Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

À Hong Kong, dans l’adversité, les générations s’unissent pour Tian’anmen

En interdisant la veillée annuelle commémorant le massacre de Tian’anmen, les autorités ont redonné de l’unité et de la vigueur au mouvement démocratique. Jeudi 4 juin, les Hongkongais ont bravé l’interdiction.

Tiré de Courrier international.

Depuis quelque temps déjà, l’organisation d’une veillée annuelle en commémoration de Tian’anmen, à Hong Kong, s’était vue remise en cause par la jeune génération, pour qui c’était un événement rituel et naïf, idéaliste dans son souci de démocratisation en Chine continentale.

Mais cette année, les militants ont mis de côté ces divergences idéologiques en raison d’une nouvelle menace qui se profile : une loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin, qui risque d’entrer en vigueur dans la région administrative spéciale (RAS) très prochainement. Beaucoup craignent que sa promulgation ne rende la veillée illégale – or c’est la seule grande commémoration de la répression sanglante à avoir eu lieu ces trente dernières années en territoire chinois.

L’exercice de la liberté d’expression réunit

“J’ai longtemps trouvé que scander des slogans [au parc Victoria] ne servait pas à grand-chose, d’autant plus que l’Alliance [hongkongaise pour le soutien au mouvement patriotique démocrate en Chine] l’a fait pendant toutes ces années”, confie Mary Leung, une étudiante de 24 ans inscrite à l’Université chinoise de Hong Kong. Mais dans la soirée du 4 juin, elle s’est pourtant rendue dans le quartier de Mong Kok [sur la presqu’île de Kowloon] avec cinq de ses amis pour participer à une veillée qui se déroulait simultanément aux quatre coins de la ville. “Aujourd’hui, ce rendez-vous symbolise quelque chose que nous voulons préserver : l’exercice de la liberté d’expression”, explique-t-elle.

L’événement habituellement organisé au parc Victoria [sur l’île de Hong Kong] ayant été interdit pour des raisons sanitaires, les participants sont apparus par petits groupes à divers endroits de la ville, munis de bougies. Mais ce n’était pas la seule différence avec les commémorations des autres années. Avant, c’était une manifestation sombre et solennelle pour pleurer les morts survenues lors du soulèvement étudiant de 1989 à Tian’anmen. Le 4 juin 2020, cela a aussi été une occasion pour les participants de répercuter leur colère contre les autorités, après près d’un an de manifestations antigouvernementales.

Les désaccords mis de côté

Beaucoup ont chanté leur hymne protestataire (Gloire à Hong Kong), brandi des drapeaux contestataires et scandé toute une série de slogans – comme “Il n’y a pas d’émeutiers, mais seulement de la tyrannie” ou “Une seule nation, un seul Hong Kong”.

Tandis que le ressentiment à l’encontre de la Chine continentale se développait après les manifestations du mouvement Occupy, en 2014 [après le refus de Pékin de mettre en place un véritable suffrage universel dans la RAS], certains jeunes et dirigeants étudiants ont fait campagne pour snober la veillée annuelle au parc Victoria, qu’ils jugeaient purement rituelle et sans utilité concrète pour progresser vers la démocratie.

Certains s’en sont aussi pris à l’organisateur de la veillée, l’Alliance hongkongaise pour le soutien au mouvement patriotique démocrate, faisant valoir qu’il ne leur incombait pas de défendre la démocratisation de la Chine continentale.

Un participant âgé de 22 ans, qui se fait appeler “Hin”, a assisté à la veillée au parc Victoria ce 4 juin en tenant un drapeau portant l’image du militant indépendantiste Edward Leung Tin-kei, qui a été incarcéré en tant que principal instigateur de l’émeute de Mong Kok, en 2016. Selon lui, les manifestants de tous bords politiques ont mis de côté leurs désaccords depuis l’annonce de la loi sur la sécurité nationale [elle a été approuvée le 26 mai par le Parlement chinois, en contournant les législateurs hongkongais].

“La liberté et la démocratie défendues par la population le 4 juin [1989] sont les valeurs pour lesquelles nous luttons aujourd’hui, explique-t-il. Si nous n’organisons aucune commémoration du 4 juin, les gens pourraient aussi oublier ce qu’a fait ma génération, dans quelques décennies.”

La proximité avec Tian’anmen à nouveau ressentie

Tobey Yau, 21 ans, qui travaille dans les services sociaux, affirme qu’après l’année de manifestations antigouvernementales qui vient de s’écouler, elle pourrait finir par se rallier à la revendication de l’Alliance, “contre le gouvernement de parti unique [en Chine]”.

“Ce que nous vivons aujourd’hui à Hong Kong ressemble beaucoup à ce qu’a vécu la génération de 1989. Les autorités refusent de nous entendre et font ce qui leur chante”, affirme-t-elle. Yau ajoute que le projet de loi sur la sécurité nationale suscite en elle le même désespoir que ressentaient les étudiants de Tian’anmen.

“En regardant en arrière, j’ai peur qu’on subisse la même chose, confie-t-elle. Nous sommes deux générations qui arpentent le même chemin, mais eux ont échoué. Et aujourd’hui, je crains que nous soyons confrontés à la même issue.”

Dans le district de Tsuen Wan, Leo Lee, qui travaille dans un organisme de licences musicales, raconte qu’il n’avait jamais participé aux commémorations jusqu’à présent et qu’il ne s’intéressait pas à la politique, mais qu’il a changé d’avis après les manifestations de 2019. Et à l’annonce de la loi sur la sécurité nationale, il a craint pour l’avenir de la métropole.

Cette veillée sera-t-elle la dernière ?

“Si cette loi entre en vigueur, la veillée du 4 juin disparaîtra-t-elle à Hong Kong ? La veillée de 2020 sera-t-elle la dernière ?” interroge-t-il, avant d’ajouter qu’il prévoit de transmettre à sa fille de 3 ans les faits sur la répression.

“Je ne veux pas que la vérité tombe dans l’oubli.”

Fin mai, Pékin a annoncé sa décision d’imposer la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, qui vise à “prévenir, suspendre et sanctionner” les actes sécessionnistes, séditieux et terroristes, ainsi que l’ingérence étrangère dans la ville.

Lors de la veillée à Ma On Shan [une ville nouvelle dans l’est de Kowloon], ainsi qu’à d’autres endroits, les participants qui scandaient des slogans appelant à défendre les mouvements étudiants de 1989 ont alterné avec des cris de ralliement comme “Libérons Hong Kong, c’est la révolution de notre temps”.

Mais à 20 h 9, les gens ont sorti leurs téléphones, dont les écrans étaient allumés à l’image de bougies, et ont marqué une minute de silence – l’un des rites annuels pour commémorer la tragédie. La police avait interdit la veillée au parc Victoria pour la première fois en trente ans, invoquant des raisons sanitaires liées à la pandémie de Covid-19.

Une nouvelle stratégie appuyée sur les élus de districts

En bravant l’interdiction et en se rendant au parc en petits groupes, l’Alliance inaugurait aussi une nouvelle stratégie. Elle s’était associée à des conseillers de district afin d’installer une centaine de stands dans plusieurs quartiers de la ville où étaient distribuées des bougies, une collaboration qui a pu voir le jour parce que l’opposition a été la grande gagnante des élections locales en novembre 2019. Comme ils ont remporté près de 80 % des sièges, les conseillers de l’opposition ont maintenant accès aux ressources et à un réseau qui s’est révélé utile pour organiser des veillées dans toute la ville.

L’interdiction de se rassembler au parc Victoria a aussi fonctionné pour une autre raison, selon un homme d’une cinquantaine d’années qui travaille dans le commerce international et n’a donné qu’un surnom, “Ip”, et qui se trouvait dans le secteur de Mei Foo : cette interdiction a mobilisé la population.

“Avant, certains Hongkongais auraient sans doute pensé que la veillée du parc Victoria était répétitive et ils n’y auraient pas participé. Mais, cette année, la décision de la police s’est retournée contre elle. Ça a rappelé [le 4 juin] à des gens qui auraient peut-être oublié cet anniversaire.”

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