Édition du 9 septembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Réflexions et propositions sur le Cahier de propositions de Québec solidaire

A propos du congrès sur l’actualisation du programme (première partie)

Le 8 septembre, les membres de Québec solidaire recevaient une version actualisée du Programme de Québec solidaire et un Cahier propositions. Ce dernier doit faire l’objet de discussions dans les associations du parti. Les propositions pourront être amendées et la date limite de ces amendements est le 8 octobre prochain. Le 23 octobre, le cahier de synthèse des propositions et des amendements sera à son tour disponible. C’est ce dernier qui sera soumis au congrès du parti qui doit se tenir les 7, 8 et 9 novembre prochain. Dans le cadre de la discussion sur l’actualisation du programme de Québec solidaire, ce texte présente des remarques tant sur l’analyse de la situation et des propositions qui visent à répondre à cette situation dans une option d’émancipation politique et sociale. Nous abordons ici section par section le seul Bloc 1 du Cahier de propositions qui correspond à une partie du chapitre 1 du programme intitulé Créer une économie verte et solidaire.

L’ébauche du programme actualisé se limite à une « vision politique » et une « philosophie gouvernementale générale » au détriment d’analyses concrètes de la situation actuelle, de revendications précises et d’une stratégie de lutte permettant d’amorcer un processus de transformation sociale. Cette posture évite a) d’évaluer les rapports de forces sociaux et le rôle des mouvements sociaux comme acteurs des transformations sociales ; b) neutralise le programme en le réduisant à des politiques gouvernementales d’un éventuel gouvernement solidaire, empêchant ce programme d’outiller le parti pour les luttes concrètes extra-parlementaires ; c) et déconnecte le projet de société de ses conditions de possibilité en négligeant d’élaborer des stratégies précises.
Le programme doit redevenir un outil stratégique complet, intégrant analyse, propositions et stratégies concrètes de transformation sociale, articulées aux luttes présentes. Il s’agit de proposer un programme qui dépasse l’approche centrée uniquement sur l’éventuelle gestion d’un gouvernement de Québec solidaire, et d’esquisser un programme d’action articulé aux luttes sociales et au processus constituant produit par ces luttes. L’exercice proposé ne vise qu’à identifier les amendements et ajouts au programme en partant du Cahier de propositions.

Bloc 1 : Économie et transition socioécologique – Éclairer le rôle de l’économie dans la transition

Résumé des propositions soumises à la discussion
1.1 Les objectifs de l ‘économie solidaire.

Québec solidaire vise une économie décarbonée en 2050. Un gouvernement de Québec solidaire appliquera dans un premier temps un plan de transition énergétique visant l’élimination des hydrocarbures dans la production et la consommation d’énergie. Un gouvernement de Québec solidaire se dotera de nouveaux outils de planification et d’orientation économique pour améliorer le bien-être collectif et assurer le respect des droits de toutes et tous.

Critiques

Si on peut se questionner sur ce que signifie l’expression du dépassement à terme du capitalisme. Parler d’un système plus juste, inclusif et viable, c’est flou à souhait. On a ici une bonne illustration de ce que l’on entend par la réduction du programme à une vision politique. En fait, dans cette approche, l’analyse de la situation économique et politique est escamotée, les classes sociales, leurs intérêts divergents et les rapports de force entre ces dernières sont invisibilisés. On verra que cela demeure une constante dans l’ensemble du texte de l’ébauche.
Le mode de production capitaliste conduit à une prédation qui détruit systématiquement des forêts, des espèces animales terrestres et marines.
Cette seule priorité d’une économie décarbonée pour 2050 ne se distingue en aucune façon de celle avancée par les autres partis politiques au Canada et au Québec. Aucune cible pour 2030 ; aucune reprise des propositions du GIEC et des groupes écologistes en termes de cible. On se contente de généralités sur l’accélération de la transition socioécologique sans en définir le contenu.

Amendements et ajouts

Il faut définir des objectifs intermédiaires pour l’atteinte des objectifs de réduction des gaz à effet de serre et reprendre les objectifs avancés par les groupes écologistes.
Mais un frein significatif à la catastrophe climatique et la perte de la biodiversité ne peut être construit que par l’élimination de la poursuite d’une croissance sans entrave favorisant l’accumulation capitaliste. Il faut défendre une décroissance véritable en donnant la priorité à l’économie d’énergie, l’économie des ressources naturelles et la protection de la biodiversité . Cela passe par :
• la production de biens répondants aux besoins sociaux et non à une consommation débridée stimulée par la publicité
• la priorité donnée aux travaux qui vise l’économie d’énergie, comme la construction et la réparation de logements et des édifices sobres en consommation d’énergie.
• l’arrêt de l’obsolescence planifiée des produits et la facilitation des réparations
• la relocalisation au plus près des usager-es des productions pour éviter les transports aériens et maritimes sur de grandes distances des marchandises coûteuses en énergie
• une planification démocratique et citoyenne de ce qui doit être produit rompant avec la seule poursuite de profits.
Défendre la biodiversité exigera :
• le passage d’une agriculture industrielle à une agriculture biologique qui évite la surfertilisation, l’usage de pesticides, et sa réorientation vers la production de protéines végétales au lieu de protéines animales
• la sortie d’une agriculture centrée sur la production carnée en mettant fin aux élevages industriels
• la fin de la déforestation par l’exploitation privée des forêts et une gestion qui tend à diminuer la variabilité des espèces d’arbres sur un territoire.
• L’arrêt d’une pêche industrielle qui détruit les ressources halieutiques

Arguments pour l’ajout

Pour ce qui est de l’objectif de la décarbonation pour 2050, un horizon aussi éloigné ne permet pas de fixer des objectifs de luttes immédiates pour les mouvements sociaux et de soutenir les objectifs des groupes et mouvements écologistes.
Pour ce qui est de la décroissance et de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité, cela ne peut être le seul résultat d’une action gouvernementale à venir. Il faut mettre de l’avant des revendications qui peuvent être reprises par les mouvements sociaux. La lutte contre la production des biens sociaux et des dépenses ostentatoires sont des combats qui doivent être livrés maintenant. Cela est aussi vrai de la lutte contre l’obsolescence planifié et pour la réparabilité des produits. Les mouvements de consommateurs, les syndicats, les groupes écologistes.
Pour ce qui est de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité, on ne peut se contenter de parler d’aires protégées, c’est tout le rapport à la nature qui doit être transformé et cela implique une rupture avec la logique de la croissance infinie pour la recherche de profits.

Résumé des propositions soumises à la discussion
1.2 (1.2.1) Diversifier les modèles économiques

Il faut que la logique de l’accumulation des profits cesse pour laisser plus d’espace à l’économie sociale. L’économie doit revenir entre les mains des communautés québécoises.

Critiques

Ces propositions sont des abstractions. La propriété privée des moyens de production et d’échange par les monopoles qui sont souvent des multinationales étrangères et les grandes banques doit être remise en question, car ce sont les acteurs majeurs du système économique qui détermine la logique d’évolution qui conduit à la prédation et à la destruction de la nature.

Amendements et ajout

L’économie ne peut revenir entre les mains de la majorité populaire sans la socialisation des grandes entreprises des secteurs stratégiques de l’économie. Cette socialisation passe par la nationalisation, puis la démocratisation de ces entreprises pour donner le contrôle aux travailleurs et aux travailleuses, et aux citoyen-nes dans lesquelles ces entreprises fonctionnent.

Arguments en faveur des amendements et ajouts

On ne peut en reste à des formulations qui ne permettent pas à la majorité populaire et aux mouvements sociaux qui l’organisent d’agir concrètement dans le sens des objectifs visés.

Résumé des propositions soumises à la discussion
1.3 (1.2.1) Diversifier les modèles économiques

On propose trois critères pour une nationalisation : 1. son caractère stratégique ; 2. la grande quantité de capital nécessaire ; 3. la démonstration de l’échec du secteur privé.

Critiques

Si on peut nationaliser sans démocratiser (soit étatiser) on ne peut socialiser les secteurs économiques appartenant au grand capital sans nationaliser (les banques, les grandes entreprises d’exploitations minières, forestières ou les grandes industries de transformation et de transport, doit devenir du domaine public si on veut pouvoir opérer dans ces dernières une démocratisation véritable qui donne le pouvoir aux travailleuses, aux travailleurs et aux citoyens.
Si le critère 1 pour la nationalisation peut être à considérer, le critère 2 montre que la proposition ne considère pas la nationalisation sans compensation et la démocratisation qui devrait s’en suivre ; le critère 3 de l’échec du secteur privé équivaut ni plus ni moins qu’à faire prévaloir la recherche du profit sur les besoins sociaux.

Amendements et ajouts

La socialisation des grandes entreprises et des banques passe par leur nationalisation et la démocratisation de leur fonctionnement
Les critères 2 et 3 sur la nationalisation doivent être biffés

Arguments en faveur des amendements et ajouts

La démocratie économique ne peut être réalisée si une minorité possédante continue d’avoir le contrôle des choix d’investissements et de mobilisation de l’argent, alors que cette minorité se constitue en force de blocage de la transition écologique et sociale, comme la conclusion de ce chapitre du programme révisé le reconnaît.

Résumé des propositions soumises à la discussion
Participation des travailleuses et travailleurs à la transition socioécologique
1.4 (1.2.3) Protection et participation des travailleuses et des travailleurs dans la transition socioécologique

Un gouvernement de Québec solidaire applique le principe de Zéro perte d’emploi net à l’intérieur de chaque région. Il assurera la diversification des économies locales. Il favorisera des investissements dans les secteurs peu polluants et la requalification de la main-d’œuvre. Un gouvernement de Québec solidaire encouragera la participation des travailleuses et des travailleurs dans la gestion des impacts de la transition écologique.

Critiques

Quelle sera la politique d’investissement d’un gouvernement solidaire pour diversifier l’économie d’une régions ? Comment et avec quels moyens un gouvernement solidaire investira-t-il dans les secteurs peu polluants ? Comment les travailleuses et les travailleurs seront-ils impliqués dans les choix gouvernementaux ?
Encourager la participation dans la gestion des impacts est pour le moins timide ; la question est celle d’assurer non seulement la participation, mais la prépondérance des travailleurs et travailleuses.

Amendements et ajouts

Pour Québec solidaire cela passera par la proposition de la création de conseils régionaux de planification démocratique, où siègent côte à côte des élu·es, des syndicats, des collectifs écologistes, des associations citoyennes et communautaires. Ces conseils doivent être ouverts, transparents et redevables devant la population. Les grandes orientations économiques, énergétiques et sociales doivent être débattues publiquement et tranchées collectivement. Les assemblées citoyennes locales, les budgets participatifs et le droit de référendum sur les projets destructeurs sont des outils indispensables pour briser l’opacité du pouvoir et donner une voix directe au peuple.
Québec solidaire soutiendra que les travailleuses et travailleurs doivent occuper une place centrale dans ce processus. Eux seuls connaissent la réalité des emplois, les conditions de travail et les besoins de reconversion. Ils doivent avoir un droit de regard sur chaque projet régional, notamment dans les secteurs stratégiques, comme l’énergie, le transport, la forêt, l’agriculture ou l’industrie.
Enfin, pour éviter que ce processus ne soit confisqué par les institutions, il faut mettre en place des observatoires citoyens et syndicaux chargés de surveiller la mise en œuvre des décisions et de forcer les autorités à rendre des comptes régulièrement. Les bilans doivent être publics, débattus et rectifiés collectivement.

Arguments en faveur des amendements et ajouts

La protection des travailleuses et des travailleurs ne peut se contenter d’un encouragement à la participation. Cette protection ne peut être assurée que par un processus de démocratisation économique qui ne doit pas s’arrêter à la porte des entreprises ou des institutions publiques.

Résumé des propositions soumises à la discussion
Soutien aux municipalités dans la transition écologique
1.5 (1.2.4) Soutenir les municipalités dans la transition écologique

Un gouvernement solidaire soutiendra adéquatement les municipalités dans la mise en œuvre de la transition socioécologique. Il donnera aux régions les moyens d’organiser leur développement économique et la socialisation. Un gouvernement solidaire confiera à de nouveaux conseils régionaux la planification de la transition socioécologique.

Critiques

Le soutien adéquat, cela ne signifie rien de précis. Le moyen d’organiser la mise en œuvre de la transition n’est pas non plus définie. Il s’en suit que l’on en reste à un discours sans ancrage dans le réel.

Amendements et ajouts

Il faudra assurer le transfert du budget de l’État vers les municipalités, instaurer la mise en place de budgets participatifs et instaurer un fonds de solidarité intermunicipalités

Arguments en faveur de l’Amendement

Les propositions avancées ne sont pas uniquement conditionnées à une éventuelle prise du pouvoir par Québec solidaire. Elles peuvent favoriser les mobilisations citoyennes pour remettre en cause le contrôle bureaucratique et étatique de l’état sur les municipalités tel que le prévoit la loi actuelle.

Résumé des propositions soumises à la discussion
Encadrer le commerce le libre échange et la financement
1.6 (1.2.5) Encadrer le commerce, le libre-échange et la financement

Un gouvernement de Québec solidaire imposera des obligations environnementales, sociales et de gouvernance renforcée pour les entreprises québécoises à l’étranger. Les organismes publics devront respecter les mêmes normes.

Critiques

La question du commerce et du libre-échange ne saurait concerner que les seuls investissements étrangers des entreprises québécoises. Ce qui est en jeu avec la finance, c’est la capacité de financer les investissements publics permettant une véritable transition socioécologique.

Amendements et ajouts

Il est nécessaire de dénoncer les traités qui portent atteinte à la souveraineté démocratique et aux droits sociaux et environnementaux, notamment l’ Accord Canada–États-Unis–Mexique, l’Accord économique et commercial global, et le Partenariat transpacifique global. Il faut exclure explicitement les services publics et la culture des clauses de libéralisation et d’investissement, et abolir les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, qui favorisent injustement les multinationales au détriment des intérêts collectifs.
Pour encadrer les entreprises québécoises à l’étranger, une loi sur la responsabilité extraterritoriale doit être adoptée, obligeant les entreprises et investisseurs publics québécois à respecter des normes rigoureuses en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).
Pour refonder nos rapports à la finance mondiale, il convient d’instaurer une taxe sur les transactions financières (TTF) ainsi que sur les profits bancaires, d’interdire toute relation avec des paradis fiscaux officiellement reconnus et d’imposer la transparence bancaire, notamment par la levée du secret bancaire. Par ailleurs, les produits financiers spéculatifs nuisibles doivent être interdits afin de réduire les risques systémiques et la financiarisation de l’économie.
Québec solidaire doit appeler à la socialisation des banques et des assurances.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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