Édition du 16 avril 2024

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Charte des valeurs québécoises

Entrevue avec Sylvain Malette, président de la Fédération Autonome de l’Enseignement

À propos de la Charte des valeurs et de la laïcité dans les écoles publiques

(Transcription de l’entrevue diffusée à l’émission de Marie-France Bazzo à Radio-Canada, 2 septembre 2013)

Marie-France Bazzo : Sylvain Malette, bonjour. Est-ce qu’il faut s’attendre à des réactions, à un backlash autour de cette question de la Charte (des valeurs québécoises) dans les écoles dans les jours à venir ?

Sylvain Malette  : Pas dans les jours à venir. Il existe actuellement un malaise sur la question des accommodements raisonnables. Ce qui nous a amenés comme Fédération à mener une consultation auprès des membres que nous représentons. J’invite cependant le gouvernement à clarifier l’objet du débat. Il est question ici de laïcité. Toute la question des valeurs risque de provoquer un dérapage et on doit ramener le débat. Le gouvernement a la responsabilité de recadrer le débat qui s’annonce. Un débat qui est important, qui est nécessaire car on peut se permettre et on doit se permettre de traiter de ces questions-là parce qu’actuellement on demande à l’école publique d’assurer la cohésion sociale mais on ne lui donne pas les moyens sur ces questions-là d’avoir un discours cohérent.

MFB : J’aimerais Sylvain Malette que vous me donniez des exemples concrets de ce qui est vécu sur le terrain par les professeurs ?

SM : Par exemple, -(je ne veux pas cibler des communautés religieuses en particulier, mais à partir du moment où on donne des exemples)- des parents Témoins de Jéhova qui exigent que leur enfant soit retiré du cours du moment où on enseigne la théorie de l’évolution ou le Big Bang. Là, on place l’enseignant dans une situation où la Loi sur l’Instruction publique l’oblige à respecter les programmes qui sont prescrits par le Ministère. C’est ce que la loi dit. On oblige le prof à remettre en question son éthique professionnelle puisqu’on lui dit que pour cette portion-là du cours tu vas te permettre, tu vas t’obliger à ne pas enseigner à cet élève-là le contenu du programme qui est prescrit par le Ministère. Donc, on place l’enseignant dans une position délicate et on l’oblige à adapter son enseignement et à adapter son évaluation aussi parce que l ’élève va revenir dans le cours. Par exemple l’octroi de congés pour motif religieux. Là, on est en pleine incohérence. La convention collective, c’est l’expression d’un droit collectif de négocier, donc de se donner des conditions. On a déconfessionnalisé les commissions scolaires et des individus, parce qu’ils ont des droits individuels, invoquent la religion pour obtenir des droits que la convention collective ne leur accorde pas. Et là, on voit dans des milieux un mécontentement parce qu’il y traitement inéquitable du contrat de travail. Donc, c’est à ça que sont confrontés les enseignantes et les enseignants.

MFB : Et on a vu la semaine dernière à ce propos des congés religieux, deux commissions scolaires importantes à Montréal qui avaient des positions diamétralement opposées. On en arrive à ça.

SM : Ils vivent la malaise mais il y a des solutions différentes parce qu’il n’y a pas de balises, il n’y a pas de règles claires qui leur permettent de recevoir la demande et à partir de la demande de la traiter de façon équitable.

MFB : Et quelles balises, quel type de balises espérez-vous à la Fédération ?

SM : Tous les débats sur les signes... À notre sens, on ne se mettre pas dans les écoles à courir après des croix ou un hidjab. À un moment donné, il faut que l’on s’accorde à ce qui constitue l’école comme institution publique de l’État. Par exemple pour l’octroi des congés religieux, on s’attend à ce que le gouvernement s’avance sur cette question-là. La question du respect des programmes, de l’intégrité des programmes, on s’attend à ce que le gouvernement se prononce aussi. Donc, toujours en assurant l’égalité entre les hommes et les femmes. Je pense que ça c’est une ligne directrice. Mais, il doit s’attarder à ce qui pose actuellement problème dans les écoles. Et ce qui pose problème, ce n’est pas que quelqu’un porte une croix ou porte un hidjab. Ce n’est pas le problème qui est vécu dans les écoles publiques.

MFB : D’après ce que vous entendez des positions qui ont été éventées autour de ce que sera cette charte-là, est-ce que vous pensez que cela va aller dans le sens de ce que vous demandez ?

SM : Écoutez, c’est un peu difficile, on n’a pas vu le texte. Beaucoup de gens se sont prononcés et moi ce qui m’étonne – et ce qui nous inquiète - , c’est qu’il semble se dégager un débat qui serait déjà fait par des gens qui sauraient. Je cible certains éditorialistes et je cible aussi certains intellectuels qui semblent avoir un peu cadenassés le débat. Sur ces questions fondamentales, on doit permettre à chaque citoyen, à chaque citoyenne, de se prononcer car c’est dans la parole de l’autre qu’on est capable d’établir un consensus. Et un consensus, cela ne veut pas dire l’unanimité. Cela veut dire : convenons de règles communes que nous allons demandé à l’État et à ses agentes et agents dont les profs d’appliquer pour que nous maintenions la cohésion sociale. Et des gestes, comme on a vu, au Saguenay, on doit les dénoncer. Toutes les formes d’intégrisme, on doit les dénoncer. Et on doit s’assurer d’outiller les enseignantes et les enseignants parce que parfois, on place les enseignants dans des situations intenables, dans des situations difficiles. On leur demande d’être juges et parties. Et ce n’est pas le rôle d’un enseignant. C’est le rôle de l’État d’assurer ces responsabilités sur ces questions-là.

MFB : Merci beaucoup d’être venu nous parler de la position de la Fédération Autonome de l’Enseignement. Merci et bonne journée.

SM : Merci vous aussi.

(Transcription Presse-toi à gauche !)

Sylvain Malette

Président de la Fédération Autonome de l’Enseignement (FAE)

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