13 et 14 juillet 2021. Les investisseurs ont adhéré aux réalisations et au programme social du gouvernement du président Patrice Talon. Cet Eurobond a été conclu à un coupon de 4,95%, traduisant la confiance des investisseurs en la signature du Bénin. Une prime négative de nouvelle émission de 0,20 point de pourcentage a été obtenue, traduisant l’appétit significatif des investisseurs pour cet instrument innovant. Le niveau de sursouscription a représenté près de 3 fois le montant recherché. Une centaine d’investisseurs y ont participé, dont plusieurs pour la première fois pour une opération du Bénin. Le Bénin parvient donc à mobiliser des fonds à des taux plus bas que ceux des Eurobonds de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, deux poids lourds de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ». L’auteur de l’article espère qu’à la suite du Bénin, « beaucoup de pays africains s’engouffreront dans la nouvelle voie pour le financement équitable et vert de leur économie ».

d) Critique des obligations vertes

Malgré cet espoir, de nombreux avis contraires appellent à la prudence et émettent des réticences par rapport à la relance verte, cette forme de capitalisme vert, qui peut utiliser les obligations vertes et bleues, comme des opérations de marketing tout en continuant à nuire aux équilibres naturels et humains de notre planète.

Les obligations vertes ou bleues perpétuent le mécanisme vicieux de la dette qui engendre lui-même la destruction des systèmes de régulation publics et socialisés cherchant à protéger la nature, les biens communs et les intérêts des populations contre les abus de certains acteurs institutionnels et privés plus intéressés par des gains immédiats et particuliers. Les dangers du greenwashing et de l’écoblanchiment via ces obligations sont bel et bien réels.

Faire appel à des acteurs privés, guidés par la maximalisation du profit à court terme, et leur confier la gestion des problèmes mondiaux du réchauffement climatique ou la protection la biodiversité, dont notre survie à toustes dépend, ce n’est pas la stratégie que défend ATTAC et le CADTM. Ils revendiquent des changements plus structurels et profonds indispensables à une véritable bifurcation écologique et climatique et qui semblent inconciliables à leurs yeux avec des politiques néolibérales qui se sont révélées jusqu’à présent écocides, injustes, non démocratiques et meurtrières, politiques qui ne sont toujours pas remises en causes fondamentalement par les institutions internationales telles que le FMI, la Banque Mondiale ou la BAD, malgré les crises récurrentes et dramatiques qu’elles provoquent, en dépit de la colère croissante des populations des pays surendettés africains qu’elles ont continuellement lésées. Ces institutions s’obstinent à promouvoir coûte que coûte une même logique même si elles prétendent lancer des réformes pour une transition douce et durable, en invitant aujourd’hui le secteur privé à atténuer les effets dévastateurs les plus gênants du système capitaliste.

En fait le Font Monétaire International, La Banque Mondiale, les institutions européennes, la Banque Africaine de Développement essaient de garantir ce que jean Nanga appelle « le suprématisme du secteur privé », l’extension de son emprise sur nos existences, sur le vivant. Ils cherchent à « légitimer cette domination capitaliste en voie d’absolutisme, cette mondialisation marchande, ce totalitarisme du capital ».

Celui-ci est pourtant de plus en plus contesté par des mouvements sociaux qui résistent et protestent à travers le monde malgré la violence des répressions.

Dans son rapport de 2017 « La finance verte est-elle vraiment verte ? », ATTAC doute de l’efficacité des Green Bonds ( obligations vertes) et Climate Bonds ( obligations climat) à financer la bifurcation écologique et sociale espérée, une société sans carbone, écologiquement, socialement et démocratiquement saine.

Voici quelques points critiques des obligations vertes utiles pour notre analyse, exposés dans l’étude précitée :

1) Les obligations sont autoproclamées vertes ou respectueuses du climat la plupart du temps sur une base volontaire, en se basant sur des principes édictés mais qui n’ont aucune valeur contraignante. En effet, sur les 3493 obligations émises par 1128 institutions ou entreprises, de 2005 à 2017, seulement 25% étaient certifiées ce qui représente seulement 221 milliards de US.

2) Même si elles sont en pleine expansion (avec une hausse de 92% en 2016 qui se réduit à 59% en 2017), les obligations vertes ne représentent qu’une goutte d’eau par rapport au marché obligataire international global (seulement 0,1% en 2017 c’est-à-dire 100 000 milliards de USD sur un total de 700 000 milliards de USD !). Elles ne sont pas suffisantes pour répondre à l’importance de l’enjeu climatique. Selon le rapport « Mobilising Bond Markets or a low carbone transition » de l’OCDE en 2017, « les obligations vertes pourraient atteindre 5000 Milliards de USD en 2035 et augmentent annuellement de 700 milliards de dollars annuellement mais nous avons besoin de 2260 milliards de dollars annuels en 2035 pour permettre une diminution du carbone suffisante afin de ne pas dépasser la limite des 2°c de réchauffement climatique préconisée par le GIEC ».

3) Les institutions internationales et les gouvernements réalisent un effet d’annonce important mais ne mettent rien en place pour éviter que ces obligations vertes ne soient utilisées que comme des opérations de greenwashing par les géants pollueurs publics ou privés.

4) Aucune liste précise des projets financés par cette voie n’a été publiée.

5) Le fait que certaines obligations vertes soient validées par les agences de notation comme Vigéo n’est pas une garantie suffisante car beaucoup de projets que cet organisme a certifié sont aujourd’hui controversés au point de vue social ou écologique.

6) Il est important que les obligations vertes exclues certains secteurs incompatibles avec les objectifs verts et sociaux poursuivis tels que les énergies fossiles, le nucléaire, l’armement et qu’ils soutiennent d’autres importants pour assurer la transition : le transport, le bâtiment, l’énergie renouvelables, tout ce qui protège la biodiversité et favorise l’adaptation au changement durable.

7) Les obligations vertes ne doivent pas être qu’un effet d’aubaine ou un coup de com bon marché. Elles doivent servir à financer des projets d’infrastructures vertes sur le long terme.

8) Il n’y a pas de certification verte standard communément admise et externe, impartiale même si certaines initiatives comme la Taxonomie verte de la Commission Européenne semble avancer dans ce domaine ( voir plus loin la partie sur les avancées européennes dans la finance durable)

9) Les critères ne sont pas contraignants et ne sont que des recommandations

Il existe des labels internationaux et des initiatives volontaires pour réguler la finance verte : les Green Bond Principles et la Climate Bonds Initiative qui rendent publics les critères pour encadrer les obligations vertes et l’Union Européenne a aussi rendu public en 2020 son « Standard Européen d’Obligations Vertes » ( voir la partie consacrée aux avancées européennes dans le finance durable).

Les Green Bonds Principles (GBP) sont admis par 150 membres principalement des acteurs financiers et 114 observateurs dont le WWF. 270 sur 567 obligations émises en 2016 proviennent des membres du GBP et malheureusement, l’on peut constater que la plupart ne respectent pas eux-mêmes leurs principes comme par exemple Engie, UnibailRodamco ou la BAD qui ne rendent pas publique la liste des projets verts qu’ils soutiennent alors que cela fait partie des préconisations GBP. Autre exemple, Engie, émet des obligations vertes GBP qui indirectement participent à la destruction de l’Amazonie et violent les droits des autochtones sur les terres faisant l’objet de déforestations pour construire les barrages « durables » soutenus par Engie ! On ne tient pas compte de l’effet rebond c’est-à dire du fait qu’ Engie, par exemple, utilise des obligations vertes pour financer des projets d’efficacité énergétiques et d’infrastructures durables... d’usines qui vont finalement contribuer à émettre d’avantage de Gaz à Effet de Serre nocifs pour l’environnement. C’est donc très contradictoire et controversé.

Les Climate Bonds Standards (CBS) sont un peu plus strictes et détaillés. Au moins, à la différence des CBS, ils excluent les énergies fossiles, l’extraction d’uranium, les barrages, la capture et le stockage de carbone. Néanmoins, souvent, ce qui compte le plus pour les investisseurs, ce qui est vraiment évalué, c’est la cote que ces obligations ont sur les marchés or celle-ci dépend plutôt de leur rentabilité que du respect des normes vertes avancées qui ne sont pas souvent vérifiées. Il n’y a pas de contrôle à posteriori.

De toute manière, aussi bien les GBP que les CBS sont admis sur base volontaire, non assortis de sanctions ou de réduction de cote en cas de non-respect des principes convenus et les violations des droits humains ne sont pas prises en compte.

10) On n’évalue ni la qualité ni l’atteinte des objectifs et surtout, on n’évalue pas la qualité de l’institution ou de l’entreprise qui émet les obligations dans son ensemble or ce sont souvent des acteurs fort pollueurs qui utilisent les obligations vertes pour séduire l’opinion publique. Peu nous importe qu’ils financent une activité durable avec des obligations vertes si par ailleurs ils continuent à promouvoir globalement une majorité d’actions néfastes pour l’environnement. Par exemple, Repsol est la première compagnie pétrolière à émettre une obligation verte pour prolonger la durée de vie ...de ses raffineries ! Elle a émis 500 millions d’euros d’obligations vertes à échéance pour 2022 pour financer l’efficacité énergétique de raffineries énergétiques et d’usines chimiques en Espagne et au Portugal ce qui lui a permis de diminuer de 1,2 millions de tonnes de CO2 sur un total de ... 20 millions de tonnes de CO2 qu’elle continue à dégager par an ! Ces obligations vertes ont été certifiées GBP et elle a passé l’examen externe de Vigéo ! Repsol n’a rien mis en place pour contrer cet effet rebond !

11) Les agences de notations comme Moody’s notent les obligations vertes en fonction de la capacité des émetteurs à rembourser leur dette obligataire. GB1 est excellent, GB5 est très mauvais. Les obligations de l’aéroport de Mexico sont notées GB1 alors qu’au bout du compte le projet promeut une activité polluante très nocive pour l’environnement et le climat - le transport aérien - même si par ailleurs il est alimenté par des panneaux solaires, économise l’eau et est neutre en carbone.

12) Quelles sont donc les garanties ? La Pologne est un des premiers pays à avoir émis des obligations vertes alors que d’un autre côté, c’est un État qui freine fortement les négociations pour plus de prise en compte des impératifs climatiques et écologiques lors des COP et qu’il a du mal à renoncer au développement de ces centrales productrices de charbon. La certification verte ne peut être accordée sans tenir compte du contexte plus global. Il faut que les acteurs émetteurs d’obligations vertes soient cohérents et prennent activement part à une stratégie globale en faveur du climat et de l’environnement, qu’ils ne se contentent pas seulement de quelques actions superficielles pour reverdir leur réputation.

13) Des taux d’intérêts des obligations vertes moins élevés pourraient encourager le changement

14) Pour l’instant, l’émission d’obligations vertes est restreinte aux opérateurs bénéficiant d’une grande assise financière (gouvernements, transnationales, banques etc.) mais ce serait intéressant que de petites et moyennes entreprises, des coopératives, des collectivités locales bien ancrées localement et conscientes des enjeux sociaux, démocratiques et écologiques puissent aussi émettre des obligations vertes pour financer des projets durables participatifs et locaux. Vaut-il mieux financer une petite entreprise développant des énergies renouvelables ou bien EDF, le champion nucléaire pour une activité qui sert à reverdir son image ou la Chine qui finance avec les obligations vertes les infrastructures durables...de sa nouvelle route de la soie (OBOR) ! Car la certification verte devient parfois un prétexte pour remporter des parts de marché dans un contexte de compétition internationale.

Après la crise financière de 2007-2008 et face aux manipulations du greenwashing, peut-on encore faire confiance au marché financier non régulé ? Quelles sont les recommandations tirées du rapport d’ATTAC sur la finance verte ?

3) Les recommandations sur la finance verte d’ATTAC

1) Assurer la régulation du marché obligataire vert par les pouvoirs publics

2) Établir un cadre clair et précis, avec un stand européen ou international garanti par un régulateur public

3) Tenir compte dans la certification de la qualité de l’émetteur, de l’ensemble de ses activités soutenables ou en cours de transition, et de l’engagement manifeste de l’émetteur dans la transition

4) Exclure fermement et définitivement tout projet climaticide et écocide relatif aux énergies fossiles, au nucléaire, aux agro carburants, à de grands barrages, au stockage ou captage de carbone, des incinérateurs à haut niveaux de déchets.

5) Garantir la transparence, la vérification des résultats sur base d’études d’impacts préalables et prévoir des sanctions par le régulateur avec une possibilité de décertification en cas de non-respect des normes

6) Créer une nouvelle agence de notation impartiale et publique pour encadrer les obligations vertes, financée par des fonds européens, internationaux ou par une taxe sur les transactions financières ne concernant pas les produits verts. Elle serait composée d’un collège tripartite (avec des représentants des investisseurs, des syndicats et d’ONG). Son évaluation des projets financés portera sur leur totalité en tenant compte des dimensions sociale, écologique, climatique et démocratique. Elle pourra dégrader la note et sanctionner financièrement les émetteurs si les engagements annoncés ne sont pas satisfaits, si l’information communiquée n’est pas correcte, manipulée ou pas disponible pour le public et les investisseurs concernés.

7) Contraindre l’ensemble du marché obligataire à respecter l’environnement et devenir compatible avec les impératifs climatiques et pas seulement une partie minime et marginale du marché consacrée aux obligations vertes. Interdire tout investissement dans les secteurs climaticides et augmenter la régulation et le contrôle par les pouvoirs publics dans ce domaine.

8) Créer de nouveaux canaux financiers à un taux d’intérêt avantageux pour les petits acteurs qui n’ont pas accès au marché obligataire et qui pourraient développer des projets locaux participatifs favorables à l’environnement, au développement durable et au climat notamment grâce à l’épargne publique et de nouveaux crédits bancaires

9) Créer une banque publique dotée de moyens suffisants pour financer des investissements à long terme nécessaire à la bifurcation écologique et sociale sans être directement prisonniers des critères de rentabilité économique à court termes qui caractérisent la majorité des investissements privés.

4) Avancées européennes en matière de finance verte

Sur le site du Conseil de l’Europe, on constate différentes propositions de directives récentes qui montrent que les institutions européennes bien que très favorables aux obligations durables, qu’elles considèrent comme l’un de leurs principaux instruments de lutte contre le réchauffement climatique et pour la transition durable, et bien qu’elles soient prêtes à en émettre elles-mêmes, sont aussi conscientes de certains problèmes évoqués précédemment et certains membres essaient de légiférer pour mieux contrôler leurs dérives potentielles.

Tout d’abord, le 25 septembre 2019, elle publie un communiqué de presse relatif à un accord sur une proposition de création d’une taxonomie unifiée à l’échelle de l’UE, c’est-à-dire sur un système de classification commun qui définisse clairement ce qu’est une activité économique durable sur le plan environnemental car elle reconnaît que jusque-là, il n’en existe aucun.

Le 8 novembre 2019, le Conseil adopte deux règlements sur la finance durable. L’un introduit des obligations de publication d’informations sur la manière dont les sociétés financières intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions en matière d’investissement. Le deuxième crée de nouveaux types d’indices de référence visant à donner davantage d’informations sur l’empreinte carbone d’un portefeuille d’investissement.

Le 7 mars 2019, le conseil publie un communiqué de presse annonçant un accord provisoire entre le Conseil de l’Europe et le Parlement européen sur la proposition d’introduire des obligations de transparence concernant la manière dont les sociétés financières intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs décisions d’investissement.

Le 4 octobre 2022, le Conseil approuve des conclusions dans lesquelles il est fermement résolu à obtenir des résultats en ce qui concerne le Financement de l’action climatique, dans la perspective de la conférence des Nations unies sur le climat (COP27) qui s’est tenue à Charm el- Cheikh. Le Conseil a rappelé que l’UE et ses États membres étaient les plus grands contributeurs au financement public international de l’action climatique et que, depuis 2013, ils avaient plus que doublé leur contribution au financement de l’action climatique pour soutenir les pays en développement. Le Conseil a également invité les autres donateurs à intensifier leurs efforts et espère que l’objectif collectif de réunir 100 milliards de dollars par an pour financer l’action climatique sera atteint en 2023. Cette promesse n’a toujours pas été tenue actuellement.

Dans un graphique, le Conseil de l’Europe reprend les contributions de l’Europe au financement de l’action climatique des pays en développement qui ont plus que doublé de 2013 à 2021 dont voici les chiffres :

L’UE et ses États membres ont mobilisé pour l’action climatique des PVD :

9,60 milliards d’euros en 2013

14,5 milliards d’euros en 2014

17,6 milliards d’euros en 2015

20,2 milliards d’euros en 2016

20,4 milliards d’euros en 2017

21,7 milliards d’euros en 2018

23,2 milliards d’euros en 2019

23,4 milliards d’euros en 2020

23,0 milliards d’euros en 2021

Ces chiffres comprennent les fonds provenant des budgets publics et des institutions de financement du développement de l’UE, de ses États membres (y compris le Royaume-Uni) et de la Banque européenne d’investissement.

Le 13 avril 2022, le Conseil arrête sa position sur les obligations vertes européennes considérées comme l’un des principaux instruments de financement des investissements liés aux technologies vertes, à l’efficacité énergétique et à l’utilisation efficace des ressources, ainsi qu’aux infrastructures de transport et de recherche durables. L’UE prend de nouvelles mesures pour mettre en œuvre sa stratégie relative au financement de la croissance durable et de la transition vers une économie neutre pour le climat et efficace dans l’utilisation des ressources. Le règlement concerné définit des exigences
uniformes applicables aux émetteurs d’obligations qui souhaitent utiliser l’appellation « obligation verte européenne » ou « EuGB » pour les obligations durables sur le plan environnemental qu’ils proposent aux investisseurs dans l’Union, et établit un système d’enregistrement et un cadre de surveillance pour les examinateurs externes d’obligations vertes européennes.

Maintenant que le Conseil a arrêté sa position sur la proposition, il est prêt à entamer des négociations avec le Parlement européen afin de parvenir à un accord sur une version définitive du texte.

Le 28 février 2023, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord provisoire sur la création sur la création d’obligations vertes européennes (EuGB). Le nouveau règlement vise à prévenir l’écoblanchiment sur le marché des obligations. Les émetteurs d’obligations seront en mesure de démontrer qu’ils financent des projets écologiques alignés sur la taxinomie de l’UE, tandis que les investisseurs pourront identifier plus facilement les obligations vertes de haute qualité.

Conclusions

Les échanges dette-nature, sous leurs formes variées, innovantes et médiatiquement séduisantes, malgré les efforts d’adaptation aux circonstances aggravantes, aux différents types de débiteurs et de créanciers concernés, ne peuvent répondre au surendettement, aux obstacles au développement durable et au réchauffement climatique qui mettent l’Afrique en danger, sans une remise en cause radicale du système capitaliste, extractiviste et écocide qui continue à engendrer et exacerber ces réalités problématiques.

a) Les résultats décevants du sommet de Paris de juin 2023

Lors du sommet de Paris de juin 2023 chapeauté par Emmanuel Macron, le président français pensait trouver, à travers un nouveau pacte financier, un consensus pour lutter à la fois contre le réchauffement climatique et le surendettement des pays africains entre autres au moyen d’une nouvelle relance verte, basée sur les obligations vertes et l’investissement croissant du secteur privé, stratégie encouragée par la Banque Africaine de Développement comme nous venons de le voir. D’ailleurs Akinnwumi Adesina, le président de la BAD, a profité de cette occasion pour résumer en 7 points sa vision très néolibérale des réformes qu’il souhaite entreprendre. L’article du Monde Afrique publié le 21 juin 2023 en reprend les grandes lignes.

« Il s’agit de s’attaquer en priorité au changement climatique (1) et aussi de faire face aux crises croissantes de la dette dans le monde (2), en particulier en Afrique. Dans cet objectif, il faut déclencher des fonds et instruments financiers urgents mondiaux via la Banque Africaine de Développement (nous en avons eu un aperçu dans les parties 1, 2 et 3 de cette étude) et le FMI (3). Il faut changer les modèles opérationnels des institutions financières multilatérales (4) et renforcer l’effet de levier du financement du développement par le secteur privé (5) de manière à augmenter le capital libéré des Banques Mondiales de Développement (6). Enfin, il faut promouvoir les efforts régionaux pour s’attaquer aux risques systémiques en Afrique par le Mécanisme Africain de Stabilité Financière (7). »

Le sommet n’a pas remporté l’adhésion des pays africains malgré quelques nouvelles restructurations ou transfusions accordées.

En effet, les états ne se sont pas accordés sur la clause de « dette résistante au climat » ou « clause des catastrophes naturelles » pour laquelle la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, a longuement bataillé, sur laquelle un certain soutien international avait semblé émerger et qui a pour objectif de permettre la suspension des remboursements de la dette en cas de désastres naturels. Il ne met pas en place des fonds d’adaptation mais aussi de réparations écologiques et climatiques qui pourraient justifier des annulations massives de dettes ou des financements directs. Que prévoit-il concrètement contre l’évasion fiscales et la fuite des capitaux afin de dégager des marges de manœuvre budgétaire ? Les suggestions ne manquaient pas : un registre mondial des sociétés-écrans, un échange automatique d’informations, un cadastre financier mondial...mais elles n’ont pas été retenues. La remise en cause du pillage des pays les plus pauvres par les traités de libre-échange et d’investissements, les conséquences de l’hégémonie du dollar ou bien l’injustice d’un taux d’intérêt inégal dans le monde n’ont pas été entendus. Un ministre raconte : « un gouvernement du pays riche emprunte sur dix ans à un taux de 1,4 % par an, tandis que le pays en développement emprunte à 11 %. Certains de ses voisins empruntent à 20 %. Les taux d’emprunt du secteur privé sont le taux du gouvernement plus une prime, donc le coût du capital d’un projet d’énergie renouvelable financé par le secteur privé dans le pays riche aurait été proche de 4 %. Dans les pays en développement, il est de 15 % ». Mais cet argument n’est pas pris en compte. « Depuis 1980, les pays du Sud ont remboursé 18 fois ce qu’ils devaient en 1980 et dans le même laps de temps, leur niveau d’endettement a été multiplié par plus de 12 : quand le système dette s’arrêtera-t-il ! » Protestent certains interlocuteurs africains alors que l’énumération des nouveaux prêts, suspensions et facilités très partielles accordées ne résout rien à la détresse des pays surendettés. Les nouvelles taxes internationales comme la taxe carbone sur le transport maritime ou la taxe sur les transactions pour alimenter les fonds à destination des pays les plus vulnérables et leur permettre de se protéger face au changement climatiques (comme le fond de pertes et dommages) ont été citées mais pas adoptées. Le principe du pollueur/payeur ou l’interdiction de financer des projets fossiles semblent communément admis mais pour l’instant pas encore opérationnalisés de manière généralisée. Comment abandonner les énergies fossiles sans compensations pour les pays les plus vulnérables qui dépendent complètement de ces ressources ? Que de demandes et de questions restées sans réponses ! Le sommet de Paris est bien décevant.

Le CADTM, ATTAC s’opposent fermement à cette stratégie exposée par le président français Emmanuel Macron ou à celle des institutions financières internationales comme la BAD qui ne rencontrent pas les besoins urgents des pays africains et ne répondent pas à leur gronde légitime.

b) Reprendre la main pour financer la bifurcations sociale et écologique (ATTAC)

Dans le rapport de l’Observatoire de la justice fiscale et de l’espace banque finance d’ATTAC « Reprendre la main pour financer la bifurcation sociale et écologique », sorti en octobre 2022, des analystes critiques appellent à une bifurcation écologique et sociale transformant complètement la société et ils recommandent pour y parvenir la mise en œuvre d’une gamme d’instruments et de politiques publiques coordonnées, par un policymix combinant des mesures budgétaires, fiscales, financières, monétaires et réglementaires orientées vers le changement durable.

Il ne s’agit plus uniquement de faire plus avec moins, d’axer tout le système de management sur la performance économique à court terme et la rigueur budgétaire, creusant les déficits publics et aggravant les dettes. Il faut de vrais investissements politiques et financiers solidaires, planifiés et contrôlés publiquement et impartialement, pour protéger l’humanité et la planète, en dehors des seuls critères de rentabilités et des recherches de profits particularistes.

Cela passe par des réformes fiscales qui instaurent la progressivité dans l’imposition du capital et du revenu, assurent une redistribution de manière à réduire les inégalités entre les pays, entre les individus, entre les hommes et les femmes et une fiscalité qui refinance les services publics essentiels à la qualité du développement.

Il faut réorienter les BCE, BM et FMI afin que ces institutions financières et monétaires annulent les dettes publiques des pays du sud et qu’elles se concentrent sur des financements à long terme, visant à transformer le système productif et à renforcer les normes, la régulation et les contrôles contre la spéculation sur l’endettement des plus démunis et l’exploitation abusive des ressources naturelles, contre la course vers le profit de transnationales les plus puissantes souvent les plus polluantes et parfois criminelles. Il faut s’opposer à la corruption des fonctionnaires qui les laissent faire ainsi qu’aux évasions fiscales et à la fuite des capitaux. Le rapport salue l’initiative proposée en 2019 de créer un réseau international des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier qui rassemble déjà une centaine de pays. Une belle avancée qui répond à un besoin de coordination de toutes ces initiatives à l’échelle mondiale.

Le rôle des banques centrales ne devrait pas seulement réduire l’inflation en augmentant les taux d’intérêt ce qui fait pression sur la masse salariale, et les pouvoirs d’achat des ménages en créant des dégâts sociaux et en rendant plus « chère » la transition durable escomptée. Lire à ce sujet l’ article critique d’ Éric Toussaint « La Banque centrale européenne au service des 1% les plus riches » paru le 30 juin 2023 . Il faut reconsidérer leur indépendance politique actuelle, distinguer leur autonomie opérationnelle de leurs intérêts politiques, pour qu’elles se mettent vraiment au service de l’intérêt général. Ce sont les élus et leurs gouvernements qui doivent fixer les priorités et objectifs à atteindre. Les Banques Centrales doivent alors choisir les instruments les plus appropriés pour y parvenir au moyen de leur politique monétaire. Elles doivent ensuite rendre des comptes aux instances démocratiques. Elles devraient donc plutôt exercer un contrôle démocratique et veiller à ce que les financements servent bien à la bifurcation sociale et écologique en régulant et responsabilisant tous les acteurs en ce sens, sur l’ensemble et non sur une infime partie des opérations financières (donc pas seulement via des obligations vertes par exemple).

Elles pourraient financer directement des projets verts de grande envergure et des infrastructures de long terme qui n’ont pas de rentabilité immédiate tels que les hôpitaux publics, des voies ferrées, des écoles pour toustes etc. Il faut veiller à ce que les plans de relance concernent aussi les secteurs féminisés tels que la santé, l’éducation qui sont mis à mal par la logique du marché car ils ne sont pas immédiatement « rentables ».

Traditionnellement les banques centrales financent les banques commerciales à des taux d’intérêt directeurs : elles pourraient accorder un taux directeur préférentiel aux banques qui financent des projets durables (1% en dessous du taux officiel, par exemple). Après la crise de 2007-2008, la BCE a pu adopter une politique monétaire non conventionnelle facilitant le renflouement des entreprises et des États européens par l’achat d’obligations et titres de dettes émis par les États et les entreprises. Pourquoi ne pas le faire pour assurer la bifurcation écologique et sociale via l’achat d’obligations soutenant les projets durables et l’arrêt de tout investissement favorisant la production et la consommation d’énergies fossiles ? Pour l’instant, 60% des achats financés
par la BCE concernent au contraire le secteur les plus polluants de l’économie selon Attac, Oxfam, Veblen dans un communiqué du 4 juillet 2022 ! Elle annonce cependant de prochaines réformes.

Il faudrait obliger chaque banque à mettre en œuvre un plan de décarbonisation d’ici 2050, réduire la part des actifs bruns (qui à long terme seront dévalorisés jusqu’à disparaître) et en même temps augmenter significativement celle des actifs verts dans les bilans bancaires ; les banques doivent se prémunir des risques futurs de faillite en ayant un ratio fonds propres/fonds déclarés raisonnable mais aussi un ratio actifs verts/ actifs bruns de plus en plus positif. Elles doivent contrôler le marché des obligations vertes pour éviter le greenwashing, standardiser et vérifier la véracité des labellisations.

Sinon, une proposition de loi pour l’utilisation de l’épargne populaire en matière énergétique est une piste intéressante. Les livrets d’épargnes populaires LDDS (Livrets de Développement Durable et Solidaire) sont parfois aussi classés dans la finance verte. Ces livrets au fonctionnement proche du livret A mettent en avant leur participation dans la transition écologique. Ils ne doivent plus servir à développer des activités nocives mais uniquement des projets durables. Pour cela il faut accroître la transparence et le contrôle de l’emploi de ces sommes par les Banques Centrales et augmenter le rôle des
parlements par la publication d’un rapport trimestriel détaillé sur la nature des prêts accordés avec l’épargne populaire et que ce rapport soit accessible à la société civile. La même demande est formulée pour l’utilisation de l’argent des caisses de retraites.

En gros, pour les auteurs de cette étude, il est nécessaire de renforcer un pôle bancaire public ou socialisé, et de recourir à des lois internationales, nationales et locales protectrices des biens et intérêts communs des populations. Les banques privées gouvernent selon les intérêts de leurs actionnaires. Les banques publiques d’investissement et de développement devraient répondre aux intérêts généraux. Il faut diminuer le pouvoir des actionnaires et améliorer la coordination des politiques monétaires et budgétaires publiques (policymix) orientées vers les urgences sociales et écologiques. Il est important de rendre aussi aux parlements leurs rôles de propositions,
d’amendement des lois sur la finance et de contrôle démocratique des résultats en y associant les populations (en respectant leur droit d’être informées, formées, consultées, de voter), accroître la transparence, les possibilités de débats publics. Pouvoir évaluer les politiques publiques menées, avant, pendant et après, sur base de nouveaux critères et indicateurs, clairs, orientés vers la bifurcation écologique et sociale est essentiel. Les nouveaux critères pourraient être : la diminution des inégalités entre les individus, entre les hommes et les femmes, de la pauvreté, de la maladie, des Gaz à Effet de Serre et du carbone, des énergies fossiles, de l’artificialisation des sols ; l’augmentation de l’espérance de vie, du pouvoir d’achat, des conditions de vie, des services publics à la petite enfance et au personnes âgées, de l’éducation, des transports et bâtiments et les énergies renouvelables, de l’agriculture non intensive... Il faut donc une réorganisation et une attribution différentes des aides publiques sous contrôle véritable des parlements, dans des conditions et règles précises et en fonction des résultats obtenus en lien avec les objectifs de bifurcation écologique et sociale.

On peut aussi envisager de taxer les produits ou services les plus polluants mais à condition qu’une alternative existe : « si tu prends la voiture tu paies la taxe, si tu utilises les transports en commun, tu en es exonéré ». Ceci afin que le consommateur ne se sente pas prisonnier et lésé par un prélèvement supplémentaire sur la consommation, déjà que son pouvoir d’achat est limité et que ce système de taxe risque de peser plus lourd proportionnellement sur les classes moyennes et modestes que sur les milieux aisés. Attention, les écotaxes sur la consommation souvent plébiscitées par les économistes libéraux ont des limites : elles diminuent l’assise sur laquelle se calculent les prélèvements publics et par ailleurs, comme l’objectif est de diminuer la consommation de services et produits qui polluent, à long terme comme celle-ci devrait se réduire, les recettes qui en résulteraient tendraient donc à disparaître alors que les besoins de financement des réformes continueront d’augmenter. Ce n’est donc pas efficace. Il vaut mieux, taxer les kilomètres parcourus sans frontière, supprimer les exonérations des quotas d’émissions gratuits aux entreprises climaticides, établir des taxes de justice carbone sur les plus grosses entreprises surtout des secteurs polluants. La recette serait redistribuée aux ménages selon leurs revenus par un mécanisme progressif.

D’autres mesures intéressantes sont recommandées par ATTAC : supprimer les niches fiscales injustes et inefficaces ; créer un impôt progressif indexé sur les émissions de GES, induits par les placements financiers des ménages les plus fortunés ; moderniser l’impôt sur les sociétés en tenant compte de la numérisation ; taxer les superprofits des entreprises pour augmenter les recettes et neutraliser les hausses anormales de prix...

Mais toutes ces mesures doivent se faire dans le cadre d’une planification écologique et sociale assurant une cohérence globale des politiques publiques. En conclusion, voici les 7 recommandations mises en avant par le CADTM lors de sa présentation au parlement européen en octobre 2022.

c. Les 7 recommandations du CADTM

1.Annuler les dettes et s’opposer aux conditionnalités des créanciers
Les allègements ne suffisent pas. Les conditionnalités publiques ou privées aggravent la situation avec des conséquences désastreuses. Commencer par supprimer les paiements déjà suspendus.
Utiliser tous les leviers dont la promulgation de lois et règlementations pour obliger le secteur privé à prendre sa part dans les opérations de restructuration. L’annulation des dettes dues au FMI et à la Banque mondiale par les pays éligibles à l’Initiative ISSD dans la période allant d’octobre 2020 à décembre 2021 pourrait être financée très facilement par les bénéfices provenant de la seule vente de 6,7 % de l’or détenu par le FMI. Cela rapporterait jusqu’à 8,2 milliards de dollars US aux pays éligibles à l’ISSD. Si cela était fait immédiatement, le FMI disposerait encore de 164,5 milliards de dollars US de réserves.

2. Procéder à un audit de la dette publique avec participation citoyenne
Associer la société civile d’en bas du pays créancier et des pays débiteurs à l’audit de cette dette publique pour révéler les irrégularités et l’illégitimité de certaines dettes dont les créanciers continuent à percevoir le remboursement aujourd’hui.
Pour ce faire, rendre accessibles aux populations des pays africains à travers leurs associations/organisations autonomes, l’ensemble des documents, les classés « secret défense » inclus , afin de découvrir l’origine des dettes réclamées par les différentes catégories de créanciers.

3. Poser des actes unilatéraux pour assurer une protection effective des droits humains
Suspendre immédiatement et unilatéralement le paiement de dette par les États dans les cas où c’est nécessaire à la protection de leur population et afin de pouvoir assurer la satisfaction de leurs droits humains fondamentaux sur base du droit international en conformité avec leurs engagements internationaux (sur base de la Charte de l’ONU, de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH), de la Charte sur les droits et les devoirs économiques des États (1974), de la Déclaration sur le droit au développement (1986) ou encore du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de 1966. Avec l’argent ainsi libéré, renforcer les systèmes publics, assurer de meilleurs services publics gratuits pour tous.

4. Lever les brevets privés pour un accès à la santé pour toutes et tous
Suspendre les brevets privés sur toutes les technologies, connaissances, traitements et vaccins liés au Covid-19. Éliminer des secrets commerciaux et publier les informations sur les coûts de production et les investissements publics utilisés, de manière claire et accessible à l’ensemble de la population. Assurer l’accès universel, libre et gratuit à la vaccination et au traitement. Exproprier sans indemnité des entreprises pharmaceutiques et des laboratoires privés de recherche et organiser leur transfert dans le secteur public sous contrôle citoyen.

5. Mettre un terme aux dispositifs fiscaux inégalitaires
Généraliser au niveau de l’Union européenne et au niveau international la loi belge qui s’attaque aux comportements des fonds vautours. S’opposer à la promotion systématique du secteur privé pour financer le développement des pays africains, et notamment s’opposer à la promotion des Partenariats Public-Privé (PPP). S’opposer aux traités d’investissement qui incluent la dette souveraine dans la couverture des traités d’investissement et le règlement des différends entre investisseurs et États. Mettre fin à l’aide publique au développement dans sa forme actuelle et la remplacer par une « Contribution de réparation et de solidarité » inconditionnelle et sous forme de dons, en excluant dans le calcul de celle-ci les annulations de dette et les montants ne servant pas les intérêts des populations africaines. Sanctionner lourdement les entreprises coupables de toute forme de corruption de fonctionnaires publics des pays africains.
Sanctionner les hauts fonctionnaires et le personnel politique qui dans les pays européens ont favorisé ou favorisent la spoliation sous différentes formes des peuples africains. Sanctionner lourdement les banques (y compris en allant jusqu’au retrait de la licence bancaire et à l’imposition de fortes amendes) qui se prêtent à du blanchiment d’argent sale, à l’évasion fiscale, à la fuite des capitaux, au financement d’activités participant au changement climatique et à la spoliation des populations africaines. Mettre fin au franc CFA.

6. Pour une politique d’endettement légitime auprès de banques socialisées
Socialiser les banques et les assurances en expropriant les grands actionnaires, afin de créer un véritable service public de l’épargne, du crédit et des assurances sous contrôle citoyen. Réaliser des emprunts légitimes en tant que pouvoirs publics pour lutter contre la crise écologique et pour booster les secteurs sociaux. Financer les pays africains, hors aide publique au développement, par des prêts à taux zéro, remboursables en tout ou partie dans la devise souhaitée par le débiteur. Introduire des taxes sur la richesse (patrimoine et revenus du 1 % le plus riche) pour financer la lutte contre la pandémie et assurer une sortie socialement juste et écologiquement pérenne des différentes crises du capitalisme mondial. Annuler le soutien au système du microcrédit abusif et à ses institutions, en favorisant leur remplacement par de véritables coopératives gérées par les populations locales et par un service public de crédit octroyant des prêts à taux zéro ou très bas.

7. Mettre en place une véritable politique de réparations
Adresser des excuses officielles publiques pour l’ensemble des crimes et des méfaits accomplis par les puissances européennes à l’égard des populations africaines, ouvrant le droit à des réparations. Affirmer le droit à des réparations et/ou compensations aux peuples victimes du pillage colonial et de la spoliation par le mécanisme de la dette. Exproprier les « biens mal acquis » par les gouvernants et les classes dominantes d’Afrique et les rétrocéder aux populations spoliées via un fonds spécial de développement humain et de restauration des équilibres écologiques sous contrôle effectif des citoyens et citoyennes des pays concernés. Reconnaître la dette écologique à l’égard des pays africains et procéder à des réparations et/ou compensations en récupérant le coût de ces dépenses par un impôt ou des amendes prélevées sur les grandes entreprises responsables de la pollution.

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