Édition du 30 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Construire des ponts, remporter des victoires, lesquels ?

La revue À Bâbord !, le collectif Lutte commune et le Syndicat des professeur·es de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) ont appelé le colloque « Construire des ponts, remporter des victoires » à la veille du 1er mai, Fête internationale des travailleuses et des travailleurs.

Une mise au jeu audacieuse

Réunir les directions syndicales de 8 des 9 organisations syndicales québécoises soit APTS, CSD, CSN, CSQ, FAE, FIQ, FTQ, SPGQ est en soi un évènement unique. Au-delà de cet exploit, au fil de la discussion, la rencontre a procédé à un état des lieux du syndicalisme pour le moins inquiétant. Les directions syndicales avaient rencontré le premier ministre Legault dans la journée et le « dialogue social » était dans l’air. L’effet s’en est fait ressentir tout au long des échanges.

Ainsi, la démocratie syndicale et la mobilisation des membres se conjuguent depuis le début de la pandémie sous la présence prégnante des médias sociaux. Les décisions collectives prises en assemblées générales le sont de plus en plus virtuellement. Se reconnecter avec la base militante est un défi majeur à relever, tout comme le « dialogue social », un enjeu dont on doit s’occuper.

Du côté des Front Communs et des alliances intersyndicales, les directions syndicales ont une approche pour le moins alarmante en la matière. Le Conseil des partenaires du marché du travail (CPMT) est mis sur le même pied que les alliances entre les organisations syndicales sur santé sécurité travail (PL 59), ou un front large social (hausse salaire minimum à 18$h) ou un front commun inter organisations contre un employeur (lutte salarié.e.s de l’État en 2005, 2010, 2015, 2020).

Au sein du mouvement syndical, la légitimité et l’unité entre les organisations syndicales indépendantes (FAE-FIQ-APTS-SFPQ) et les centrales syndicales (CSN-CSQ-CSD-FTQ) étaient l’éléphant dans la pièce. Le pluralisme syndical accru illustre le glissement d’un mode syndical inter catégoriel à une représentation catégorielle et ne permet pas au mouvement syndical de parler aisément d’une même voix. Le maraudage syndical autorisé à la veille du renouvellement des conventions collectives contribue à cet état de fait. Cela a amené une participante à constater l’absence d’un projet de société qui unifie les luttes syndicales.

Pour sa part, le bien commun et l’action politique syndicale n’ont pas permis d’aller au-delà de constats : crise de la gauche, crise de la social-démocratie, services publics décrédibilisés. La nécessité de travailler à la fois le 1er front des conditions de travail et un 2e front politique qui critique le capitalisme et tend à le dépasser est soulevé. Toutefois, ce 2e front ne soulève pas de passion, n’a pas de trajectoire claire. C’est plutôt le « dialogue social », cette approche qui amenuise les embuches et combats à livrer par les salarié.e.s au profit de la concertation avec le patronat et l’État qui est mis de l’avant. Un dirigeant syndical a ainsi pu avancer : « Quel genre de capitalisme veut-on au Québec ? »

Finalement la transformation du travail, et le travail juste et inclusif, dernier thème abordé par les dirigeants syndicaux, a, une fois de plus, permis de prendre acte des constats identifiés tout au long de la pandémie de la covid. L’approche LEAN et la privatisation en santé de plus en plus répandues entraine une perte sens où l’intelligence artificielle établit quotas sans liens avec l’humain au cœur de cet exercice. Le travail inclusif s’est borné à la place des femmes encore marginalisée au sein des organisations syndicales, laissant de côté le débat concernant le travail inclusif et la place des minorités et marginalisés au sein des organisations syndicales.

L’appel lancé par le président de la FTQ à des états généraux du syndicalisme en 2023-2024 est une percée porteuse d’opportunités et a ouvert la porte aux débats en ateliers le 30 mai dernier.

Des militant.e.s au cœur de l’action

Les ateliers Vie démocratique, mobilisation, combativité, Lutter pour la justice et
Au cœur des luttes collectives : pour le bien commun
, ont permis de d’entendre des syndiqué.e.s relater les expérimentations en cours dans leurs milieux de travail qui tendent à relever les défis syndicaux de l’heure.

Quelques bribes retenues de ces échangent sont porteuses d’une transformation du syndicalisme qui se développe.

• Le pluralisme syndical, source de tension, peut s’avérer être un moteur de transformation. L’intersection entre métiers différents, entre organisations sont des sujets qui animent et motivent les membres plutôt que de les rebuter. Il ne faut pas en avoir peur.
• Le conflit sur les lieux de travail doit être compris, avoir une utilité bien définie pour rallier les membres. Les réalités partagées, comprises sont une force que les médias sociaux permettent de saisir. Il faut les utiliser en ayant des règles claires de leur utilisation, sans se prendre au sérieux et en ayant confiance dans l’intelligence des membres.
• Les fronts communs de la base de multiples natures sont à privilégier et à soutenir. Ainsi, apprendre à lutter contre un employeur local en intersyndicale est un exercice de solidarité qui peut par la suite s’élargir et permettre de sortir des luttes en silo.

Des revendications différenciées permettent de se parler et de s’adapter aux besoins des membres sans rivaliser, de laisser les membres agir, défricher de nouveaux chemins et d’inclure des non syndiqués à nos action collectives

• La précarisation du travail se complexifie. L’augmentation du nombre de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires « jetables » en est l’illustration. Cette situation mine la capacité du mouvement syndical à faire des gains significatifs alors que le travail non syndiqué, jetable, saisonnier se multiplie.
• Les syndicats ont la capacité de les accueillir en favorisant du mentorat, la mise en place des lieux d’échange multiculturels, de solidarité où le rôle du syndicat, son histoire, les luttes menées et les gains obtenus sont partagés.
• L’élargissement du champ des possibles sur le terrain des luttes sociales est un enjeu de taille afin de recréer le tissu des solidarités qui s’est étiolé au cours des dernières années. La lutte aux changements climatiques et l’appel à la grève politique en septembre 2022 en est une. Un premier pas peut être l’introduction de clauses spécifiques dans les conventions collectives tel que le nettoyage de chantiers associé à des inspections terrains rigoureuses dans le secteur de la construction ce qui permettrait de réduire les gaz à effets de serre.

Somme toute, pour l’équipe organisatrice de ce colloque, c’est mission accomplie. Les faiblesses identifiées lors de la rencontre intersyndicale d’ouverture ont été surmontées dans les ateliers militants.

En conclusion, la citation d’un vieux routier en préparation des États généraux du syndicalisme

« Les syndicats agissent utilement comme centre de résistance aux empiètements du capital. Ils échouent en partie quand ils font un usage peu judicieux de leur puissance. Ils échouent entièrement quand ils livrent une simple guérilla contre les effets du système actuel, au lieu d’essayer dans le même temps de le changer, au lieu de se faire un levier de toutes les forces organisatrices, pour l’émancipation finale de la classe ouvrière, c’est-à-dire pour abolir le salariat »
Marx, Salaire, prix et plus-value, 1865

Ghislaine Raymond, 9 mai 2022

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