Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Syrie. Washington arme les forces kurdes contre Daesh et irrite Erdogan

Dans la lignée de son tournant interventionniste, l’administration Trump a décidé de livrer des armes aux milices kurdes du nord de la Syrie, dans le but de reprendre Raqqa des mains de Daesh. Le franchissement d’une ligne rouge pour le gouvernement turc.

Tiré du blogue de l’auteur.

Les unités de protection du peuple kurde (YPD) sont la principale des composantes des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), agissant principalement au nord de la Syrie, contre l’État Islamique. Soutenues par les États-Unis depuis leur création, les FDS, sont aujourd’hui considérées comme la force la plus efficace contre Daesh par le pentagone.

Afin de les appuyer dans une opération visant à encercler Raqqa, capitale politique de Daesh, pour en reprendre le contrôle, Donald Trump a approuvé un plan de livraison d’armes à destination des Kurdes de Syrie. Les responsables militaires nord-américains déclarent qu’il s’agit d’« armes légères, munitions, mitrailleuses, véhicules blindés, ou équipement du génie ». Or, pour le moment on ne peut pas savoir exactement quel type d’armement sera livré ni si des fonds financiers ne seront pas engagés.

Mercredi, un porte-parole états-unien de la coalition internationale a déclaré qu’une partie du matériel est déjà en Syrie et pourra être distribuée rapidement. De son côté, Talal Sello, représentant des FDS, a décrété : « La décision américaine d’armer les YPG [...] est importante et va accélérer la défaite du terrorisme. […] Depuis sa prise de fonctions, l’administration de Donald Trump a augmenté son soutien à nos forces ».

Il s’agit d’une rupture avec la politique non moins impérialiste de Barack Obama. Ce dernier soutenait également les FDS, mais de manière plus indirecte et ambiguë, et avec plus d’égards diplomatiques, en particulier à destination de la Turquie à qui il laissait croire qu’elle pourrait également jouer un rôle important dans la bataille.

Trump et son gouvernement sont malmenés dans leur politique intérieure dont beaucoup de « mesures phares » ont été bloquées par les institutions ou par l’opposition interne et externe. Pour la nouvelle administration il y a un besoin urgent d’obtenir des résultats rapides. Le bombardement américain d’une base aérienne du régime, à la suite d’une attaque chimique sur des civils, poursuivait l’objectif de montrer qu’il était prêt à agir pour « résoudre » la crise syrienne en obligeant Bachar à accepter des conditions. Trump a reçu le soutien de tout l’establishment politique à l’époque.

Mais la prise de Raqqa des mains de Daesh représenterait une victoire symbolique très importante pour Trump. En ce sens, et de façon pragmatique, le gouvernement nord-américain a décidé de franchir le pas et d’armer les meilleurs combattants sur le terrain pour obtenir une victoire rapide (les forces du FDS ont d’ailleurs pris Tabqa, ville stratégique pour la reprise de Raqqa).

Le choix d’armer directement les milices kurdes peut avoir des conséquences directes sur les relations entre les États-Unis et la Turquie. Le président turc, Erdogan, considère en effet que les YPD sont une extension syrienne du PKK (Parti des travailleurs kurde) en Turquie, compté par Ankara et ses alliés occidentaux comme une organisation terroriste, auquel il livre une guerre sans merci.

« Fournir des armes aux YPG est inacceptable » a ainsi réagi le vice-premier ministre turc, Nurretin Canikli, à la télévision. « Nous constatons la préoccupation de la Turquie suite à ces actions, a rétorqué le Pentagone. Nous livrons ces armes en vue d’un objectif militaire précis. Nous transmettons un nombre d’armes strictement nécessaire pour la prise de Raqqa ».

Dans son escalade répressive envers le peuple kurde, le gouvernement turc avait notamment bombardé en avril un quartier général des YPD, au nord-est de la Syrie, causant pas moins de 28 morts.

L’intervention de l’armée turque et ses alliés en Syrie se fait sous la bannière de la « lutte contre le terrorisme » mais le principal objectif d’Ankara c’est de stopper la progression des forces kurdes au nord de la Syrie et empêcher qu’elles gagnent du terrain au long de la frontière avec la Turquie.

A la recherche de cet objectif la Turquie n’a pas hésité à se rapprocher de la Russie à la recherche d’une « solution » politique et militaire en Syrie qui exclue les forces kurdes de tout accord. Ce rapprochement entre la Russie et la Turquie, membre de l’OTAN, souvent aux dépens des États-Unis a irrité le gouvernement états-unien. On ne peut pas exclure que cela ait facilité la décision d’armer les combattants kurdes.

Pour certains responsables politiques kurdes, cette décision de Washington est un premier pas vers la reconnaissance politique internationale des forces kurdes en Syrie. Cependant, rien n’est si sûr. L’impérialisme nord-américain sait très bien s’appuyer de façon pragmatique sur certaines forces et, une fois leurs objectifs atteints, leur tourner le dos. D’ailleurs, différents responsables militaires et politiques nord-américains ont répété au gouvernement turc que l’armement des forces kurdes sera limité à un objectif militaire précis et n’ont promis aucun type de reconnaissance politique au-delà du partenariat qu’il a déjà avec les YPD.

C’est en ce sens sûrement que Trump essayera de discuter avec Erdogan quand celui-ci se rendra aux États-Unis la semaine prochaine.

Les combattants kurdes vont continuer à donner leur vie en luttant contre Daesh et leur reconnaissance politique par les puissances occidentales n’est même pas assurée. Encore moins leur droit à l’autodétermination.

Jean-Marc B

Blogueur sur le site de Mediapart.

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