Édition du 16 avril 2024

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Mouvements sociaux

1er Mai aux États-Unis

Appel à la grève des immigrantEs

El Gran Paro Americano 2006 : aux États-Unis, on s’attend à un Premier Mai historique avec une journée de blocage de l’économie dans la foulée des mobilisations massives des dernières semaines contre la « réforme de l’immigration ».

Le 25 mars dernier, entre 500 000 et un million de personnes ont marché à Los Angeles contre le projet de loi du Congrès qui vise notamment à renforcer les lois sur l’immigration et le contrôle aux frontières. Le 10 avril, journée nationale de mobilisation pour les droits des personnes immigrantes, quelque 140 manifestations ont eu lieu partout aux États-Unis : 500 000 personnes prenaient la rue à Dallas, 100 000 à Atlanta, 100 000 à San Diego (le 9 avril) et ainsi de suite. Dans plusieurs villes, le taux de participation aux manifestations était sans précédent.

La coalition qui a organisé la marche du 25 mars à Los Angeles invite toute la population des États-Unis à une grève générale le 1er mai. El Gran Paro Americano 2006 -The Great American Boycott - incite particulièrement les personnes immigrantes à boycotter le travail, l’école et les magasins. La logique est simple : si les personnes immigrantes, et surtout les sans-papiers, nuisent à l’économie des États-Unis, une journée de grève de leur part devrait normalement permettre un meilleur roulement de l’économie et une explosion sur les marchés boursiers.

La principale revendication de ce Premier Mai est l’amnistie pour tous les immigrants et immigrantes sans-papiers et le premier pas dans cette direction devrait être l’abandon de la résolution HR 4437, la « loi pour la protection des frontières, l’antiterrorisme et le contrôle migratoire ».

Dans sa version originale, ce projet de loi prévoit notamment la criminalisation de la présence « clandestine » des personnes immigrantes aux États-Unis (avec peines d’emprisonnement et expulsions définitives à la clef), la criminalisation des individus ou des groupes qui porteraient assistance à des sans-papiers (possibilité de cinq ans de prison), une procédure accélérée pour expulser des demandeurs d’asile (sans même pouvoir comparaître devant un juge de l’immigration) et l’érection d’un « mur de protection » de quelque 1000 kilomètres à la frontière mexicaine.

La résolution HR 4437 a été adoptée par la Chambre des représentants le 16 décembre mais mise sur la glace par le Sénat le 7 avril après qu’il ait finalement voté contre un compromis qui se voulait un peu moins répressif. Le compromis sur lequel s’étaient entendus les sénateurs républicains et démocrates prévoyait la régularisation du statut de 7 millions d’immigrants et immigrantes clandestins et en même temps l’expulsion de tous ceux et celles arrivés aux États-Unis après le 1er janvier 2004.

Des enjeux électoral, économique et politique

La réforme de l’immigration représente un enjeu électoral de taille pour l’administration Bush. Les personnes visées par cette réforme proviennent essentiellement d’Amérique latine et en majorité du Mexique. Les États-Unis comptent environ 42 millions de personnes originaires d’Amérique latine. Elles constituent aussi la grande majorité des 12 millions de sans-papiers présents dans le pays.

Républicains et démocrates tentent de séduire cette partie de l’électorat mais doivent aussi tenir compte de l’opinion « des 75% d’Américains qui estiment que les autorités ne font pas suffisamment pour stopper l’immigration clandestine. » (Washington Post, dans le site de RFI, 11 avril 2006).

D’un côté, les immigrants et immigrantes représentent une main-d’œuvre bon marché dans les secteurs de l’agriculture, de la construction, de l’entretien ou de la restauration. En raison de leur statut, les sans-papiers sont particulièrement exploitables vu qu’ils ne bénéficient pas de la protection des lois du travail.

Dans son allocution hebdomadaire du 25 mars à la radio, George Bush rappelait l’importance de cette main-d’œuvre docile pour l’économie des États-Unis : « Au moment où nous débattons de la question de l’immigration, nous devons nous souvenir que des individus travailleurs, qui effectuent des tâches que ne feront pas les Américains, contribuent à la vitalité économique de notre pays ».

C’est en ce sens que Bush prévoit, dans son projet de loi, l’émission de visas temporaires pour quelque 325 000 travailleurs saisonniers étrangers : fournir une main-d’œuvre bon marché aux entreprises, par exemple dans le secteur de l’agriculture, sans toutefois lui accorder la résidence permanente et les avantages qui l’accompagnent.

D’un autre côté, malgré leur poids démographique, les personnes originaires d’Amérique latine sont sous-représentées dans les instances politiques et seules 40% d’entre elles auraient le droit de vote. Régulariser le statut de tous les sans-papiers pourrait ainsi constituer une menace à l’hégémonie des deux partis en place.

Les manifestations des dernières semaines témoignent, chez les personnes immigrantes, d’une volonté de sortir de l’ombre pour faire valoir des droits que leur refusent les lois états-uniennes. Ce mouvement s’apparente à la lutte pour la reconnaissance des droits civiques des personnes noires dans les années 60 et semble rallier une bonne part des mouvements sociaux dans un pays où les grandes mobilisations se font plus rares depuis le 11 septembre 2001.

Vers la naissance d’un nouvel acteur politique et social ?

Les espoirs sont grands pour ceux et celles qui mènent la lutte actuelle : à court terme, faire avorter un projet de loi discriminatoire et répressif, ce qui est loin d’être gagné. À plus long terme, la mobilisation pourra-t-elle déboucher sur la construction d’un contre-pouvoir politique défendant à la fois les droits des personnes immigrantes et leurs intérêts en tant que travailleurs et travailleuses qui font rouler l’économie des États-Unis ?

Dans sa revue de presse de divers quotidiens d’Amérique latine du 12 avril, le Courrier international concluait que « c’est dans l’émergence de la forte minorité latino-américaine comme force politique du futur que la plupart des chroniqueurs placent leurs espoirs, pressentant un bouleversement de la société américaine. » Un journal argentin, Página 12, soulignait : « Après des années de silence, un troisième et nouvel acteur politique surgit de l’illégalité. Le géant se réveille. Et il ne parle pas seulement espagnol, mais aussi chinois, coréen, arabe et la vingtaine de variétés de castillan que compte l’Amérique latine ».

Ce serait d’autant plus paradoxal que, si les États-Unis sont aujourd’hui la principale terre d’accueil de l’immigration internationale (légale et clandestine), et si des millions de personnes sont prêtes à quitter leur pays à la recherche d’emplois de misère, c’est que la situation économique dans leur pays d’origine ne cesse d’empirer. Et cette aggravation de la situation économique, notamment en Amérique latine, est directement causée tant par le protectionnisme des États-Unis que par leur interventionnisme et le libre-échange à sens unique qu’ils veulent imposer aux autres.

D’une certaine façon, la lutte des sans-papiers et des travailleurs et travailleuses clandestins des États-Unis est celle de tous les travailleurs et travailleuses sous-payés et exploités du continent et même du Canada. Mais, pendant que la « main-d’oeuvre bon marché » prendra la rue dans plusieurs villes des États-Unis le 1er mai, chez nous, les syndiqués et syndiquées seront en train de se reposer de leur Journée des travailleuses et travailleurs... du 29 avril.

Patrice Lemieux Breton

Coordonnateur d’un groupe de solidarité internationale avec le Nicaragua et étudiant en communication publique.

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