Édition du 23 avril 2024

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Amérique latine

Ruée vers l’or en Haïti !

Kiyès k ap vin rich ?

Haïti est peut-être le « pays le plus pauvre des Amériques » mais cette petite nation est également assise sur une mine d’or.

Par Ayiti Kale Je

Le nouveau Premier ministre Laurent Lamothe dit miser sur la richesse qui se trouve dans les montagnes du nord d’Haïti pour sortir le pays de la pauvreté, mais si le passé est garant de l’avenir, l’exploitation de l’or, de l’argent et du cuivre cachés dans les montagnes profitera principalement aux actionnaires étrangers tout en défigurant un paysage déjà dénudé et fragile.

Haïti a peut-être quelque chose à gagner, mais elle a également beaucoup à perdre.

Alors qu’une poignée de cultivateurs gagnent cinq dollars par jour à construire des chemins miniers, et pendant que les journalistes parlent d’un ou deux sites de forage, une entreprise canadienne, Eurasian Minerals, accapare discrètement et minutieusement les permis d’exploration – 53 pour être précis – et conclut des ententes secrètes, vraisemblablement avec l’aide d’un ancien ministre de haut rang, aujourd’hui stipendié.

L’aubaine est si belle pour les compagnies minières et tellement néfaste pour Haïti, que le directeur de l’agence nationale responsable des mines les a récemment dénoncées lors d’une entrevue exclusive avec Ayiti Kale Je (AKJ), appelant son gouvernement à rectifier le tir : « Je leur ai dit de laisser les minerais sous terre, les générations futures pourront les exploiter. »

« Les mines font partie du patrimoine national [...] Elles appartiennent à la population, elles n’appartiennent pas aux gens au pouvoir, même pas au propriétaire du terrain », ajoute le géologue Dieuseul Anglade, alors directeur du Bureau des mines et de l’énergie (BME).

Eurasian et son entreprise associée, Newmont Mining, deuxième producteur aurifère mondial, forent également illégalement, de connivence avec certains membres du gouvernement, dans le secteur de Lamielle, dans le nord-est du pays.

La loi haïtienne diffère de celle de nombre d’autres pays. Elle est nettement plus bureaucratique, mais elle prévoit également, au prime abord, un minimum de protection. Pour pouvoir forer – même à des fins d’exploration – les entreprises doivent obtenir une convention d’exploitation minière signée par le Premier ministre et l’ensemble des ministres. Cette convention établit les modalités pour toute exploitation minière.

Eurasian et Newmont attendent actuellement l’approbation finale d’une convention couvrant un vaste territoire, soit environ 1 350 kilomètres carrés. Toutefois, la convention n’a pas encore été signée, en partie parce que pendant le plus clair des 12 derniers mois, Haïti n’avait pas de Premier ministre. « Nous sommes prêts à forer », déclarait Daven Mashburn de Newmont Mining, vers la fin de 2011, en parlant de Lamielle. « Puisque le gouvernement d’Haïti s’en fout […] il nous est impossible de mettre en œuvre nos concessions et cela signifie que les gens ne peuvent trouver d’emplois. »

Pourtant, le gouvernement est loin de s’en foutre. Peu après cette entrevue, les concessions ont été consenties, quoique d’une manière pas tout à fait légale. « Le gouvernement leur a accordé une sorte de dérogation » a expliqué Ronald Baudin (ministre des Finances d’Haïti de 2009 à 2011 et ancien directeur général du ministère), qui a supervisé les négociations avec Eurasian alors qu’il occupait cette puissante position. « Ils sont conscients du tort qu’ils font à la compagnie… Celle-ci a plusieurs bases, plusieurs camps partout dans le pays, avec une très importante logistique. Elle dépense beaucoup d’argent. Et voilà qu’elle arrive à une étape et reste bloquée, du seul fait que la convention n’a pas encore été signée. »

Baudin, qui a quitté ses fonctions lorsque le nouveau gouvernement de Michel Martelly a été mis en place en 2011, est aujourd’hui un conseiller rétribué du partenariat Eurasian-Newmont qui porte le nom de « Newmont Ventures ».

Toutefois, un protocole d’entente ne saurait l’emporter sur une loi. Aucune dérogation n’est possible en matière de législation.« Il y a ce qu’on appelle la hiérarchie des lois. D’après cette hiérarchie, un protocole est plus faible qu’une loi. Un protocole ne peut pas annuler une loi. Il ne peut pas autoriser à faire quelque chose que la loi n’autorise pas », a expliqué l’avocat des droits humains, Patrice Florvilus.

Le directeur de l’agence responsable des mines – le BME – n’a pas signé le protocole d’entente. « Je n’étais pas d’accord, pour la simple et bonne raison que si la loi n’autorise pas quelque chose, … vous n’avez pas le droit de le faire ! » d’expliquer Anglade au cours d’une entrevue le 24 mai 2012. Son bureau n’en a même pas reçu un exemplaire.

Ce refus a été sans doute l’une des raisons pour que l’un des premiers actes officiels du nouveau gouvernement Lamothe aura été de destituer Anglade. Anglade, âgé de 62 ans, compte près de 30 années de service au BME, qu’il a dirigé au cours de près des 20 dernières années. Il a une réputation d’honnêteté.

Malgré le refus d’Anglade, le protocole d’entente a été signé par l’actuel ministre des Finances et celui des Travaux publics vers la fin du mois de mars. Ainsi, le 23 avril, Eurasian a pu joyeusement rapporter à ses actionnaires que « le partenariat a obtenu la permission de forer pour certains projets grâce au protocole d’entente ; et le forage se poursuit présentement ».

Eurasian et Newmont n’ignorent point la législation et, selon une correspondance avec AKJ en date du 25 mai, semblent croire qu’Anglade a signé le document. Mais tel n’est pas le cas.

Anglade est également en désaccord avec une convention d’exploitation minière qui risque d’être signée sous peu, vu qu’après trois mois d’attente, Haïti a enfin un Premier ministre, Laurent Lamothe, qui s’est engagé à rendre la législation du pays plus favorable aux affaires.

Selon Anglade, la version finale – qu’il a rejetée par l’entremise d’une lettre officielle au président de l’époque, René Préval et au ministre des Finances à ce moment-là, Baudin – est beaucoup plus faible que les deux plus petites conventions minières existantes d’Haïti (pour 50 kilomètres carrés chacune) parce que les principales clauses de sauvegarde ont été supprimées.

L’article 26.5 – des conventions antérieures – plafonnait les dépenses qu’une entreprise pouvait déclarer à 60 pour cent des revenus. Il est à présent caduc, selon le directeur du BME.

« Ce qui veut dire que la compagnie peut venir dire qu’elle a dépensé 90 dollars, qu’il ne reste plus que 10 dollars », dit Anglade.

Une deuxième clause a également été supprimée, dit-il : l’Article 26.4, qui garantissait un partage à parts égales des profits entre les entreprises minières et le gouvernement. « Durant les 2 années passées à négocier ; ma position était claire [...] », de dire cet homme de 62 ans, qui a passé toute sa vie dans la fonction publique et enseigne aussi les mathématiques à l’Université d’État d’Haïti. « Ces 2 articles le Bureau des mines n’a jamais voulu les enlever [...] C’est lorsque le dossier a quitté le Bureau des mines, qu’ils ont négocié et enlevé ces articles. Ce n’est point moi qui les ai enlevés. Après le Bureau des mines [...] ils ont fait une réunion au ministère des Finances [...] C’est le ministre lui-même qui les a ôtés, le ministre Baudin. »

Interrogé à propos de la convention, Baudin a dit qu’il ne pouvait entrer dans les détails. Il a néanmoins déclaré que : « Ce que moi personnellement je puis vous dire, à présent nous avons un texte qui a obtenu le consensus de la compagnie, du ministère des Travaux publics, du Bureau des mines, du ministère des Finances. »

Pas d’après Anglade. « Pour rien au monde je n’enlèverais ces articles », dit-il.

Le ministre des Travaux publics, Jacques Rousseau est le supérieur d’Anglade. Son ministère supervise le BME et est en possession de la convention pendante. Rousseau a refusé cinq demandes d’entrevue ; c’est pourquoi l’absence des clauses de sauvegarde dans le document ne peut être confirmée. Cela dit, Anglade jure que les mesures sont absentes, et entre-temps, le protocole d’entente illégal a été rendu public, et Baudin est ostensiblement à la solde de Newmont. « Je veux que ce soit clair pour la nation » a expliqué Anglade, « le BME n’est pas responsable de ce qui a été fait au profit de l’entreprise jusqu’à maintenant ».

Lorsque Baudin a été interrogé à propos du conflit d’intérêts potentiel découlant du fait qu’il ait occupé les fonctions de ministre des Finances avant de se recycler immédiatement en consultant à la solde de Newmont, il est resté de marbre. « Il existe d’autres pays où, lorsque quelqu’un a fini d’exercer de telles responsabilités, il y a une période de temps au cours de laquelle il n’a pas le droit de travailler pour le privé. Mais en la circonstance, il a une compensation. Nous autres, nous n’avons pas cela dans notre législation, » d’accoucher Baudin. « Et aujourd’hui, au moment où je vous parle, depuis mon départ du ministère des Finances, je ne reçois pas une gourde de l’État. Ensuite, je dois manger, n’est-ce pas ? Je dois m’habiller [...] »

Que recèlent les collines d’Haïti ?

Pourquoi Newmont, Eurasian et d’autres entreprises minières ont-elles attendu des années pour obtenir la signature d’une convention, pour ensuite violer la loi haïtienne avec le protocole d’entente ?

Si les calculs des géologues disent vrai, les montagnes au nord d’Haïti contiennent des centaines de millions d’onces d’or. Puisqu’une once d’or est actuellement négociée à 1 600 dollars us, une estimation chiffre la cagnotte à 20 milliards.

La mine de Pueblo Viejo, directement de l’autre côté de la frontière, en République dominicaine, dans la même « ceinture de minéralisation » qui s’étend d’un bout à l’autre de l’île, renferme la plus grande réserve aurifère des Amériques. Elle a déjà permis de produire 5,5 millions d’onces d’or et en contient au moins 23,7 millions de plus. Elle est également riche en argent : 25,2 millions d’onces déjà et 141,8 millions à extraire.

Vu les réserves apparemment vastes d’Haïti (et son faible gouvernement), il n’est pas étonnant que le géant minier Newmont se soit associé avec Eurasian, dirigée par un ancien cadre de Newmont. Eurasian, par l’entremise de son associée locale, l’entreprise Marien Mining, contrôle différents types de concessions représentant une plus grande partie du territoire d’Haïti que toute autre entreprise : l’équivalent d’un dixième du pays.

Une petite entreprise minière haïtiano-étatsunienne, VCS, et son entreprise associée locale, Delta Mining, possèdent ou contrôlaient jusqu’à tout récemment des concessions couvrant 300 kilomètres carrés dans le nord ; l’entreprise canadienne Majescor et ses partenaires haïtiens possèdent des licences pour 450 kilomètres carrés de plus. Ensemble, les entreprises étrangères possèdent des permis de recherche ou d’exploration pour un tiers du nord d’Haïti, 15 pour cent du territoire du pays.

Majescor a plusieurs longueurs d’avance sur ses rivales, ayant récemment entamé la phase d’ « exploitation » pour l’une de ses concessions. Cependant, VCS et Newmont-Eurasian la talonnent. Toutes ces entreprises reconnaissent le potentiel d’Haïti.

« Haïti est le géant endormi des Caraïbes ! » a dit un partenaire de Majescor récemment, alors que le président d’Eurasian, David Cole s’est vanté lors d’une émission de radio de : « […] contrôler plus de 1 100 milles carrés de terres ».

Un investisseur qui se qualifie de « géologue mercenaire » a écrit : « il est évident qu’il existe un risque géopolitique important en Haïti. Mais la géologie est simplement trop bonne. »

La géologie est en effet très bonne. Un seul petit site d’Eurasian, le gisement de Grand-Bois, pourrait contenir au moins 339 000 onces d’or (d’une valeur de 5 milliards 400 millions de dollars us au prix d’aujourd’hui) et 2 milliards 300 millions d’onces d’argent.

Bonne en effet, mais il y a un prix élevé à payer.

Mines à ciel ouvert à l’horizon
Parce que dans la majorité des endroits les gisements de cuivre, d’argent et d’or sont pour la plupart répartis comme de minuscules grains dans la boue et les pierres – ce qui est parfois appelé « or invisible » – cette onéreuse exploitation minière à ciel ouvert est souvent la seule option, mais l’entreprise associée d’Eurasian, Newmont, connaît bien ce mode d’exploitation. Le géant minier a ouvert la première mine à ciel ouvert au Nevada en 1962 et a ensuite creusé au Ghana, en Nouvelle–Zélande, en Indonésie, et dans d’autres pays.

Au Pérou, Newmont exploite l’une des plus grandes mines aurifères à ciel ouvert du monde : la mine de 251 kilomètres carrés de Yanacocha. Il y a peu de temps, Newmont a été accusée de trafic d’influence lorsque la lumière a été faite sur ses liens avec l’ancien maître espion péruvien Vladimiro Montesinos. Après avoir présumément aidé Newmont à négocier des termes favorables, un ancien employé du Département d’État des États-Unis est devenu salarié de Newmont. L’entreprise a également été accusée d’avoir déversé du mercure et du cyanure.

Imperturbable, Newmont a récemment entrepris la mise en chantier d’une mine d’envergure, la « Minas Conga ». Cependant, les cultivateurs, les écologistes et les autorités locales ont jusqu’à maintenant contrecarré ses plans à l’aide de manifestations massives et devant les tribunaux. Le mois dernier, une table ronde d’experts européens mandatée par le gouvernement pour étudier les plans, a indiqué à Newmont qu’elle ne serait pas autorisée à drainer deux lacs des hautes Andes pour la nouvelle mine.

Le 28 mai, Newmont n’avait pas encore décidé de la voie à suivre, mais une dépêche du 27 avril de l’Associated Press citait Richard O’Brien de Newmont disant que « si ce projet de 4,8 milliards de dollars ne peut être mis en oeuvre “de façon responsable au point de vue sécuritaire, social et environnemental” tout en rapportant aussi des “dividendes acceptables” aux actionnaires, Newmont réallouera ce capital à d’autres projets de développement de notre portfolio ».

Newmont a également eu des problèmes dans d’autres pays, plus récemment au Ghana. La mine « Ahafo South » est située dans une région agricole connue comme le « grenier à vivres » du Ghana. À cette date, elle a déplacé environ 9 500 personnes, dont 95 pour cent vivaient de l’agriculture, selon Environmental News Service.

Outre d’expulser des cultivateurs de la terre, Newmont a contaminé l’approvisionnement local d’eau au moins une fois, de son propre aveu. En 2010, cette compagnie acceptait de payer 5 millions de dollars us de compensation au gouvernement pour un déversement de cyanure en 2009 qui a tué du poisson et pollué l’eau potable. Newmont concédait que les procédures en vigueur n’avaient pas été suivies, et que son personnel avait aussi omis d’aviser comme il se doit les autorités gouvernementales ghanéennes.

Tout en accueillant les bénéfices éventuels que des mines bien construites et bien supervisées pourraient apporter à Haïti, Anglade et d’autres experts haïtiens se montrent préoccupés à l’effet qu’une mine à ciel ouvert, qui à toutes fins utiles utilise d’importantes quantités de cyanure pour séparer le minerai d’or de la gangue, pourrait s’avérer dangereuse pour l’environnement déjà fragile d’Haïti.

Dans la République dominicaine voisine, une mine d’or contrôlée par le gouvernement a causé tellement de contamination que les rivières de la région coulent encore avec une eau rougeâtre à mesure que la pluie rejette des métaux du minerai laissé aux alentours. « L’exploitation minière peut causer de graves problèmes environnementaux » a fait remarquer l’ancien ministre haïtien de l’Environnement à l’occasion d’une récente entrevue.

À ce poste au milieu des années quatre-vingt-dix, Yves-André Wainwright signait les deux conventions minières existantes. Cet agronome de formation indiquait que, outre les soucis qu’il se fait concernant les métaux lourds, certaines des surfaces de concession sont formées de « montagnes humides », ce qui signifie qu’elles jouent « un rôle important pour la biodiversité et doivent être protégées, dès la phase de prospection ». C’est là aussi que vivent des dizaines de milliers de familles de cultivateurs. Cependant on n’a jamais vu l’ombre d’un membre du personnel du ministère de l’Environnement sur les sites miniers, d’après des journalistes des les radios communautaires dans les zones affectées.

En fin de compte, ce qui inquiète Wainwright, aussi bien qu’Anglade et d’autres observateurs, c’est l’incapacité de « l’État faible » haïtien d’exercer un contrôle sur les compagnies minières et les dégâts environnementaux potentiels.« Nous avons un personnel compétent au Bureau des mines, mais ils n’ont pas les moyens de mener à bien leurs tâches, » de dire Wainwright. « Tout l’argent qui provient des carrières de sable, et d’autres mines, aboutit directement au ministère des Finances. De ce fait, même si c’est un secteur qui fait entrer de l’argent, le BME est dans la dèche. »

Le jugement de Wainwright semble se vérifier. Un audit des véhicules du BME dévoilé au mois de janvier montrait que des 17 véhicules, seulement cinq étaient en condition de rouler. Douze étaient hors d’usage. Et avec un budget d’environ 1 million de dollars, le BME est aussi à court de personnel. Seulement le quart des 100 employés détient un diplôme universitaire. Un autre 13 pour cent est formé de « techniciens ». Le reste est constitué par le secrétariat et le personnel de « soutien ».

« Le gouvernement ne nous donne pas les moyens nécessaires pour être à même de superviser les compagnies », confirmait Anglade à l’occasion d’une entrevue accordée alors qu’il était toujours à la tête du BME. « Le gros de notre budget va pour les salaires. Nous n’avons pas réellement un budget d’opération. »

La branche d’investissement pour le secteur privé de la Banque mondiale – la Société financière internationale (International Finance Corporation) – a investi 5 millions de dollars dans Eurasian pour l’exploration en Haïti. La Banque affirme qu’Eurasian et Newmont ont de bons antécédents, mais est également consciente des éventuels effets négatifs potentiels de l’exploitation minière et reconnaît les défis auxquels font face le gouvernement haïtien et d’autres « États faibles ».

« Souvent le gouvernement du pays hôte n’a pas beaucoup de possibilités, spécialement en ce qui a trait aux aspects environnementaux et sociaux, » expliquait Tom Butler, responsable à l’échelle internationale des investissements miniers de la Société financière internationale. « (Mais) une des choses qu’on ne fait pas, c’est dire au gouvernement quoi faire avec l’argent qu’il reçoit. »

Haïti bon dernier dans la « course aux royalties »

Combien d’argent rentrera, et quand ? Des articles récents ont cité toutes sortes de chiffres prometteurs, mais ils omettent les petits caractères dans les conventions existantes, et ne mentionnent même pas la convention en instance.

Aussi, quelle que soit la qualité de la convention, à part les mises de fonds initiales, une mine ne commencerait probablement pas à rapporter de revenus – taxes et royalties – avant cinq ou même dix ans, car c’est le temps nécessaire pour construire une mine à ciel ouvert, et étant donné qu’il est permis aux compagnies de d’abord amortir leur équipement, remettant à plus tard le « passage du rouge au noir ».

Daven Mashburn de Newmont le confirmait en disant que « cela pourrait aisément prendre une décennie. Cela prend habituellement une décennie pour mettre ces choses en marche ».

« Il est fort probable qu’une grande entreprise minière déclare des pertes année après année, même après dix ans, si le système de déductions est trop généreux et que les contrôles font défaut, » indiquait récemment l’experte en fiscalité minière et royalties, Claire Kumar dans une entrevue avec AKJ. « C’est quelque chose de très courant. »

Chercheuse à l’organisme Christian Aid et auteure du rapport de 38 pages paru en 2009, Undermining the Poor – Mineral Taxation Reforms in Latin America (« Miner » les pauvres – Réformes de la taxation minière en Amérique latine), Kumar disait que les deux petites conventions existantes d’Haïti paraissent bien, étant donné qu’elles promettent un partage équitable des profits et prévoient un plafond pour les dépenses.

Ce qui n’est pas si bon, faisait-elle remarquer, c’est le taux des royalties d’Haïti : 2,5 pour cent. Selon Kumar et de récentes dépêches d’agences, ce taux est l’un des plus bas de l’hémisphère. « Une redevance de 2,5 pour cent est beaucoup trop basse », de confirmer Kumar. « Toute redevance de moins de 5 pour cent est tout simplement ridicule pour un pays comme Haïti. On ne devrait même pas en tenir compte. Pour un pays avec un État faible, les royalties sont le moyen le plus sûr de toucher les sommes attendues. Il existe une marge de manipulation pour l’entreprise, mais elle n’est pas aussi vaste que vous pourriez le penser. »

Le taux des royalties d’Haïti a encore du chemin à faire pour rattraper ce que les investisseurs miniers déplorent comme une « course aux royalties » et un « nationalisme des ressources ». Dans son rapport annuel Business Risks Facing Mining and Metals présenté en août dernier, la firme comptable et d’investissement Ernst & Young place le « nationalisme des ressources » en « tête de liste des risques pour les affaires ». Cette agence disait qu’à la fin de l’année 2010 et en 2011, on pouvait compter 25 pays qui avaient augmenté les taux ou menaçaient de le faire.

Beaucoup de ceux qui ont élevé les taux pour l’or se trouvent en Amérique latine. L’Équateur exige à présent entre 5 et 8 pour cent, le Pérou en est à 12 pour cent, et le Brésil menace également d’augmenter son taux. En août dernier, le Venezuela est allé plus loin et a nationalisé l’industrie aurifère.

Dans un texte sur le « nationalisme des ressources » du mois de mars, Reuters concluait que (cela) « a laissé aux sociétés minières peu d’options autre que de se lancer vers d’autres territoires encore plus à risque politiquement, y compris des régions agitées de l’Afrique ». Ou… Haïti.

Car, avec un taux de royalties de 2, 5 pour cent, une force de casques bleus de l’ONU forte de 10 000 soldats cantonnés à travers le pays, et des indications que les nouvelles conventions minières seront plus avantageuses pour les sociétés étrangères, les risques aujourd’hui sont vraisemblablement moindres qu’au cours des récentes décennies.

De fait, Dan Hachey, Pdg de Majescor, applaudissait l’élection en 2011 du président Martelly, disant : « Martelly a déclaré que (Haïti) est ouverte pour les affaires. Nous avons vu beaucoup de changement depuis son accession à la présidence. »

Le système de la porte tournante qui a permis à l’ancien ministre des Finances Ronald Baudin de s’engager dans l’équipe Newmont pourrait être l’une des raisons de ce changement. Alors qu’il était encore au pouvoir, il acceptait de transiger un bail gratuit de 50 ans pour un terrain avec une société française dans le nord. « Non, nous ne l’avons même pas loué. Nous l’avons mis à sa disposition, car lorsque c’est quelque chose qui est bon pour l’économie qui se fait, l’État a pour devoir de l’encourager. »

Le nouveau Premier ministre haïtien – Laurent Lamothe – est aussi très favorable au milieu des affaires. Entrepreneur en télécommunications et dans l’immobilier avec des sociétés en Afrique et en Amérique latine, il s’est engagé à faire avancer une législation favorable aux affaires dans tous les secteurs, y compris les mines.

« L’information au sujet de nos réserves nationales indique que notre terre regorge de minéraux et que c’est maintenant le moment propice pour les exploiter », déclarait Lamothe dans sa déclaration de politique générale devant le Sénat le 8 mai dernier.

Lamothe a aussi promis de modifier la législation minière. Au cours d’une récente interview avec l’Associated Press, Lamothe s’est engagé à ce que la nouvelle loi assure que « l’État reçoive sa juste part » et qu’elle protège également l’environnement et les communautés locales. Mais, il bifurquait, ajoutant que la nouvelle législation permettrait ceci « autant que possible sans nuire aussi aux revenus de l’autre partie, pour lui permettre de faire des affaires ».

Même avant que Lamothe ait pris ses fonctions, Anglade confiait à AKJ être au courant des pressions faites pour une modification de la loi existante.« Je dois vous dire que les entreprises font toutes sortes de pressions pour faire modifier la législation afin que cela leur donne plus d’avantages. Mais ils ont trop d’avantages déjà ! » a-t-il dit.

Un gouvernement dont la devise est « Haïti est ouverte aux affaires » et qui parie sur des manufactures d’assemblage et un salaire minimum de 5 dollars US par jour (le plus bas de l’hémisphère), peut-il être digne de confiance quant à la protection des intérêts du pays ?

Les géants de l’industrie minière ont eu constamment le dessus face à des États beaucoup plus forts et obtenu des contrats profitables principalement à leurs actionnaires. Quelle garantie ont donc les Haïtiens que le pro business Lamothe obtiendra un meilleur traitement que les gouvernements du Pérou, du Ghana, ou d’autres pays pauvres ?

Les éventuels revenus miniers et les quelques emplois à bas salaire semblent de bon augure pour plusieurs en Haïti, où la plupart des gens doivent survivre avec moins de 2 dollars US par jour et où le chômage et le sous-emploi atteignent 66 pour cent. Mais l’industrie minière est-elle la réponse aux malheurs d’Haïti ?

Pour Laurent Bonsant, un entrepreneur minier canadien travaillant pour Newmont Ventures dans le nord, la réponse est « Oui ». « L’une des choses qu’il faut à ce pays, c’est un produit d’exportation. Ils n’ont rien. Si l’industrie minière peut faire quelque chose de bon, c’est ici qu’elle le fera, » disait-il tout en supervisant un site où une équipe forait 24 heures par jour des échantillons de minerai à 330 mètres sous terre.

Mais Haïti a plusieurs produits d’exportation et, de plus, l’industrie minière n’a pas fait grand bien par le passé.

Au cours des récentes décennies, des sociétés étrangères ont extrait de la bauxite et du cuivre. Des dizaines de milliers de familles ont perdu leurs terres, des milliers d’hectares ont été soumis à la déforestation, et dans certains cas, la terre a été contaminée.

Le professeur Alex Dupuy, professeur titulaire des Études africaines américaines et de sociologie de la Wesleyan University, doute fortement que les résultats des nouvelles entreprises s’avèrent bien différents des précédents. Même si Haïti n’est plus régie par une dictature aussi brutale et corrompue que celle des Duvalier, il existe peu de transparence, et aucun moyen apparent de vérification ou de contrôle des investisseurs locaux et étrangers.

« Je pense qu’il va se produire la même chose, » disait Dupuy, auteur de Haiti in the World Economy – Class, Race and Underdevelopment, au cours d’une interview au téléphone avec AKJ. « L’industrie minière n’utilise pas beaucoup de main-d’oeuvre, et les nationaux qui seront engagés seront des travailleurs non spécialisés. Les cadres viendront de l’étranger car habituellement ces compagnies arrivent avec leur propre technologie. »

« Comme par le passé, elles exproprieront les terres des paysans. De sorte qu’il en sera de même, tout comme précédemment. Les contrats en passe d’être signés le seront au gré de la compagnie étrangère, pas nécessairement ce qui est dans les meilleurs intérêts du pays, même s’ils les présentent au public comme quelque chose de bon pour le pays. » [Voir La sombre histoire d’une Haïti « ouverte aux affaires »]

Le Guatemala – un pays socialement, économiquement et politiquement similaire – pensait que les mines pouvaient « faire du bien » là, aussi, et autorisait Goldcorp à ouvrir la Marlin Mine. Mais en 2010, la Commission interaméricaine des droits humains enjoignait au gouvernement de la fermer temporairement à cause des risques pour la santé, l’environnement et les droits humains. Un rapport présenté en 2011 par des experts miniers associés à la Tufts University recommandait au Guatemala de changer de façon significative les règles du jeu : d’exiger des royalties plus élevées et d’autres revenus, d’assurer une meilleure protection environnementale et le nettoyage, et de garantir qu’une somme donnée parvienne aux communautés hôtes.

« Sans une bonne gouvernance et des investissements productifs, l’héritage pour les lieux de la Marlin Mine pourrait bien être une dévastation écologique et l’appauvrissement, » écrivaient les auteurs.

Anglade s’inquiétait à l’effet que quelque chose de semblable pourrait arriver en Haïti, où le contrôle gouvernemental est virtuellement inexistant. Par exemple, bien qu’il soit illégal de couper des arbres, du bois fraîchement scié est empilé pour être vendu dans les marchés partout à travers le pays. De nos jours la couverture forestière d’Haïti n’est que de 1,5 pour cent.

Plus au nord, nombre de cultivateurs qui auraient pu tirer profit en louant leurs terres aux sociétés minières les ont depuis longtemps vendues à des requins opportunistes accapareurs de terres et aux hommes d’affaires associés à de précédentes entreprises minières à Grand-Bois, un site d’Eurasian. Plus d’une dizaine de familles cultivent à présent un terrain qui ne leur appartient plus.

Anglade s’en souvient bien : « Quand j’ai appris ce qui se passait, je me suis rendu sur les lieux personnellement, j’ai dépensé mon propre argent parce que le Bureau n’en avait pas ; j’y suis allé pour réunir les gens et leur dire que leurs terres ont des ressources minières, et de ne pas les vendre. Malgré tout, ils les ont vendues. »

À présent, les familles pauvres qui cultivent encore ces terres à titre de locataires, et des centaines de leurs voisins, s’inquiètent quant à la pollution et de se voir expulsés de leurs lotissements. L’année dernière, plus de 200 familles ont été chassées d’un plaine fertile située non loin quand le gouvernement Martelly a inauguré une nouvelle zone franche.

Dans une région, Newmont a initié des « œuvres sociales », selon Anglade. L’entreprise a fait bâtir un petit pont, une route pour son petit véhicule tout-terrain et payé des frais de scolarité. Les cultivateurs sont cependant toujours nerveux.« D’après ce qui est prévu, on nous dit que la compagnie utilisera l’eau de la rivière pour vingt années. De plus, personne ne pourra boire l’eau qui coule de notre côté », d’expliquer la cultivatrice et organisatrice paysanne Elsie Florestan, qui vit près du site de Grand-Bois. « De plus avec ce qui va être fait, il y a des gens qui ne pourront pas rester dans la zone. »

« Le petit groupe qui s’enorgueillit de travailler, ce n’est pas la population, à bien regarder il n’y a tout au plus que 50 personnes qui ont trouvé du travail pour une population qui compte 64 habitations [...] » d’ajouter cette personne de 41 ans, membre du mouvement paysan Tèt Kole Ti Peyizan. « D’après ce que je constate, si le peuple ne s’organise pas pour frapper du pied, pour dire qu’il lui faut obtenir quelque chose, il n’aura rien », prévenait-elle.

Florestan et d’autres cultivateurs ont constamment pu observer des équipes venir prélever des dizaines de milliers d’échantillons de chaque colline et vallon pendant des années, à travers tout le nord.« Sans poser de questions, à savoir à qui appartient le terrain, ils entrent, procèdent à des fouilles, prennent les pierres, les mettent dans leurs sacs, et s’en vont avec », faisait remarquer l’organisateur paysan Arnolt Jean, qui habite à Lakwèv, près de la frontière dominicaine. « Tous les Haïtiens observent, car ils savent que ce qui pourrait nous aider, c’est si nous avions un gouvernement qui serait à même de nous dire : ‘Cette zone est à vous, il vous faut donc ouvrir les yeux’. Mais nous en tant qu’ Haïtiens nous ne pouvons rien dire [...] L’État est irresponsable dans ce dossier. »

Dans cette communauté, les gens orpaillent et creusent leurs propres tunnels depuis des générations. Une journée ou une semaine de travail peuvent ne rien rapporter ou rapporter 50 dollars d’or, même si les acheteurs de la République dominicaine ne paient que la moitié du cours du marché. En outre, avec la plupart des familles trop pauvres pour même se permettre d’envoyer tous leurs enfants à l’école, ils sont nombreux les gens qui vont du côté des collines et des berges dès qu’ils ont fini de planter leurs semences. Le paysage est parsemé de trous. La rivière est couleur de boue. « Le pays est pauvre, mais ce qui est dans le sous-sol pourrait nous sortir de la pauvreté à tout jamais », de dire Arnolt. « Mais puisque notre richesse reste sous terre, c’est les gens les plus riches qui viennent chercher des moyens de les exploiter. Ceux qui habitent la terre restent pauvres, et les riches s’enrichissent davantage. »

Cet article est réalisé en partenariat avec Haïti Liberté et rendu possible en partie grâce à une bourse de Pulitzer Center on Crisis Reporting.

Ayiti Kale Je – http://www.ayitikaleje.org – est un partenariat établi entre AlterPresse, la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS), le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et les radios communautaires de l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA) et les étudiants du Laboratoire de Journalisme de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’Etat d’Haïti.

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