Édition du 23 avril 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

7 ans de la loi sur l’abolition de la prostitution : l’Etat doit s’engager pleinement

Le 13 avril 2016, la France faisait le choix radical et nécessaire d’abolir la prostitution avec une loi ambitieuse visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/04/25/7-ans-de-la-loi-sur-labolition-de-la-prostitution-letat-doit-sengager-pleinement/

Cette loi est venue abroger le délit de racolage (les personnes prostituées ne sont plus pénalisées) et apporter un véritable choix aux victimes de la prostitution (à 80% des femmes et à 90% d’origine étrangère) en mettant en place des parcours de sortie pour les personnes le souhaitant (délivrance de titres de séjour provisoires, soutien financier, aide à l’accès au logement, à l’emploi ou à la formation, etc.). De plus, la loi prévoit des contraventions ainsi que des stages de sensibilisation pour pénaliser les acheteurs d’actes sexuels (à 99% des hommes), s’attaquant ainsi à la demande d’achat d’actes sexuels, sans laquelle la prostitution et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle n’existeraient pas.

Cependant, sept ans après son adoption, notre pays doit redoubler d’efforts pour que la loi s’applique pleinement et avec des moyens à la hauteur de son ambition : plus que jamais, le mouvement féministe soutient l’abolition de la prostitution et demande à l’Etat de prendre ses responsabilités en déployant des ressources à même de garantir sa mise en œuvre effective pour tout·es.

A l’occasion de l’anniversaire de la loi, nous, associations féministes, tenons à porter à la connaissance des médias les éléments suivants :

Un rappel de ce que recouvre la loi d’abolition de la prostitution ainsi que les chiffres clés de sa mise en œuvre

Un lexique soulevant les enjeux de terminologie autour de la prostitution et notamment le rejet de la notion de « travail du sexe »

Des témoignages de survivantes de la prostitution ayant été accompagnées dans le cadre de parcours de sortie de la prostitution organisés par nos associations

Des témoignages d’anciens acheteurs d’acte sexuel ayant suivi un stage de
sensibilisation organisé par nos associations

Rappel de ce que recouvre la loi d’abolition de la prostitution ainsi que les chiffres clés de sa mise en œuvre
L’abolitionnisme est un modèle qui reconnait que la prostitution est une violence de manière inhérente, une atteinte à la dignité humaine et un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon ce modèle, les personnes en situation de prostitution sont les victimes d’un système violent qui doivent bénéficier d’une protection et d’une réelle possibilité de réinsertion à travers un accompagnement lors de parcours de sortie (délivrance de titres de séjour provisoires, accompagnement vers le logement, l’emploi et la formation, aide financière).

En outre, dans le modèle abolitionniste, les personnes en situation de prostitution ne sont pas pénalisées et le délit de « racolage » n’existe pas. Le modèle abolitionniste a également pour objectif de lutter contre le proxénétisme et l’abolition de toutes les formes de réglementation de la prostitution. Pour ce faire, il s’attaque à la demande d’achat d’actes sexuels, l’une des causes principales de la prostitution et du trafic humain pour l’exploitation sexuelle. Dans le modèle abolitionniste, l’achat d’acte sexuel est donc pénalisé, généralement par une contravention.

Selon les dernières données, le bilan suivant peut être dressé :
643 parcours de sortie de la prostitution autorisés au 1er janvier 2023 et 90 commissions départementales installées
200 stages en 2022 0 condamnations « clients » (mineures)

Enjeux terminologiques et lexique : pourquoi la prostitution n’est pas un travail

Dans son rapport publié en avril 2022, le Haut Conseil à l’Egalité faisait le constat d’un « discours de banalisation de la prostitution ». Il convient de noter également une persistance du discours règlementariste qui défend l’idée selon laquelle il existerait une prostitution librement choisie, aux côtés d’une prostitution « forcée » par les réseaux de traite et de proxénétisme. L’emploi de cette terminologie s’accompagne généralement d’un discours autour de la « liberté » des femmes et des hommes à consentir à la prostitution. C’est ce qui conduit des chercheuses et des militantes féministes à s’interroger sur la notion de libre choix.

Catherine Le MAGUERESSE, dans Les pièges du consentement (2021), s’appuyant sur Muriel FAVRE-MAGNAN (L’institution de la liberté, 2018) note que la fonction de la notion de liberté est de préserver des droits mais ne peut servir à justifier une exploitation, quand bien même la personne exploitée pense et dit se sentir libre vis-à-vis de celle-ci.

Les termes de « travail du sexe » ou de « travailleur/travailleuse du sexe » assimilent des personnes prostituées à des travailleurs et travailleuses vendant leur force de travail dans une logique de production. Ils sont régulièrement employés dans des articles de journaux.

Ces termes (« travail du sexe », « travailleur/travailleuse du sexe ») laissent entendre que la prostitution serait de l’ordre de la sexualité alors qu’elle est en réalité une forme de violence sexuelle. A ce titre, s’il est un sujet sur lequel la société a évolué, c’est bien la manière de considérer la prostitution qui est désormais reconnue comme une forme de violence faite aux personnes, majoritairement aux femmes : violence constitutive, intrinsèque, d’actes sexuels subis sans désir au cours desquels l’humanité des personnes est niée, ces dernières n’étant plus qu’objet pour celui qui paie, violences psychiques, physiques, sexuelles, commises par les clients et les proxénètes.

*« Le plus grand danger pour une p*** c’est la lucidité », Sisyphe.org, 23 décembre 2010

D’autre part, ils sous-entendent que la prostitution pourrait être assimilée à un travail « comme un autre ». Or, comme l’indique Carole PATEMAN (Le contrat sexuel, 2010), dans le cadre classique du travail, il existe un employeur, intéressé essentiellement par une production de marchandises et de profit, permise par la présence d’un tiers, le client. Dans la prostitution, l’employeur, qui de fait est aussi le client, fait de l’objet du contrat le corps d’une femme et l’accès sexuel à ce corps et non la création d’une quelconque valeur, financière ou autre, avec un droit unilatéral d’usage sexuel de ce corps.

A ce titre, s’il est un sujet sur lequel la société a évolué, c’est bien la manière de considérer la prostitution qui est désormais reconnue comme une forme de violence faite aux personnes, majoritairement aux femmes : violence constitutive, intrinsèque, d’actes sexuels subis sans désir au cours desquels l’humanité des personnes est niée, ces dernières n’étant plus qu’objet pour celui qui paie, violences psychiques, physiques, sexuelles, commises par les clients et les proxénètes. Cette position réglementariste gomme toutes les violences inhérentes à la prostitution et qui en constituent la spécificité ainsi que leurs conséquences dramatiques sur la santé globale des personnes. Parmi celles-ci, le syndrome de stress post-traumatique et ses symptômes tels que l’anesthésie traumatique physique et psychique entrainée par la dissociation traumatique. Pour survivre à cet engrenage de violences, les femmes en situation de prostitution doivent nier cette violence, devenir étrangère à elles-mêmes.

Tribune co-écrite par la CLEF, le Mouvement du Nid, Osez le Féminisme !, la Fondation Scelles, CAP international, Femmes Solidaires, l’Assemblée des Femmes

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