Édition du 16 avril 2024

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La révolution arabe

Syrie : « Le peuple veut la fin du régime »

Saada Ali, militante syrienne de retour de Damas, a sillonné la Syrie au cours des derniers mois. Elle a accepté de répondre aux questions de « Tout est à nous » (France).

Peux-tu nous parler des forces armées aujourd’hui, y a-t-il des défections massives et des forces qui rejoignent les manifestations  ? La tentation d’un affrontement direct avec le pouvoir existe-t-elle  ?

L’armée syrienne et les hauts officiers sont presque tous des alaouites très fidèles au régime, mais la base de l’armée, elle, est à majorité sunnite et issue des couches populaires. Les éléments «  libres  » de l’armée refusent de tirer sur le peuple, mais ils sont menacés, persécutés, leurs familles intimidées, certains même sont assassinés sur place. Les défections individuelles se multiplient. Il faut saluer l’extrême courage de ceux qui prennent de telles responsabilités. Pour l’instant, selon moi, il n’y aura pas de désagrégation majeure de l’armée. Mais les déserteurs de plus en plus nombreux se regroupent à la frontière turque, et une «  armée syrienne de libération  » est en voie de constitution. À Homs, par contre, qui est le foyer le plus important de l’insurrection, une partie de l’armée protège les manifestants contre les exactions des nervis pro-régime et des membres des services de sécurité qui tentent d’imposer la terreur. Il y a même eu une attaque d’un centre de sécurité de l’armée de l’air afin de libérer des prisonniers.

Le conseil national syrien (pour l’instant basé en Turquie) dialogue avec les responsables de l’armée syrienne de libération. Tous deux exigent que leur soit donnée la possibilité d’avoir des armes leur permettant d’affronter efficacement les troupes du dictateur.

Les manifestants réclament t-ils une aide étrangère  ?

Les manifestants dans la rue... oui, parce qu’ils ne voient pas de perspectives immédiates alors ils « demandent au diable » de venir.
Les quartiers et les villes qui ne bougent pas, eux, ont peur d’une intervention étrangère.

Il y a un contraste évident entre certains quartiers, certaines villes qui bougent et d’autres non. La grève générale de dimanche 11 décembre a fort bien marché et certaines villes étaient totalement paralysées. Cette grève était le fruit d’une mobilisation et d’une coordination nationale de comité locaux.. Le conseil national syrien a soutenu. Les gens pensent que le régime ne va pas partir facilement et qu’avant de le faire (quand il y sera inéluctablement contraint), va tout détruire. Les gens ont peur de l’inconnu et se demandent ce qui pourrait arriver en cas de départ de Bachar. Entre autres peurs, celle d’un régime islamiste... Ils craignent de «  revenir 100 ans en arrière  ».

Un plan de replâtrage avec des membres du clan Hassad, qui seraient «  plus présentables  » est souvent évoqué ces jours-ci. Penses-tu que cette possibilité existe  ?

Oui, bien sûr, des noms sont évoqués par ceux qui veulent encore croire à une possibilité de réforme du régime. Notamment les organisations prétendues de gauche. Certes, toutes les personnalités n’ont pas les mains rouges de sang, même si elles soutiennent ce régime sanguinaire, alors, oui, ce genre d’illusion existe. Mais la seule perspective aujourd’hui pour ce régime, est écraser le mouvement. À l’inverse, ceux qui sont aujourd’hui dans la rue ne reviendront jamais en arrière et ne veulent rien négocier. Pour eux, le seul mot d’ordre reste «  le peuple veut la fin du régime  » Un point de non-retour a été franchi. Les gens ont peur qu’en cas d’échec du mouvement, le régime se venge comme il l’a fait en 1982, où la répression a été très féroce.

Cette chute du régime pourrait intervenir dans les prochains mois ou à plus long terme  ?

Les cartes du régime sont nombreuses, cela risque d’être très long. Peut-être un an, un an et demi, deux ans  ? D’ici là, d’autres forces vont sans doute apparaître et apporter leurs propres propositions.

Il y a comme un paradoxe à voir des organisations positionnées à gauche, tel le PAC (Parti action communiste) qui a subi une très lourde répression sous Hassad père et fils, ou des organisations palestiniennes comme le FPLP-CG à soutenir ce régime honni par toute une partie de la population.

Il faut faire la différence entre les organisations palestiniennes et surtout leurs dirigeants, et le peuple palestinien qui vit en Syrie. Les Palestiniens en Syrie ont un statut bien supérieur à celui qu’ils ont dans d’autres pays. Ils sont très liés à la population. Ils bénéficient des mêmes droits et des mêmes devoirs. Une tentative de discrédit du peuple palestinien qui «  viendrait prendre le travail des Syriens  » a d’ailleurs avorté. Le peuple palestinien ne nourrit lui aucune illusion sur le gouvernement syrien.

Les Palestiniens du principal camp de Damas ont pris une part active dans les manifestations antirégime. Les camps palestiniens ont joué un rôle fondamental, notamment à Daara pour alimenter la population assiégée par l’armée, mais aussi à Lattaquié et à Homs.

Quel est le meilleur soutien que nous puissions organiser en France  ?

Faire pression sur le gouvernement. Attention, personne n’est pour une intervention armée occidentale... Personne  ! Nous avons besoin d’aide médicale pour soigner les blessés, d’une aide alimentaire et faire une pression économique sur le régime. Il faut que le peuple syrien ne se sente pas isolé, qu’il se rende compte de l’ampleur du soutien international.

Samedi 17 décembre est organisée en France une journée spécialement dédiée aux enfants syriens. Peux-tu nous en dire quelques mots  ?

Le régime fait exprès de tuer, torturer des enfants pour effrayer toutes les familles. Il faut dénoncer cette immonde terreur utilisée comme arme psychologique de masse.

* Propos recueillis par Alain Pojolat

Saadi Ali

militante syrienne de retour de Damas

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