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Europe

Temps partiel et précarité : 7 millions d'Allemands veulent travailler plus

Un sondage publié mercredi 15 août par l’Office fédéral des statistiques allemand (Destatis) indique que 7,4 millions d’Allemands aimeraient “travailler plus pour gagner plus”. Ce n’est pas le retour via l’Allemagne d’un discours qui fit la fortune de la droite française, mais la simple conséquence du développement des emplois à temps partiel, et de l’absence de salaire minimum.

17 août 2012 | mediapart. fr

En détaillant ce sondage, on apprend que parmi ces 7,4 millions d’Allemands prêts à travailler davantage, il y a d’abord 2,5 millions de sans emploi... Puis 2 millions d’employés à temps partiel qui souhaiteraient faire plus d’heures. Ensuite 1,7 million de personnes à temps plein, s’estimant sous-employées, et qui souhaitent arrondir leur fin de mois. Enfin, 1,2 million de personnes que Destatis range dans la catégorie “réserve silencieuse”.

Mais l’étude révèle surtout certaines disparités de genre : ainsi, sur les 2 millions de personnes cantonnées dans un travail à temps partiel, on compte 72 % de femmes. Ce qui est l’exact inverse dans le groupe de 1,7 million d’employés à temps plein (au moins 32 heures de travail hebdomadaires) qui est constitué à 72 % d’hommes.

Un phénomène de pauvreté laborieuse

En Allemagne, l’Etat ne garantit pas un salaire minimum, mais plutôt un “mode de vie minimum”, qui assure aux citoyens qu’ils auront de quoi vivre, a minima. Cette politique favorise bel et bien la flexibilité et explique en partie un taux de chômage très faible comparé à d’autres pays européens (avec un taux de 7,2 % contre 10 % en France) qui a pour contrepartie un grand nombre de travailleurs pauvres. Un Allemand sur cinq gagne moins que deux tiers du salaire horaire médian, qui s’élève à 9,62 euros. Il s’agit de femmes, deux fois sur trois. Ce système pousse aussi aux mauvaises pratiques salariales. « L’absence de salaire minimum, en particulier dans le secteur du service, a créé une véritable pauvreté laborieuse », constate Olivier Giraud, chercheur au Lise/CNRS/CNAM. Selon Wolfgang Uellenberg, ancien responsable de la Confédération syndicale allemande DGB, cité par Der Spiegel, un million de ces travailleurs pauvres seraient même éligibles aux aides de l’Etat, car ils ne gagnent pas suffisamment pour vivre décemment, « bien qu’une partie d’entre eux travaillent à plein temps ».
Tout en rappelant que les disparités restent très fortes entre les Länders, Olivier Giraud explique qu’un vrai clivage s’est créé depuis une dizaine d’années, avec le décrochage des salaires, accentué par la déréglementation induite par l’absence de revenu minimal. « L’Allemagne est un pays qui a beaucoup changé depuis la réunification. Aujourd’hui, la pauvreté laborieuse peut représenter près de 20 % des travailleurs. Il s’agit de taux américains, pas vraiment d’un phénomène européen », souligne-t-il. L’externalisation des activités de services au sein de l’industrie a accentué le phénomène. « Beaucoup de gens se sont retrouvés dans des positions délicates, parce que les entreprises, en particulier dans l’industrie, ont externalisé massivement leurs services, en tirant un grand bénéfice de cette absence de salaire minimum, qui représente pour elles un gisement de compétitivité. »

Par ailleurs, le chercheur pointe du doigt une stagnation, puis un décrochage des salaires dans ces secteurs. « Dans les années 1990, les salaires dans l’industrie progressaient régulièrement, ce qui provoquait un certain rattrapage dans les autres secteurs. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, et les conditions de vie se sont beaucoup dégradées pour ces travailleurs pauvres. » Der Spiegel rappelle que les salaires ont largement baissé au cours des deux dernières années, sauf pour les 10 % de la population qui gagnent le plus. Olivier Giraud ajoute que si ces travailleurs pauvres constituent probablement une bonne partie de ceux qui souhaiteraient augmenter leurs revenus en faisant des heures supplémentaires, « ce n’est pas évident pour eux, car le travail est difficile et les horaires souvent très contraignants ». Les dirigeants comptent désormais se saisir du problème. Le salaire minimum universel et des améliorations des conditions de travail pour les intérimaires devraient être inscrits au programme de la coalition CDU/CSU d’Angela Merkel, en vue des élections de 2013.

Les femmes à temps partiel, faute de crèches

Dans une société vieillissante, au taux de natalité particulièrement bas (1,3 enfant par personne), et alors que dans les grandes villes seulement une famille sur sept en moyenne a des enfants, leur scolarisation avant 6 ans est devenue un sujet épineux. Alors que seul 1 enfant sur 10 est accueilli dans une garderie la journée, les femmes doivent bien souvent faire un choix entre leur carrière et leur vie de mère – et ce, malgré le volontarisme d’Ursula von der Leyen, ministre du travail et ancienne ministre de la famille, accessoirement mère de 7 enfants.

La situation est compliquée par le mode de fonctionnement d’une école qui libère les enfants à 13 heures – au lieu de 16 h 30 en France. Cela explique en partie pourquoi près de 20 % des Allemandes renoncent à la maternité, contre à peine 10 % des femmes en France. Elle est également significative quand il s’agit d’étudier l’accès des femmes à un emploi à temps plein. Car si plus de 71 % d’entre elles travaillent (contre 64,4 % en France), la question de choisir entre les enfants ou leur carrière finit systématiquement par se poser, malgré la perspective d’un congé parental confortable de 7 mois, rémunéré jusqu’à 1 800 euros par mois.

Une réforme est en cours, visant à ouvrir plus de 200 000 places de crèche d’ici 2013 en Allemagne. Une avancée notable pour les femmes, mais qui ne règle pas la question des représentations et de l’évolution des mentalités. En Allemagne, les mères qui confient leurs enfant à la crèche pour travailler ont été affublées du sobriquet de Rabenmütter (mères corbeaux). « Lorsqu’on questionne les femmes sur leur degré de satisfaction face au mode de garde de leurs enfants, on constate qu’elles sont toujours très contentes en France, quel que soit le mode de garde – collectif, familial, privé – alors qu’en Allemagne, elles ne se disent jamais satisfaites », note Olivier Giraud.

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