Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Une pandémie virale qui va provoquer une épidémie de fermeture dans le secteur social

Comme précisé dans mes articles antérieurs, un état qui ne donne plus la priorité aux services publics et qui se dessaisit de ses missions traditionnelles au profit des organismes privés, un état qui se soustrait de ses responsabilités et met à mal pour des raisons idéologiques les mécanismes de solidarité est totalement démuni face à de grandes crises et prend le risque de voir s’effondrer des secteurs entiers de la société, ce qui est le cas de mon secteur : le sport.

Un article parut en 2019 sur le site « challenge.fr » intitulé « Lancement de l’Agence nationale du sport sur fond de conflit » met bien cela en exergue : « Dépoussiérer le modèle sportif français, basé sur une tutelle de l’état devenue théorique et plus très efficace, tel est le credo de ceux qui défendent la nouvelle structure, dont le premier conseil d’administration a lieu mercredi au Stade de France. Désormais, quatre acteurs vont y piloter les orientations pour la haute performance, avec les JO de Paris-2024 à l’horizon, et le développement des pratiques : l’Etat, les collectivités territoriales, le mouvement sportif (comité olympique et fédérations) et, dans une moindre mesure, les entreprises [...] Mais pour beaucoup, c’est la disparition du ministère qui se dessine. "Qui va décider de la politique publique de l’Etat français en matière sportive ?", demande l’ancienne ministre des Sports Marie-George Buffet. "Ce n’est pas un partenariat. Petit à petit, l’Etat se retire et Bercy se frotte les mains : un ministère de moins c’est toujours ça de pris", affirme la députée communiste »1.

Le sport, qui depuis bien longtemps subit l’hégémonie culturelle de nos dominants un peu partout en occident c’est-à-dire un lavage de cerveau généralisé au profit du marché, est considéré comme une marchandise lucrative, un hobby voire un luxe et non comme un droit inaliénable au bien-être et à la santé de tous.

Le sport a été le laboratoire grandeur nature de la privatisation et l’expérimentation in vivo qui doit se généraliser à l’ensemble du secteur social. On voit aujourd’hui la catastrophe dans ce secteur (mais pas que) et les résultats de cette externalisation à marche forcée de nos service sociaux.

Ce sont 7000 clubs de sport de la Fédération Wallonie-Bruxelles organisés en ASBL, en micro-entreprises qui naviguent à vue. Ce sont des milliers de micro-indépendants sans statut claire et toujours précaire, sans comité paritaire, sans protection sociale qui doivent composer avec les cotisations de leurs membres, avec le bénévolat et un partenariat public-privé pour survivre, en gros ce sont des sous-traitants de l’état paupérisé et marginalisé.

Certaines de ces structures tireront mieux leur épingle du jeu que d’autres dans ce drame social par une meilleure compréhension des mécanismes de dotation, partenariats public-privé (« PPP »), appels à projets mais rares sont celles qui s’en sortiront indemnes de cette crise. On voit déjà poindre à l’horizon la catastrophe annoncée : les faillites en masse et les fermetures de petits clubs. Ce sont des milliers d’enfants qui se retrouveront sans club après la crise.

Selon un sondage mené par l’Association interfédérale du sport francophone (AISF) : « La perte nette totale pour le secteur sportif de la Fédération Wallonie-Bruxelles due à la crise du coronavirus est actuellement estimée à 64,25 millions d’euros [...] Le montant de 64.250.000 euros démontre l’importance du sport dans notre pays, d’autant qu’il ne tient pas compte des pertes dans les structures privées, comme les salles de fitness, ou chez les profs de sport qui travaillent à titre individuel, dans les clubs par exemple, écrivent les deux journaux. Les pertes nettes sont notamment estimées à 48 millions d’euros pour les clubs sportifs francophones »2.

L’état a désinvesti massivement en Belgique et un peu partout en Europe suivant en cela les recommandations et les normes comptables européennes. La construction européenne a conduit à la suppression progressive de certains monopoles d’états. Ce sont tous les secteurs d’utilité sociale qui se sont prioritairement trouvés sur la paille. Il fallait dégraisser le mammouth : santé, éducation, culture, sport, etc. En bref tout ce qui n’était pas strictement nécessaire au regard du régalien et facilement externalisable sur le plan économique. La culture, l’éducation, la formation, le sport et les soins doivent dorénavant se balancer au rythme des marchés.

Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la chambre des représentant pour Bruxelles, dénonce « le désinvestissement massif dans les services publics » et lance (à propos de la réforme des pensions) : « de coups de canifs en coups de poignards vous déchirez le contrat social »3.

Ce glissement de l’état vers le privé a eu comme conséquence une forme de corrélation au fur et à mesure du désinvestissement de l’état vers ces organisations sociales, un effet de vase communiquant au profit d’organisations socio-privées, ASBL de tout genre.

On a vu ces 10 dernières années face aux recommandations de la commission européenne fleurir des micro-entreprises et des auto-entrepreneurs prendre le relais de l’état. « Le nombre d’ASBL a fort augmenté. Au 1er janvier 2018, on dénombrait en Belgique 150.247 ASBL disposant de la personnalité juridique. En dix ans de temps, leur nombre a augmenté de 13,88% ou de 18.312 unités. Dans certains secteurs, la progression est encore plus importante. C’est le cas pour les ASBL actives dans le secteur récréatif (+ 57%) et dans l’enseignement (+ 58%)4.

L’orthodoxie budgétaire, la « règle d’or » et les normes comptables européennes ont favorisés cette externalisation des services sociaux vers le privé. Les conséquences de cet exode et de cette politique d’austérité budgétaire de désinvestissement public que nous connaissons depuis le milieu des années 2000 en Europe est concomitante d’une dégradation générale de la qualité des services de la formation et de l’action sociale avec une paupérisation du secteur tout entier, de ses statuts et de ses contrats.

Cette sous-traitance à marche forcée des services sociaux a généré des services de moins bonne qualité avec une précarisation galopante du personnel utilisé comme des kleenexs. Les résultats du définancement de « l’état providence » sons très visibles dans la crise sanitaire que nous traversons aujourd’hui.

Ce glissement du public vers le privé a été mis en place avec l’excuse de le rendre plus compétitif avec une compression des masses salariales et l’introduction des méthodes de management et d’évaluation « new public management » qui ont fait largement leurs preuves dans le privé, sensées compenser les pertes de personnel et faire plus avec moins.

La Bérézina de cette politique est apparue au grand jour en pleine période de Covid-19.

À qui profite le crime et pourquoi cet acharnement ? L’union européenne devait se débarrasser de secteurs utiles socialement et accessibles à toute la classe ouvrière et par la même occasion se débarrasser du statut de la fonction publique, protégé et éminemment émancipateur au profit de statuts moins bien protégés et contractuels et permettre ainsi la main mise du privé sur le public en ouvrant un new deal « public » à la concurrence, à la prédation et au lucre.

Ria Janvier en a fait son cheval de bataille : « l’un – le statutaire – est surprotégé tandis que l’autre – le contractuel – est sous-protégé ». En effet, « Si on compare le secteur privé au secteur public, plusieurs différences sautent aux yeux. A commencer par la nomination fixe, une sécurité d’emploi que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Ainsi qu’un système de pension unique [...] En règle générale, les fonctionnaires bénéficient d’une meilleure protection sociale. [...] Il faut aussi parler de la sécurité d’emploi, pierre angulaire du statut, inexistante dans le privé [...] D’après une étude comparative du SPF Personnel et Organisation de 2014, les niveaux A (diplômés de l’enseignement supérieur) gagnent presque toujours plus que les équivalents du secteur privé ».5

En gros, pour l’union européenne le but a été de se débarrasser d’un projet d’émancipation et de progrès social « protecteur et intégrateur » inspiré par la classe ouvrière, le statut de la fonction publique qui aurait pu et qui aurait dû se généraliser à l’ensemble de la classe des travailleurs et qui est un très mauvais exemple pour tous les prédateurs qui veulent démanteler l’état providence.

La contribution des fonctionnaires à l’économie n’est absolument plus à mettre en doute sauf pour les réformateurs qui s’aperçoivent du danger qui peut se généraliser à tous les secteurs ! La peur de perdre des parts de profit lucratif est la hantise des classes capitalistes et la généralisation d’un système non lucratif comme celui de la fonction publique est à tout prix ce qu’il faut éviter pour ces réformateurs.

Les fonctionnaires et leur caisse de cotisation sociale, cette grande invention révolutionnaire de la classe ouvrière ne ponctionne pas le profit ni les rémunérations de la force de travail, ces deux institutions rapaces du capital les remplacent pour financer une croissances non capitaliste. La collectivité investit dans ses fonctionnaires pour générer de la valeur d’usage utile socialement.

Voilà la bonne façon juste, honnête et véritablement révolutionnaire d’appréhender cette question. Les fonctionnaires créent une valeur d’usage non lucrative, socialement utile et autrement productive, indispensable à l’émancipation et à la décroissance des inégalités sociales d’un pays, ce qui est très clairement démontré dans cette période de crise.

Carlos Perez

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