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À propos du livre de Besancenot et Lowy : Affinités révolutionnaires

Pour un avenir multicolore…

Voilà une idée intéressante, revenir sur ces affinités et ces différences qui sépareraient celles et ceux qui se nomment libertaires et celles et ceux qui se nomment marxistes.

Publié le 24 septembre 2014 | Entre les lignes

Les auteurs parlent de la Ière Internationale et de la Commune de Paris (1871). Au passage, ils rappellent que pour Karl Marx, « Définissant la Commune comme une forme politique enfin trouvée de l’émancipation sociale des travailleurs, celui-ci insiste sur sa rupture avec l’Etat, ce corps artificiel, ce boa constrictor, ce cauchemar étouffant, cette excroissance parasitaire… ». Ils présentent le 1er Mai et les martyrs de Chicago (1886), le syndicalisme révolutionnaire et la Charte d’Amiens (1906) et l’idée de « l’autoreprésentation de la classe des exploités et des opprimés » et parlent de Fernand Pelloutier et du mouvement des Bourses du travail, d’Emile Pouget, de Pierre Monatte ou d’Alfred Rosmer, « L’originalité française du syndicalisme tient à cette double caractéristique : professionnelle pour le syndicalisme d’entreprise et géographique pour les bourses du travail », sans oublier la double besogne/tache du syndicalisme : « défendre dès aujourd’hui les intérêts des travailleurs face au patronat ; se donner pour demain la perspective d’une société définitivement débarrassée de l’exploitation capitaliste ».

Les auteurs poursuivent avec la Révolution espagnole (1936-1937), ses réalisations, « collectivisation des terres par les paysans, réappropriation sociale des usines par les conseils ouvriers, réquisitions des transports publics par les travailleurs et la population », le rôle de la CNT-FAI, du POUM, de Buenaventura Durruti, d’Andreu Nin…

Mai 68, Nanterre, le « Mouvement du 22-Mars » ; le mouvement altermondialiste et les Indignés. Ce rapide panorama est complété par une « Lettre à Louise Michel »écrite par Olivier Besancenot, qui souligne, entre autres, « Oui, Louise, les bourreaux des communards ont toujours pignon sur rue, sans que grand-monde ne sache qu’ils sont responsables du bain de sang et ont fait abattre plus de trente mille Parisiens. Affamée mais fière, éreintée par des mois de siège militaire, la multitude des anonymes parisiens est à jamais libre. Aujourd’hui, dans le dix-huitième arrondissement de Paris où tu as enseigné et défendu la Commune, j’observe les touristes qui photographient le Sacré-Coeur ; la plupart d’entre eux ignorent que ce monument a été bâti pour expier les esprits subversifs comme le tien ». Et aussi des courts portraits de Pierre Monatte (voir sa lettre de démission du Comité Confédéral de la CGT en décembre 1914, Pierre Monatte : Lettre de démission au Comité Confédéral de la C.G.T. (décembre 1914)), de Rosa Luxembourg, « L’organisation, les progrès de la conscience et le combat ne sont pas des phases particulières, séparées dans le temps et mécaniquement, mais au contraire des aspects divers d’un seul et même processus » (il y aurait beaucoup à dire sur « les progrès de la conscience » !), et « sans élections générales, sans liberté de la presse et de réunion illimitée, sans lutte d’opinion libre, la vie s’étiole dans toutes les institutions publiques, végète, et la bureaucratie demeure le seul élément actif » (j’insiste sur « sans élections générales »). Les auteurs soulignent les notions d’auto-éducation populaire par l’expérience et l’auto-émancipation des opprimés. Ils poursuivent avec des portraits d’Emma Goldman, de Benjamin Péret, de Buenaventura Durruti, « Ne plus ignorer la réalité du pouvoir en place ne signifie pas, selon lui, succomber à ces charmes, ni à chercher à lui substituer une autre forme d’oppression. La question du pouvoir se pose, mais il faut l’envisager dans une perspective révolutionnaire ». Les auteurs parlent aussi de « la volonté de maintenir une alternative à la « militarisation » des milices orchestrée par le gouvernement républicain ». Le dernier portrait est consacré au sous-commandant Marcos.

La seconde partie de l’ouvrage est centrée sur les « Convergences et conflits ».

Olivier Besancenot et Michael Löwy réexaminent la Révolution russe et soulignent que « l’enjeu est donc d’analyser ce qui, dans la politique des bolcheviks, a servi de terreau au Thermidor stalinien ». Je considère que leur lecture de la révolution russe reste trop « traditionnelle ». Il me semble qu’il faut interroger, au moins, les contradictions entre temporalités, courtes pour des ruptures significatives et longues pour des changements structurels, l’absence de pratiques démocratiques et d’auto-organisation permanente de masse (la majorité de la population) et la déficience des organisations représentatives, la question du droit et donc de la constituante, les « contingences » liées aux (ré)actions des possédants et des autres Etats, sans oublier les questions nationales, etc. Sans négliger leur importance et les leçons que nous pouvons en tirer, la sur-valorisation des soviets ne suffit pas, à mes yeux à penser de nouvelles formes de démocratie, de souveraineté populaire…

Quoiqu’il en soit, les auteurs proposent des regards très critiques sur au moins deux points : la tragédie de Kronstat (« En clair, l’écrasement de Kronstadt a signifié que, dans les soviets, il n’y avait plus de place pour débattre librement du cours suivi par la Révolution. Au delà des circonstances complexes et terribles de la guerre civile, qui offrent peu de possibilités, cette répression à court-circuité un peu plus, par sa violence militaire et politique, l’option autogestionnaire en Russie ») et la réévaluation de la place et du rôle de Makhno. Les auteurs cependant ne parlent des tensions, contradictions internes aux processus révolutionnaires…

Dans la troisième partie, les auteurs parlent de « Quelques penseurs marxistes libertaires » : Walter Benjamin, André Breton, Daniel Guérin.

La dernière partie est consacrée aux « Questions politiques ». Olivier Besancenot et Michael Löwy abordent les relations entre « individu et collectif », la notion de « pouvoir » à travers la question « Faire la révolution sans prendre le pouvoir ? » et les travaux de John Holloway. Les auteurs insistent sur la place de la démocratie, « la démocratie devrait être un aspect central de tout processus de prise de décision sociale ou politique », sur l’auto-émancipation qui ne peut être une « libération » par d’autres (mais qui ne dit rien sur des mesures institutionnelles favorisant l’auto-activité et l’auto-organisation des dominé-e-s), sur les rapports entre autonomie et fédéralisme, sur la dé-hiérarchisation de la politique. Ils parlent, entre autres, de « coordination consciente », de différents niveaux d’autogestion, de discussion et de planification démocratique, de perspectives écologiques, de « la politique en tant que confrontation des différents choix, qu’ils soient d’ordre économique social, politique, écologique, culturel ou civilisationnel, au niveau local, national et international », de démocratie directe et de démocratie représentative (de ce point de vue la renonciation « principielle » aux participations électorales ne peut être considérée comme une « divergence tactique », mais comme un refus de prendre en compte la/le/les citoyen-ne-s comme une « détermination » de l’être en société qui ne peut être réduit à ses places/rôles de producteurs/productrices), de gestion collective de la cité, de syndicats et de partis, d’écosocialisme et d’écologie libertaire…

Reste que je considère que ce petit ouvrage souffre de raccourcis et d’impasses. Je n’en citerai que quelques-unes :

◾Les auteurs ne présentent aucune historicité des formes de l’Etat ou des entreprises, laissant supposer une continuité trans-historique, ce qui est pour le moins abusif.

◾Les institutions étatiques recouvrent aujourd’hui des domaines sans communes mesures avec celles de la fin du XIXème ou du début du XXème siècle. Elles sont aussi directement un enjeu politique des affrontements sociaux.

◾Les entreprises sont des mille-feuilles, empilements de secteurs parcellisés et mondialisés, cela n’est pas neutre dans la question de leur réappropriation sociale et la construction de collectifs de producteurs/productrices.

◾Qu’en est-il réellement de la notion de « producteurs », par ailleurs oublieuse de la division sexuelle du travail. La majorité des richesses produites dans le monde, le sont par des femmes, souvent hors des entreprises proprement dites… que veut donc dire auto-organisation et autogestion des producteurs/productrices par le bas ?

◾La différence entre citoyen-ne-s et travailleuses/travailleurs disparaîtrait pour ne laisser place qu’à des assemblées « sociales ». Une sorte de dissolution du politique dans le social. Cela me semble une régression par rapport aux acquêts de la révolution bourgeoise et au désenclavement des individu-e-s des « ordres » productifs/politiques

◾Sans oublier que les oppositions politiques, au sein de la classe des travailleuses/travailleurs ne sont pas réductibles au modalités de création et de partage de la richesse et les rapports sociaux aux seuls rapports salariaux.

◾La « démocratie réelle » ne peut être conçue comme un empilement/élargissement de « bas en haut » mais bien comme la construction simultanée (ce qui ne dit rien des contradictions de ce processus) des différents niveaux de décision et de souveraineté et de leurs articulations…

◾L’efficacité sociale et émancipatrice de la « coordination consciente » ne peut s’affirmer que dans des institutions/organisations démocratiques à différents niveaux (local, régional, continental, etc.) ce qui implique des suffrages réellement universels. La socialisation des décisions devant prouver une « efficacité » supérieure à celle des organisations capitalistes et à la domination abstraite et à sa validation par le marché du « temps socialement nécessaire ».

◾Au delà des étiquettes revendiquées mais très imprécises, sauf pour celles et ceux qui en font une condition identitaire, c’est bien dans les actions/constructions concrètes, dont il convient de ne pas négliger les dimensions théoriques (de ce point de vue, la critique de l’économie politique élaborée par des « marxistes » me semble incontournable), que se jouent les convergences et les solidarités… qui ne sauraient par ailleurs se limiter aux deux termes proposés…

Comme je l’ai déjà indiqué dans une autre lecture, l’analyse du passé ne peut se faire de manière interne à un courant politique, à partir de la seule critique de sa/ses matrice(s) constitutives, de ses discours ou de ses orientations. L’auto-perception de « matrices » est elle-même profondément liée à la constitution de chaque courant politique. De ce point de vue, l’autisme ne concerne pas seulement les autres…


Olivier Besancenot – Michael Löwy : Affinités révolutionnaires

Nos étoiles rouges et noires. Pour une solidarité entre marxistes et libertaires

Mille et une nuits, Paris 2014, 215 pages, 5 euros

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