Peu importe le mode de scrutin, le défi des quatre prochaines années sera de s’appuyer sur nos milliers membres pour rejoindre les centaines de milliers qui ont voté pour nous, en recruter le plus grand nombre possible, les mobiliser, les organiser et préparer pour 2018 une campagne sans précédent dans l’histoire du parti. Bref, il s’agit de développer un véritable parti mouvement, un parti en campagne continuelle, tant sur une base autonome qu’en appui aux luttes sociales. Québec solidaire peut et doit devenir un parti enraciné dans les communautés et qui travaille à créer un espace politique nouveau, par la base, en vue d’une transformation des rapports de pouvoirs eux-mêmes, et non d’un simple accroissement graduel de sa place dans une structure politique faite pour les dominants.
C’est la possibilité de ce saut qualitatif qui a donné à plusieurs le sentiment que le résultat du 7 avril était une réelle progression, une raison indéniable de se réjouir. Mais si nous échouons à réaliser ce potentiel, un résultat presque identique dans quatre ans aurait un effet pour le moins démobilisant. Bref, on peut voir l’élection d’avril 2014 comme une marche de plus dans une longue escalade, ou on peut la voir comme un tremplin…
Comment faire ? Ratisser large et ratisser serré
Certaines pratiques qui se sont développées à Québec solidaire au cours des années constituent une bonne base sur laquelle on peut construire. Nous avons mené des campagnes politiques nationales (Courage politique, Pays de projet et Sortir du noir), le journal Solidarités en est à trois numéros, des dépliants thématiques ont été produits sur l’éducation, les droits syndicaux, l’économie écologique. Mais au rythme d’une grande campagne politique par année, avec quelques assemblées publiques et un peu de diffusion de matériel, nous n’arriverons pas au progrès qualitatif nécessaire. C’est bien de ratisser large, mais les grands filets sont plein de trous.
Une suggestion est qu’on ajoute à ces grandes campagnes thématiques de petites campagnes ciblées. Par exemple, lorsque l’aile parlementaire dépose un projet de loi ou une motion importante, on peut mobiliser autour d’une pétition en appui à cette initiative.
Aussi, les campagnes, grandes et petites, longues et courtes, devraient occuper l’essentiel du temps que nos membres seront disposé à consacrer au parti. Il s’agit de donner une importance secondaire à nos affaires internes pour se tourner vers l’extérieur en direction de la base électorale du parti et de la population.
Là où nous avons obtenu des résultats significatifs en 2014 et où la base militante est déjà relativement nombreuse, on devrait organiser des opérations de porte-à-porte avec ces campagnes. Ailleurs, on pourrait se présenter dans des lieux publics et inviter la population à nous rejoindre avec de l’affichage et des rencontres de mobilisation ouvertes.
C’est ce que j’appelle ratisser serré. Sans ce travail systématique de construction de l’organisation, toutes les belles stratégies de l’aile parlementaire et de la direction du parti n’arriveront pas à faire débloquer la situation, les partis de droite auront toujours des moyens nettement supérieurs aux nôtres (en plus de la complicité des médias) et nos campagnes électorales seront toujours belles mais modestes, nos porte-parole seront toujours appréciés mais pas perçus comme des alternatives réalistes pour le gouvernement.
Parti de la rue et contre-pouvoirs
L’autre ingrédient essentiel à un changement qualitatif du paysage politique en faveur de la gauche est bien entendu la force des mobilisations sociales contre les politiques du gouvernement en place et des partis de droite qui prétendent former « l’opposition ». La véritable opposition, pour les quatre prochaines années, sera dans la rue. Québec solidaire va démontrer sa pertinence et son rôle d’alternative globale et concrète en s’inscrivant pleinement dans ces luttes, dans le respect de l’autonomie des mouvements.
En plus de faire de Québec solidaire un mouvement politique, nous pouvons nous appuyer sur le réseau exceptionnel de militantes et de militants que nous avons construit pour renforcer et unifier les luttes sociales. Ce sont ces mouvements qui ont rendu QS possible. Nos membres y sont toujours impliqués ou en sont issus. Il est temps maintenant de démontrer que le parti peut être au service des mouvements et les aider à remporter des victoires.
Nous aurons des luttes à mener contre les projets de pipelines et le Plan Nord, contre les hausses de tarifs et la privatisation, pour la qualité des services publics et de bons contrats de travail dans tout le secteur public (avec la ronde de négociations qui débute). Il faudra poursuivre le combat pour la dignité des moins fortunés, pour l’égalité réelle entre femmes et hommes, contre la discrimination sous toutes ses formes.
Un des faits remarquables et généralement ignoré de la récente campagne a été l’abandon du PQ par le mouvement syndical et communautaire. Encore en 2012, sans doute en raison de la situation de crise qui résultait de la grève étudiante et de l’infâme loi spéciale, des secteurs significatifs de ces mouvements appelaient encore à voter « stratégiquement » pour le PQ afin de battre les Libéraux. Cette fois-ci, la grande majorité de ces voix sont restées silencieuses et nous avons obtenu plus d’appuis explicites pour QS que jamais.
D’ici quatre ans, nous devons multiplier les occasions de convergence et de complémentarité entre notre travail politique et celui des mouvements. On peut souhaiter qu’en 2018, il sera normal - je dirais même évident - pour bien des organisations de la société civile, d’accorder un appui à Québec solidaire face aux partis de la droite et du patronat. Comme le disait Tomy Douglas, il faut que les souris arrêtent de voter pour des chats !
Un nouveau sens commun
Il s’agit, ultimement, de développer un nouveau sens commun, une vision du Québec et du monde qui rejette comme absurde certaines des idées clés que partagent les trois partis de droite et en présente de nouvelles comme allant de soi. Non, il n’y a pas que le secteur privé qui « crée de la richesse ». Non, il n’est pas logique de produire notre propre pétrole avec des techniques particulièrement destructrices simplement pour réduire les importations. Oui, on peut éliminer notre dépendance au pétrole d’ici 2030. Oui, on peut répartir le fardeau fiscal plus équitablement et financer correctement les services publics. Non, on ne peut pas indéfiniment faire plus avec mois. Non, on n’est pas obligés de céder devant l’angoisse fiscale des riches et le chantage des marchés financiers. Oui, l’indépendance du Québec est possible et les efforts qu’elle implique en valent la peine.
À chaque pas, à chaque porte, sur chaque rue, dans chaque manifestation, sur chaque piquet de grève, avec chaque signature ajoutée sur une pétition, chaque nouveau membre, chaque petit don, chaque débat d’idée, chaque petite victoire, nous ferons la démonstration par la pratique qu’un autre Québec est possible, un Québec libre, juste, vert et solidaire.
10 avril 2014