2 novembre 2023 | tiré de contretemps.eu |Illustration : Sergio Massa et Alberto Fernandez / Wikimedia Commons.
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La percée inattendue de Milei lors des primaires d’août dernier avait fait l’objet d’analyses approfondies dans nos colonnes par Claudio Katz, Martin Mosquera, Mariano Schuster et Pablo Stefanoni. Dans cet article, l’économiste Claudio Katz, figure intellectuelle de la gauche radicale argentine, éclaire les ressorts de ce retournement de situation et discute des positions de la gauche argentine dans la nouvelle configuration qui émerge de ce scrutin.
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Le résultat surprise des élections en Argentine [le 22 octobre se sont tenus simultanément le 1er tour de la présidentielle, le scrutin pour renouveler 130 des 257 sièges à la Chambre des députés, 24 des 72 sièges au Sénat ainsi que le renouvellement de la plupart des gouvernorats des provinces et de l’aire métropolitaine de Buenos Aires] affecte sérieusement les plans conçus par les classes dirigeantes pour démolir les gains populaires. Le rebond du candidat péroniste Sergio Massa, la stagnation du candidat de l’extrême droite libertarienne Javier Milei et l’effondrement de la candidate de la droite traditionnelle, Patricia Bullrich, modifient les projets de la droite visant à affaiblir les syndicats, à démanteler les mouvements sociaux et à criminaliser les protestations.
Le parti (péroniste) au pouvoir a canalisé une réaction défensive face à ces dangers. Il a rassemblé le rejet démocratique de la réhabilitation de la dictature, la justification du terrorisme d’état et le dénigrement du mouvement féministe. Les électeurs·trices ont exprimé leur décision de soutenir les retraites et l’éducation publique, d’empêcher l’annulation des programmes sociaux et de s’opposer aux coupes sauvages dans les salaires.
Une vague de bulletins de vote a sapé la confiance de la droite en son arrivée imminente au gouvernement. Le même frein qui s’est manifesté en Espagne, au Chili, au Brésil et en Colombie est réapparu en Argentine. La mémoire s’est activée, la sonnette d’alarme a été tirée et les réserves de la société se sont mobilisées pour affronter le désastre incarné par Milei et Bullrich.
Une grande partie de la population a su reconnaître ce danger, même dans le contexte dramatique de paupérisation mise en œuvre par le gouvernement d’Alberto Fernández et de Cristina Fernández Kirchner, dont Sergio Massa est le ministre de l’économie. Une grande partie de la population a compris que la droite ajouterait le cauchemar de la répression aux mêmes difficultés économiques. La réponse électorale suggère que la capacité du peuple argentin à résister reste forte. Renversant la tendance après l’effondrement subi lors des élections primaires [Massa n’avait recueilli que 25% des suffrages], le péronisme a regagné dimanche dernier des voix, surtout grâce à la contribution de la grande victoire d’Axel Kicillof [figure de l’aile gauche péroniste, proche de Cristina Kirchner] dans la province de Buenos Aires.
La vague en faveur de Milei parmi les jeunes (principalement au sein de l’électorat masculin) a été pour le moment contenue. Milei s’est maintenu à un niveau élevé dans les segments amorphes de la nouvelle génération, mais il n’a pas progressé dans les secteurs plus organisés. Le style agressif et informel du candidat libertarien perdent de leur attrait et se heurtent au rejet impulsé par le militantisme populaire.
La sidération de la droite
Les commentateurs des grands médias minimisent ce qui s’est passé en recourant à toutes sortes d’analyses superficielles. Ils ne peuvent cacher la raclée infligée à Patricia Bullrich et Javier Milei, mais ils l’attribuent au comportement émotionnel des électeurs·trices. Ils omettent de dire que si cette dimension était à ce point décisive, elle aurait également dû marquer les séquences précédentes, qui ont donné des résultats opposés. L’émotivité est en effet présentée comme un jeu à pile ou face, au résultat totalement aléatoire et qui n’explique rien.
Cette façon de voir ne tient pas compte du fait que l’élément rationnel a été particulièrement important lors de ce dernier scrutin. Après avoir flirté avec d’autres options lors des élections provinciales et des primaires, les électeurs·trices ont, lors du tour décisif, rejeté la droite. Mais les commentateurs les plus vulgaires ont ressorti leurs insultes à l’égard de la majeure partie de la population. Ils ont interprété le résultat électoral comme une confirmation définitive que l’Argentine est « un pays de merde », sans mesurer à quel point cet étalage continu de mépris contribue au renforcement du parti au pouvoir. Les majorités populaires conservent l’estime de soi nationale et rejettent le dénigrement dont elles font l’objet par les commentateurs médiatiques.
Pour les éditorialistes de La Nación [principal quotidien conservateur], l’échec de la droite est dû à la manipulation populiste de l’électorat de la conurbation de Buenos Aires, et ils opposent cette manipulation à la « liberté civique » dont aurait fait preuve la ville de Buenos Aires. Mais le maintien à la première place du même courant politique dans cette ville [Bullrich, la candidate de la droite traditionnelle, est arrivée en tête dans la commune de Buenos Aires, Massa l’a emporté dans tous les autres districts de la région métropolitaine] dément ce préjugé. La vérité est que des loyautés de longue date subsistent dans les deux districts et qu’il n’y a aucune raison d’invalider un cas en exaltant l’autre. Il est aussi arbitraire d’attribuer des vertus civiques à la classe moyenne que d’identifier les pauvres à l’ignorance politique.
Les libéraux pensent également que le parti au pouvoir a gagné grâce aux appareils et au gaspillage des ressources publiques. Mais ils oublient que lors des élections précédentes, ces instruments ont conduit à un résultat différent. La même incohérence vaut pour leur façon d’évaluer les candidat·es : le triomphe de Massa serait dû à sa capacité à tromper l’électorat, mais c’est ignorer qu’avec les mêmes vertus de tromperie, ce vétéran de la politique a essuyé d’innombrables échecs. D’autres commentateurs estiment que les principaux·ales candidat·es ont peaufiné leur dispositif pour s’assurer le contrôle des municipalités. Mais ils n’indiquent pas que ces pratiques ne s’accompagnent généralement que d’une faible réduction du nombre de bulletins de vote, sans grand impact sur le résultat final.
Ce qui s’est passé dimanche 22 octobre est tout simplement incompréhensible pour les porte-paroles de l’establishment, car leur point de vue exclut le fait central : l’émergence d’une réaction démocratique face au danger réactionnaire. Faisant preuve de davantage de lucidité, ils relèvent toutefois que les électeurs·trices ont rejeté la démolition sociale. Mais ils disqualifient ce comportement en l’identifiant au « fascisme ». Ils s’indignent surtout du manque de docilité du peuple argentin face aux agressions des puissants.
Une grande partie de l’électorat résiste à l’aggravation de la situation sociale. Ces secteurs sont habitués à survivre avec des taux d’inflation très élevés, mais ils n’acceptent pas les difficultés supplémentaires qu’entraînerait une récession austéritaire. Entre endurer des difficultés et risquer des pertes d’emploi, ils optent pour la première solution. Ce choix entre deux maux s’est forgé dans l’expérience des administrations de droite, qui ont tendance à les cumuler tous.
Massa est synonyme d’inflation, mais Milei et Bullrich signifient tout une série de coups supplémentaires. C’est pourquoi, confrontée à la perspective de subir à nouveau les épreuves traversées lors des gouvernements de Carlos S. Menem, de Fernando De la Rúa et de Mauricio Macri, une grande partie de la population a opté pour un mal familier.
Une autre explication courante du résultat des élections est que le parti au pouvoir a profité de la division de l’opposition. Mais invoquer ce fait évident n’explique pas les raisons de la division et omet que la droite l’a elle-même créée en promouvant Milei comme propagandiste de la thérapie de choc. La droite a créé un monstre qui a pris vie et a fini par enterrer Bullrich. Les porte-paroles de l’establishment oublient également que cette division n’est pas un simple choix, mais le résultat de la déception générée par la présidence Macri. Cette déception a conduit l’électorat à chercher un sauveur en dehors de la « caste ». La fracture de l’opposition est davantage due à sa propre crise qu’aux astuces du parti au pouvoir.
Enfin, selon les mêmes, la victoire de Massa s’expliquerait par le recours judicieux à des consultants externes, qui ont conçu sa campagne en améliorant les schémas mis en œuvre dans diverses expériences électorales latino-américaines. Mais en réalité, on ne peut pas dire que ces consultants se distinguent actuellement par leurs succès… et ils n’auraient jamais pu construire une victoire à partir de rien.
La vérité est que la même réaction qui a conduit à la défaite de Jair Bolsonaro au Brésil, de Fernando Camacho en Bolivie, de Donald Trump aux États-Unis, d’Antonio Kast au Chili, de Juan Guaidó au Venezuela et de Rodolfo Hernández en Colombie s’est répétée en Argentine. Le recul de l’extrême droite n’est pas une particularité nationale. Mais ce facteur reste complètement en dehors du champ de vision des porte-paroles du pouvoir.
Le profil politique de Sergio Massa
Le vainqueur du premier tour de ce scrutin est à la tête d’une aile conservatrice du péronisme, qui promeut des projets très différents de ceux du kirchnerisme. Il l’a fait savoir lors d’une apparition solitaire à l’issue du scrutin, qui visait à souligner son nouveau leadership. Massa a annoncé la « fin du clivage partisan » et a réaffirmé son appel à un gouvernement partagé avec l’opposition de droite. Il a mis en avant les valeurs traditionnelles, rassuré l’establishment et, contrairement au gouverneur réélu de la province de Buenos Aires, Axel Kicillof, évité toute mention de Cristina Kirchner.
Toute sa trajectoire confirme cette tendance. Massa a d’abord rompu avec le kirchnerisme pour converger avec la droite, puis a soutenu les débuts de Macri. Il a approuvé la politique de la main de fer du ministre de la sécurité de la Province de Buenos Aires, Sergio Berni, et s’est tu lors de la répression mise en œuvre par son partenaire Gerardo Morales à Jujuy. Il entretient des relations étroites avec l’ambassade des États-Unis et fait l’éloge des réactionnaires Vénézuéliens. Lors du débat présidentiel, il s’est distingué par son soutien sans faille aux crimes d’Israël contre le peuple palestinien.
Mais le plus grand succès de Sergio Massa a été de masquer le fait qu’il est l’actuel ministre de l’économie et qu’il met en œuvre une politique d’appauvrissement massif de la population. Le pourcentage de la population en dessous du seuil de pauvreté a dépassé les 40 % et les dévaluations convenues avec le FMI aggravent la poussée inflationniste. Pour recevoir les crédits que les créanciers accordent pour le remboursement de la dette, le ministre a laissé s’installer une inflation à deux chiffres. Les compensations qu’il annonce chaque semaine pour atténuer la pulvérisation des revenus populaires sont rapidement rattrapées par l’inflation. Aucune prime ne vient contrecarrer les hausses de prix quasi quotidiennes infligées par les grandes entreprises avec la complicité du Trésor. Personne ne respecte l’accord sur les prix et le Secrétariat au Commerce se dispense de tout contrôle.
Par des improvisations quotidiennes, Massa profite de la trêve conclue avec le FMI jusqu’à la fin du cycle électoral pour contenir la hausse du taux de change. Il menace les « oisifs » des maisons de change sans toucher aux grandes opérations des banques. Il négocie avec la Chine une aide en yuans pour soutenir des réserves déjà dans le rouge et reporte toute décision importante jusqu’au résultat du second tour de l’élection présidentielle, le 19 novembre. Mais lui-même ne sait pas s’il pourra éviter le déraillement financier dû à la course folle entre inflation et dévaluation.
Le ministre-candidat promet pour l’avenir ce qu’il refuse de faire aujourd’hui et assure que tout changera lorsqu’il accédera à la présidence. Mais il n’explique pas pourquoi il n’entrevoit pas un avenir aussi radieux à partir de la politique économique qu’il met actuellement en œuvre. Les millions d’électeurs et d’électrices qui ont choisi de voter pour lui n’ignorent pas sa responsabilité dans le désastre économique. Ils font l’expérience directe de la politique de l’« ajustement structurel » [thérapie néolibérale sur le modèle des recettes du FMI] mis en œuvre par le ministre, mais ils perçoivent également que, parvenue au pouvoir, la droite resserrerait le même garrot en y ajoutant davantage de répression.
Les positions pour le second tour
Comme le total des voix obtenues par Javier Milei, Patricia Bullrich et Juan Schiaretti dépasse de loin celles obtenues par Sergio Massa, plusieurs commentateurs estiment que le candidat libertarien a plus de chances d’atteindre la Casa Rosada [le palais présidentiel] que Massa. Dans ce cas, il répéterait ce qui s’est passé au second tour des élections équatoriennes, confirmant que le succès dans un tour de scrutin n’anticipe pas la victoire dans le suivant et que les fluctuations sont la norme dans toutes les élections récentes. Mais il est tout aussi vrai que Massa est à présent mieux placé que ne l’était son rival lors du dernier scrutin. Cette différence est visible même dans l’état d’esprit des deux forces et dans l’attitude d’un ministre qui se présente déjà comme un leader.
Massa a rallié derrière lui tout le parti péroniste et négocie avec les gouverneurs des provinces et l’Union Civique Radicale (UCR [parti centriste]). Avec une offre alléchante de postes, il cherche à favoriser l’éclatement de Juntos por el Cambio [coalition de droite qui a soutenu Macri et qui inclut l’UCR], dont l’unité ne tient qu’à un fil dans un scénario polarisé qui, de façon inhabituelle, la place au centre de l’échiquier politique. La même démarche l’a rapproché de Schiaretti et de ses partenaires des provinces de l’intérieur.
Au contraire, Milei doit soigner les blessures qu’il a infligées au PRO [Proposition républicaine, parti de droite dirigé par Bullrich] en négociant avec des personnalités discréditées (Mauricio Macri) et démoralisées (Patricia Bullrich). Il est également en contradiction avec le personnage qu’il s’est construit. Alors qu’il a gagné des soutiens avec ses positions dérangeantes, ses dénonciations de la « caste » et ses propositions délirantes, il mendie aujourd’hui le soutien de la droite classique, en proposant les mêmes stratagèmes que ceux qu’il a vivement contestés.
Cette brusque conversion du lion en « chaton câlin » (comme l’a qualifié Myriam Bregman lors du débat présidentiel) érode sa crédibilité. L’establishment et les médias qui l’ont promu ont pris leurs distances avec ses élucubrations. Milei bénéficie du soutien du large bloc forgé par le pouvoir pour déloger le péronisme. Mais il a perdu la possibilité de pouvoir dire impunément n’importe quoi. Ses propositions de dollarisation de l’économie, de vente d’organes, de port d’armes et de rupture avec la Chine ne sont plus très drôles. Les dernières absurdités répandues par son entourage (suspension des relations avec le Vatican, dénonciation de fraudes électorales non prouvées, suppression des aides alimentaires aux parents séparés) l’ont sérieusement affecté.
Tout pronostic pour le second tour des élections manque pour l’instant de consistance. Les marges d’erreur des sondeurs rivalisent avec le comportement inattendu des électeurs·trices. Personne n’avait imaginé l’issue des trois tours précédents. Mais, en tout état de cause, l’important n’est pas la justesse du pronostic mais l’adoption d’une position correcte pour le second tour.
Nous avons annoncé notre position dans des articles précédents et dans un débat récent. Nous comprenons que la principale différence entre Sergio Massa et Javier Milei se situe au niveau démocratique. Le candidat libertarien proclame ouvertement qu’il s’attaquera aux conquêtes sociales en criminalisant le mouvement populaire, et c’est précisément pour cette raison que nous soutenons la position que la gauche devrait voter contre la droite, comme elle l’a fait face à Bolsonaro, Kast et Hernández. Nous soutenons également les initiatives d’unité d’action de la gauche avec le kirchnérisme critique afin de renforcer une campagne commune.
Nous pensons qu’il est erroné d’assimiler les candidat·es de droite à leurs opposant·es. La frustration des attentes populaires à l’égard des gouvernements progressistes ne s’apparente en rien à la répression que promeut la droite. Mais ce vote contre l’ennemi principal (Milei) n’implique pas d’occulter la remise en cause des souffrances générées par le candidat alternatif (Massa).
Les différentes forces de la FIT-U [coalition d’extrême-gauche autour de deux formations trotskistes] n’ont pas encore arrêté leur position sur le second tour. Lors des élections, la coalition a obtenu des résultats similaires à ceux des tours précédents, mais avec la nouveauté bienvenue d’un siège supplémentaire au Congrès. Myriam Bregman est également apparue comme une figure dotée d’un poids propre du fait de son excellente prestation lors des débats présidentiels télévisés. Cette influence ne s’est pas traduite dans les urnes [Bregman a obtenu 2,7% au 1er tour], mais elle pourrait avoir un impact important dans la prochaine période si la gauche adapte sa stratégie à la nouvelle configuration. Le scrutin du 19 novembre sera le premier test.
Questions sur la nouvelle configuration
Un contexte politique marqué par plusieurs événements improbables a commencé à émerger, bouleversant le cadre imaginé par les classes dirigeantes. La première surprise est la défaite probable de la principale coalition parrainée par les dominants pour diriger le prochain gouvernement. Le grand pari de l’establishment autour de Juntos por el Cambio est au bord du naufrage. Ses principales figures sont hors course et le plan économique détaillé élaboré par la Fundación Mediterránea sous la houlette de Carlos Melconian [qui prévoyait notamment la dollarisation de l’économie] a perdu de sa centralité.
Le deuxième fait surprenant est la possibilité d’un nouveau gouvernement péroniste. Cette éventualité était totalement exclue dans les scénarios élaborés par les élites économiques. Personne n’imaginait que la désastreuse présidence d’Alberto Fernández pourrait déboucher sur un successeur du même acabit. Si cette continuité se confirme, les possédants argentins devront réviser les modalités de leur coexistence avec le péronisme. Ces options devront inclure la révision de leur aspiration maximale, qui est de soumettre les majorités populaires en modifiant par la force les relations sociales.
Le nouveau Congrès devra s’adapter au nouveau scénario. Les espoirs de la droite de modifier radicalement la composition du parlement afin d’introduire un paquet vertigineux de mesures d’ajustement sont devenus plus incertains. Alors qu’un nouveau groupe libertarien fera son entrée dans l’hémicycle, Juntos por el Cambio a perdu des élu·es et le péronisme a conservé ses principales positions. Dans le nouveau Congrès, personne n’aura de majorité, et la formation d’un bloc en soutien à une aggravation de l’austérité est incertaine.
Les spéculations sur les tensions qui opposeront Massa au kirchnerisme sont prématurées. Le vote massif en faveur de Kicillof a introduit un nouveau facteur qui régulera les luttes au sein du péronisme. Cristina Kirchner a réussi à conserver son bastion dans la province de Buenos Aires, et Massa devra ajuster sa démarche à cette réalité. Cette même complexité s’étend à la bataille sociale contre la politique de l’ajustement structurel. Il ne fait aucun doute que cette résistance est la seule façon de défendre les droits des dépossédé·es, quel que soit le prochain président. Avec une présidence Milei, la frontalité de l’affrontement deviendrait visible. Mais avec Massa, il pourrait se déployer dans plusieurs directions.
En tant que ministre de l’économie, Massa a combiné ajustement inflationniste et démagogie électorale, en adoptant des mesures pour tous les goûts. Il a instauré de nouveaux privilèges pour les groupes économiques dominants avec un « dollar Vaca Muerta » [taux de change avantageux destiné aux exportateurs d’hydrocarbures dans le but de renforcer les réserves] très similaire à celui accordé aux producteurs de soja. Il a également annoncé un blanchiment fiscal, encore plus favorable aux fraudeurs que celui déjà réalisé par Macri. Massa a également eu recours à une création monétaire massive afin de soutenir la consommation au moment d’arriver au scrutin de novembre.
Plusieurs acquis pour les salarié·es ont été inclus dans ce dosage de politiques, comme la réduction de l’impôt sur le revenu par un acte du Congrès. La réduction de la journée de travail a également pu être abordée. Cette initiative est combattue par les lobbies du grand capital et promue par les syndicats et la gauche. L’ouverture de cette discussion a été possible avec Massa, mais serait impensable avec Milei. Le même contraste peut être observé avec la proposition de financer l’octroi d’une prime aux travailleur·ses du secteur informel au moyen d’une taxe extraordinaire sur les gros contribuables.
De telles mesures montrent la complexité du nouveau contexte, dans lequel la lutte sociale tend à s’entremêler davantage avec les tensions politiques. Le grand défi de la gauche militante est de faire face à ce scénario de manière intelligente.
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Cet article est initialement paru le 26 octobre 2023 sur le site de Jacobin America Latina. Traduit par Contretemps.
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