Édition du 26 mars 2024

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Afrique

À l’île Maurice, une marée noire déclenche une insurrection populaire

Le 25 juillet, l’île Maurice a commencé à vivre une catastrophe écologique : des tonnes de fioul se sont répandues dans ses eaux paradisiaques, menaçant l’économie locale de la pêche et du tourisme. L’incurie du gouvernement allait mettre le feu aux poudres, et provoquer une insurrection populaire. Une de plus à travers le monde, souligne l’autrice de cette tribune.

Tiré de Reporterre.

Samedi 12 septembre, des Mauriciens en colère ont défilé une nouvelle fois, à Mahébourg. Le 28 août, ils étaient déjà des dizaines de milliers rassemblés dans les rues de la capitale, Port-Louis. Du jamais vu depuis plusieurs décennies. Ce surgissement populaire fait suite au désastre écologique causé par le naufrage du vraquier japonais Wakashio, au début du mois d’août.

Le 25 juillet, le Wakashio heurte un récif au large de l’île Maurice. Les 3.800 tonnes de fioul et 200 tonnes de carburant diesel qu’il transportait ont commencé à se répandre dans les eaux turquoises qui font la réputation de cette île de l’océan Indien. Plusieurs jours se sont écoulés et 1.000 tonnes de fioul ont souillé le rivage et les fonds marins avant que les autorités ne prennent la mesure de la catastrophe et ne réagissent.

Pour comprendre cette tragédie écologique, il est nécessaire de la replacer dans le contexte économique : celui du capitalisme globalisé et de ses longues chaînes d’interdépendance. 90 % du commerce mondial en volume transite par la mer. De l’Amoco Cadiz au naufrage du Wakashio, en passant par les explosions dans le port de Beyrouth, c’est à chaque fois la dérégulation du transport maritime qui est en cause.

Un armateur déjà impliqué dans une marée noire

Pour maximiser les profits, le commerce globalisé exploite des équipages captifs de rafiots mal entretenus, qui naviguent sous pavillon de complaisance pour échapper à toute régulation internationale. Le MV Wakashio en est une caricature : vraquier japonais, il battait pavillon panaméen et son capitaine était indien. L’armateur japonais du navire, la compagnie Mitsui O.S.K. Lines, avait déjà été impliquée dans plusieurs accidents, dont une marée noire en 2006 dans l’océan Indien.

Le Covid-19 n’a fait que mettre à nu l’extrême fragilité de ces chaînes toujours plus longues. Un grain de sable, et c’est toute la machine qui se grippe. Le Wakashio en est un exemple probant. Du fait de la pandémie de Covid-19 et d’une économie mondiale confinée, le navire naviguait sans but sur les océans, faute de commandes et pour éviter de payer des taxes dans les ports. Parmi son équipage, certains marins n’avaient pas mis le pied à terre depuis un an. Une fatigue extrême et le manque de lucidité qui en découle pourraient expliquer en partie le naufrage.

Comment gagner sa vie si la marée noire éloigne les touristes ?

Le contexte établi, c’est le processus de révolution citoyenne lui-même qu’il s’agit d’examiner de près. Pour comprendre le moment, il faut avoir à l’esprit que les 1,3 million d’habitants de l’île Maurice dépendent de leur environnement pour vivre. Leur économie est essentiellement basée sur la pêche et le tourisme. Cette marée noire a ainsi agi en révélateur de l’impasse des choses concrètes. Comment se nourrir dans des eaux polluées aux hydrocarbures ? Comment gagner sa vie si les touristes épris d’une carte postale paradisiaque ne reviennent plus ? Le fait écologique qu’est la marée noire se traduit par une coupure d’accès aux réseaux dont dépend le peuple pour subvenir à ses besoins fondamentaux et compromet ses conditions mêmes d’existence.

À cette angoisse existentielle légitime s’ajoute le constat de l’incurie des dirigeants. Le peuple a été aux premières loges pour observer le manque de réaction des autorités. Puis il a constaté la nécessité de faire appel à l’aide internationale, par manque de moyens techniques pour faire face à une marée noire devenue inéluctable. Il a dû lui-même retrousser ses manches pour nettoyer. Enfin, les dizaines de dauphins retrouvés morts aux alentours viennent contredire les discours officiels visant à minimiser l’ampleur de la catastrophe et ses impacts. Les manifestants reprochent donc au gouvernement sa mauvaise gestion de la catastrophe. L’heure des comptes a sonné.

Quand le peuple entre en révolution citoyenne

« Lile Morise, paradi pou tourise. Lanfer pou tou Morisien » (« L’île Maurice, un paradis pour les touristes, l’enfer pour tous les Mauriciens »), pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants. De la catastrophe écologique au sein d’un contexte de fortes dépendance et fragilité économiques dues au capitalisme et aggravées par le Covid-19 surgit le moment citoyen. L’étincelle d’un mouvement dont les revendications vont devenir globales. Ainsi les manifestants ont aussi dénoncé les inégalités sociales, la corruption et un régime perçu comme de plus en plus autoritaire.

Peu importe l’étincelle, la grille d’analyse des révolutions citoyennes permet d’identifier des marqueurs communs à toutes les insurrections à travers le monde. En réaction, quand la goutte d’eau fait déborder un vase de colère et d’exaspération, surgissent des mouvements populaires spontanés et déterminés.

Celui de l’île Maurice est né à l’initiative d’un simple citoyen et s’est propagé à toute la population. La diaspora mauricienne s’est également mobilisée dans de grandes villes telles Londres ou Paris. Comme au Liban, au Chili et ailleurs, le drapeau national est un symbole commun. Et les mots d’ordre eux aussi sont similaires. Les manifestants ont ainsi appelé le Premier ministre à la démission, avec le slogan en créole « Lév paké aller », qui signifie ni plus ni moins « Quitte le pouvoir ». Une manière claire et radicale de réclamer que les responsables fassent leurs valises qui n’est pas sans rappeler le « Dégage » de la révolution tunisienne et le « Tous, ça veut dire tous » des Libanais.

Partout à travers le monde, le peuple unanime dans sa colère et ses aspirations se constitue et surgissent les révolutions citoyennes. L’insurrection va-t-elle durer ? Quoi qu’il arrive, l’île Maurice s’ajoute à une liste longue de pays en ébullition.

Manon Dervin est militante écologiste, diplômée en affaires internationales (Sciences-Po Rennes) et en « gouvernance de la transition, écologie et sociétés » (AgroParisTech). Elle est l’autrice de l’Abécédaire de l’écologie populaire, aux Éditions 2031.

Manon Dervin

Manon Dervin est militante écologiste, diplômée en affaires internationales (Sciences-Po Rennes) et en « gouvernance de la transition, écologie et sociétés » (AgroParisTech). Elle est l’autrice de l’Abécédaire de l’écologie populaire, aux Éditions 2031.

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