Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Survivre aux campagnes électorales

Ça y est, c’est lancé. La plus longue campagne électorale dans l’histoire du pays, 79 jours, s’est amorcée. Pendant cette période qui, pour plusieurs, semblera interminable compte tenu des inepties qui seront proférées, du peu de substance à se mettre sous la dent, des propos creux, nous aurons droit à toute une panoplie de discours et de promesses qui, pour la plupart, ne seront pas tenues par la suite, de la part des différents partis politiques sollicitant le vote des citoyen(ne)s canadien(ne)s. Et déjà, tous les commentateurs patentés, les analystes, les spécialistes, les chroniqueurs de tout acabit y vont de leurs analyses, le plus souvent d’une faiblesse ahurissante et de leurs opinions, toutes aussi insignifiantes. Ce « ronron médiatique » qui s’abat sur nous, en cette ère de l’information continue, a comme principale fonction de meubler les temps d’antenne des radios et télévisions et les pages des journaux.

Au-delà de ce passage obligé auquel nous sommes convoqués tous les quatre ans avant de connaître le prochain gouvernement de l’État fédéral qui dirigera le pays, j’aimerais me pencher sur la nature même des campagnes électorales, tant fédérales que provinciales, et tenter de comprendre ce que celles-ci révèlent quant à la santé, ou la maladie, de notre dite démocratie.

De nos jours, chaque parti politique dispose d’une équipe de spécialistes en communications, communément appelés les « spin doctors » qui, chaque jour, épluchent les nouvelles diffusées par les différents médias afin de, au jour le jour, dicter la marche à suivre des candidats qui briguent les suffrages. Cherchant l’énoncé choc qui terrassera l’adversaire, ces professionnels de l’information, agissant dans l’ombre, suivent un plan de campagne décidé par une petite équipe autour du chef, duquel ils dérogeront le moins possible. Rompus à l’art de faire dire n’importe quoi à n’importe qui, ce sont ces stratèges nouveau genre, davantage que les candidats eux-mêmes, qui déterminent les règles du jeu en campagne électorale. Ainsi, tout semble planifié d’avance et haro sur le candidat ou la candidate qui oserait exprimer une opinion qui irait à l’encontre de la ligne de parti toute désignée ou qui se permettrait de sortir des rangs tracés d’en haut. La semonce ne tarderait pas. Où est donc passé le libre arbitre ?

Puis, les différentes publicités font dorénavant, hélas, aussi partie intégrante de l’arsenal auquel les partis ont recours. Au Canada, depuis quelques campagnes, on s’aperçoit que le style de publicités dites « négatives », en vogue aux États-Unis, prend de plus en plus de place ici même. Avec ces pubs, racoleuses à souhait, frôlant parfois la calomnie, maintes fois démagogiques, les partis ne cherchent qu’à noircir l’adversaire. Il ne s’agit aucunement de mettre de l’avant des idées, de susciter la réflexion mais de s’en prendre aux individus eux-mêmes, le ou la chef de parti le plus souvent, voire de les diaboliser. Primaires, truffées de bassesses, aussi éclairées qu’une nuit polaire, ces annonces de 30 secondes ou d’une minute n’apportent rien qui vaille au débat démocratique, ne renseignent aucunement les gens sur les politiques des partis et ne constituent, à vrai dire, qu’une diversion, qu’un appel aux plus bas instincts, qu’un travestissement éhonté de la démocratie. Pitoyable spectacle !

Il est aussi un autre secteur d’activités qui salive à l’annonce d’une campagne électorale. Je veux parler des compagnies de sondages. À plusieurs reprises au cours de la présente campagne, nous aurons droit à des sondes auprès de monsieur et madame tout le monde sur les intentions de vote des citoyens. Parfois aussi, il y en aura sur différents sujets de politiques, sociales et économiques surtout. Je fais cette précision quant aux principaux sujets abordés lors de ces sondages afin de noter qu’il est rarement question de poser des questions sur la culture, sur l’environnement, sur la pauvreté, sur les écarts grandissant entre les riches et les moins bien nantis, sur le logement, la santé, l’éducation et sur les peuples autochtones, dont on entend à peu près jamais parler en campagne électorale. À quand un sondage qui demanderait à la population quelle est l’importance de l’enseignement de la musique pour les jeunes ou de la place des groupes communautaires et de l’économie sociale dans la Cité ou de ce qu’il faudrait faire pour améliorer le triste sort des premières nations ? Pourquoi ces partis pris, toujours les mêmes ? N’y a-t-il que la sacro-sainte économie qui intéresse la population ? J’ose penser que non. De plus, cette pléthore de sondages ne dispensent-ils pas les gens de questionner davantage les politiciens et n’orientent-ils pas indûment le vote alors que plusieurs personnes se contentent de voter pour le parti qui mène dans les sondages ? Ne pourrait-on pas, à l’instar de d’autres pays, interdire les sondages dans les deux dernières semaines d’une campagne afin de susciter un plus grand intérêt de la population envers la chose publique ?

Puis, il y a les fameux débats, ces supposément moments forts d’une campagne électorale. Parlons-en ! De tout temps, il est connu que ces combats de coqs n’apportent guère de matière à réflexion, n’aident en rien les citoyens à bien connaître les idées des partis en lice. Réglés au quart de tour, en présence d’animateurs complaisants, ces joutes oratoires ne sont qu’un succédané de véritables débats politiques. Chacun, chacune y répète la cassette pré-programmée, pratiquée d’avance ne tentant, en bout de ligne, que de ne pas faire de faux pas et de livrer la phrase-choc, le « punch », la réplique assassine qui, le lendemain, fera la « une » des médias. Que du spectacle, une mauvaise comédie !

Et que dire du rôle des médias grand public dans tout ça ? Justement, c’est là un des aspects les plus débilitants, les plus révoltants de notre supposée démocratie, le reflet qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce système.

La plupart des médias généralistes, télévisions, radios et journaux confondus, jouent très mal leur rôle de 4e pouvoir, censés traquer les politiciens dans leurs retranchements afin de bien informer la population. Les « clips » de nouvelles de 30 secondes, la recherche, là aussi, de la phrase-choc, l’intérêt indu pour le « human interest », tant décrié par feu Michel Chartrand, tout ce sensationnalisme au ras des pâquerettes révèle la mollesse de la plupart des médias, leur servilité envers les pouvoirs financiers qui les font vivre. Il n’est que d’écouter les insignifiances partisanes des « ex », à Radio-Canada, et les remontrances teintées de démagogie d’un Mario Dumont, à TVA ou les inepties de Richard Martineau, à la même chaîne, pour désespérer d’un apport probant du milieu des médias à la vie démocratique. Tant d’incompétence et de veulerie est proprement scandaleux. L’apathie grandissante des gens pour le politique et les bas taux de participation attestent que les médias jouent mal leur rôle. N’ont-ils rien d’autre à faire que de régurgiter, en choeur, les phrases creuses que profèrent les politiciens de carrière, plus intéressés à assurer leur réélection que de servir l’intérêt public ? À cet égard, avez-vous remarqué, depuis le début de la présente campagne, la place accordée à « L’affaire Mike Duffy », du nom de ce sénateur qui aurait dilapidé allègrement des fonds publics ? Quel intérêt de nous ressasser ces histoires, jusqu’à plus soif, de petits politiciens véreux, membres d’une institution vétuste, au détriment de nous parler des « vraies affaires », qu’on ne fait qu’effleurer ?

Mais alors, y aurait-il possibilité de faire autrement ? J’ose penser que oui, et que nous méritons mieux que ce vaudeville. La manière actuelle dont les campagnes électorales sont menées est-elle la seule qui puisse exister ? Tout l’argent dépensé, notre argent, dans ces marathons d’une course sur place sert-il à faire en sorte que les gens puissent voter de façon éclairée, dans leur intérêt premier, en toute connaissance de cause ? Les campagnes électorales ne sont-elles que d’immenses trompe-l’oeil qui, à n’en pas douter, endorment toute velléité de prise en charge des affaires publiques par ceux que cela intéresse de prime abord, soit les citoyens ? Le cynisme grandissant envers la chose politique est-il irréversible ? Ce système doit-il être revu de fond en comble ? Sommes-nous condamnés à être gouvernés par une bande de marionnettes qui ne voient même pas les immenses ficelles qu’ils et elles ont dans le dos ? À quand un véritable sursaut démocratique qui rende caduque ces piètres succédanés d’un vrai débat politique ? La question est posée. J’y reviendrai.

Michel Saint-Laurent

Ile de la Madeleine

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