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Canada : les feux de forêt mettent en péril culture et territoires autochtones

Les feux de forêt qui font rage au Canada depuis début juin impactent énormément les territoires et les communautés autochtones. De grandes parties de leurs terres de chasse et de pêche sont déjà parties en fumée et leur isolement les rend encore plus vulnérables.

21 août 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Des territoires brûlés dans la région East Prairie Metis Settlement, en Alberta, le 4 juillet 2023. © Photo Noah Berger / AP via Sipa

Montréal (Canada).– Allan Saganash est encore sous le choc des feux de forêt qui ont frappé sa communauté de Waswanipi, à plus de 700 kilomètres au nord de Montréal, au Québec. « J’ai été malade pendant plus de trois semaines. Je toussais et j’ai développé une infection pulmonaire à cause de la fumée. Je suis asthmatique et je fais partie des nombreuses personnes qui ont développé des problèmes pulmonaires à cause des cendres qui sont tombées sur notre communauté », explique cet autochtone de la nation crie.

Au nord de la province et ailleurs dans le pays, un ciel orange enveloppe certaines zones durement touchées par ces feux de forêt que tout le monde voit comme les pires ayant jamais touché le Canada. La communauté crie de Waswanipi se trouve tout près du plus gros feu de forêt jamais connu au Québec. Il continue de dévaster des hectares, laissant derrière lui des paysages de désolation.

Dans la province, la majeure partie des feux de forêt non maîtrisés se trouvaient dans le territoire de la nation crie, dans la région Eeyou Istchee Baie-James, là où réside justement Allan Saganash.

Ailleurs, les communautés de Behchokǫ̀, Dettha et Ndilǫ, dans les Territoires du Nord-Ouest, ont récemment reçu un ordre d’évacuation. Un autre feu se rapproche doucement de la communauté de Kamloops, en Colombie-Britannique. En Alberta, celle d’East Prairie Metis Settlement a vu plusieurs maisons brûler.

Au Canada, les populations autochtones sont les plus touchées par ces incendies. À la mi-août, Services aux Autochtones Canada, le ministère qui s’occupe des dossiers concernant les autochtones, indique que plus de 25 000 membres des Premières Nations ont été évacués et que 74 communautés sont concernées. Les autochtones ne représentent pourtant que 5 % de la population canadienne, mais plus de 42 % des évacuations dues à des incendies de forêt ont eu lieu dans des communautés composées à plus de la moitié d’autochtones, selon Parcs Canada.

Les communautés autochtones ont déjà dû gérer des feux de forêt par le passé, mais l’année 2023 semble marquer un tournant quant à leur intensité.

Un mode de vie menacé

« Dans les 15 dernières années, à cause des feux, on a dû évacuer deux communautés. Cette année, en huit semaines, on a dû évacuer huit des neuf communautés cries du Québec. Certains ont pu être évacués par la route, mais d’autres ont dû être évacués par les airs », indique Mady Gull-Masty, la grande cheffe de la nation crie sur les ondes de CNN.

« On aurait dit qu’un volcan était entré en éruption », assure Allan Saganash en évoquant les cendres qui se sont accumulées sur les toits, dans les véhicules et même sur les lacs.

Les conséquences sont dramatiques pour les autochtones. Ces incendies menacent d’importantes activités culturelles telles que la chasse, la pêche et la cueillette de plantes. La forêt est un pan entier de leur identité et les autochtones estiment qu’ils mettent en péril tout un mode de vie.

Beaucoup de personnes ont déjà perdu leur camp d’été. Allan Saganash confirme : « Nous avons perdu vingt-cinq camps jusqu’à présent. (Les autorités) sont encore en train de faire le décompte. »

Guillaume Proulx, doctorant en géographie culturelle à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, explique que les familles autochtones ont souvent plusieurs camps et petits chalets dans différents endroits du territoire. Il rappelle que c’est la sédentarisation forcée qui les a parquées dans ce qu’on appelle aujourd’hui des réserves, des villages créés artificiellement. Mais le lien avec le territoire se poursuit tant bien que mal, et souvent les non-autochtones n’en comprennent pas l’importance émotionnelle ni matérielle.

« Ils ont leur motoneige, leur tronçonneuse, du matériel forestier… Ça représente beaucoup de dollars qui risquent de partir en fumée », explique encore Guillaume Proulx.

Une stratégie de lutte anti-incendie contestée

Au Québec, la priorité pour la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) est de protéger, dans l’ordre, les vies humaines, les infrastructures stratégiques et la forêt. Une stratégie que critique Constant Awashish, grand chef de la nation atikamekw. « La forêt passe en dernier malheureusement. Que les autochtones pensent à la forêt en premier est souvent mal vu. Ça passe parfois pour de la désobéissance civile. Protéger la forêt, c’est protéger la mémoire familiale pour certains autochtones », dit-il.

Un avis que partage Allan Saganash. «  La Sopfeu ne s’est pas occupée des incendies isolés, ils les ont laissés brûler et se sont concentrés sur les incendies qui menaçaient les communautés ou les villes voisines », explique-t-il. Ces petits incendies ont finalement « fusionné et sont devenus énormes et incontrôlables », ajoute-t-il.

Constant Awashish explique que plusieurs Atikamekw se sont mobilisés pour protéger eux-mêmes leur camp. « Les camps sont liés à une histoire familiale. Le but est de protéger la mémoire et on ne pouvait pas leur dire d’arrêter », dit-il en expliquant qu’il serait pertinent de former les autochtones à réagir rapidement dans ce genre de situation.

Selon Guillaume Proulx, il existe aussi un enjeu économique. « La Sopfeu laisse brûler la forêt au nord de la forêt exploitée par la foresterie, soit environ au nord du 51e parallèle, donc elle protège aussi ce qui est stratégique pour l’économie de marché », dit-il.

Or la forêt est bien plus que ça pour les autochtones. « La stratégie de la Sopfeu est le résultat d’une perception qui dit que la nature est séparée de l’humain. Mais pour les autochtones, la nature et l’humain sont fortement reliés », poursuit le doctorant.

Mélanie Morin, porte-parole de la Sopfeu, défend la stratégie de l’institution. Elle explique qu’il est important de préserver les installations électriques et les barrages, en plus des habitations. Mais « il est impossible de mettre nos gens sur tout le territoire », se défend-elle. Rien que dans le secteur d’Eeyou Istchee Baie-James, ce sont entre 150 et 200 personnes qui sont mobilisées.

Angoisse et stress de l’évacuation

Les différents ordres d’évacuation donnés à travers tout le pays sont aussi une source de stress et d’angoisse. La priorité est donnée aux personnes âgées, aux enfants et aux plus vulnérables, notamment les résidents souffrant de problèmes respiratoires. Une situation qui entraîne un éclatement des familles, alors qu’elles sont un repère fort pour les autochtones.

En plus, Guillaume Proulx souligne que les communautés cries sont essentiellement anglophones. « Le français est leur troisième langue après le cri et l’anglais, alors c’est compliqué pour eux d’être déplacés dans le sud du Québec, où on parle essentiellement français », explique-t-il. D’autres communautés ne parlent ni français ni anglais.

L’isolement géographique rend ces communautés encore plus vulnérables. Il faut composer avec le fait qu’il n’existe parfois aucune route qui y mène et que l’évacuation ne peut se faire que par avion. Au Québec, il n’y a qu’une seule route principale qui permet de rejoindre le sud de la province : à la mi-août, la route Billy Diamond était fermée sur 200 kilomètres et celle qui mène à la communauté de Wemindji était, quant à elle, totalement fermée.

Dans tout le pays, déjà presque 14 millions d’hectares ont brûlé depuis le début de la saison, soit un cinquième de la surface de la France. Les experts s’accordent à dire que cette saison est deux fois pire que la saison précédente et qu’elle risque de s’étirer jusqu’en septembre.

Delphine Jung

Delphine Jung

Journaliste pour Médiapart.

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