Tiré d’Orient XXI.
Le 18 juin 2025, sixième jour de l’attaque israélienne contre l’Iran, dans une interview accordée au New York Times, le général David Petraeus prodigua au président étatsunien Donald Trump une série de conseils que celui-ci ne lui avait pas demandés : le président devait lancer un ultimatum à l’ayatollah Ali Khamenei et lui ordonner de démanteler le programme d’enrichissement d’uranium de Téhéran sous peine d’encourir « la destruction totale de son pays, de son régime et de son peuple ». Si Khamenei refusait « cela renforcerait notre légitimité, et nous serions en quelque sorte “obligés” de les réduire en cendres » (1). On n’a guère entendu de commentaires sur ces propos de Petraeus, l’ancien commandant en chef des troupes étatsuniennes en Irak et en Afghanistan, qui recommandait en substance de faire subir à un pays de 90 millions d’habitants le même traitement que Gaza : les menaces d’hécatombe proférées par des responsables étatsuniens contre des dirigeants étrangers et leurs peuples ne choquent plus personne et ne suscitent aucune condamnation ; elles font désormais simplement partie du « débat » sur les modalités de la gestion de l’empire.
Comme l’arme atomique à Hiroshima
Le 22 juin, l’armée de l’air étatsunienne a largué des bombes anti-bunker GBU-57 sur les sites d’enrichissement d’uranium de Fordow et de Natanz et lancé des missiles Tomahawk sur un centre de recherche nucléaire proche d’Ispahan. On aurait pu croire que Trump suivait les conseils de Petraeus, mais il s’est bientôt empressé de crier victoire, alléguant que les frappes étatsuniennes avaient détruit les capacités nucléaires de l’Iran — selon un rapport préliminaire classifié des services de renseignement, le programme nucléaire iranien n’aurait été retardé que de quelques mois —, avant de convaincre les belligérants d’accepter un cessez-le-feu.
- Dans le style surréaliste qui caractérise la politique étrangère de Trump, les trois parties en conflit pouvaient chacune revendiquer la victoire.
Les frappes israéliennes ont causé d’importants dégâts dans des quartiers résidentiels et près d’un millier d’Iraniens auraient été tués. Mais malgré les menaces de Benyamin Nétanyahou, Khamenei n’a pas été assassiné, et Washington n’a pas réduit l’Iran en cendres. Ce qui n’a pas empêché Trump, lors de la visite du premier ministre israélien à la Maison Blanche le 6 juillet, de comparer son action à l’utilisation de l’arme atomique par le président Harry Truman à Hiroshima (« elle a évité beaucoup de combats inutiles, et mon action a aussi évité beaucoup de combats inutiles ». (2) Pendant ce temps, à Gaza, famine et massacres continuaient de plus belle, mais tant qu’Israël et l’Iran étaient en guerre, les souffrances des Palestiniens ne faisaient plus la une.
Dans le style surréaliste qui caractérise la politique étrangère de Trump, les trois parties en conflit pouvaient chacune revendiquer la victoire. Nétanyahou vantait les succès de l’armée de l’air israélienne, qui avait éliminé les principaux dirigeants des Gardiens de la révolution par des frappes éclair aussi dévastatrices que la destruction de l’aviation égyptienne dès les premières heures de la guerre de juin 1967. Khamenei se félicitait du fait que son régime ait survécu et que les missiles balistiques iraniens aient pénétré jusqu’au cœur du territoire israélien, frappant cinq bases militaires, causant des dégâts considérables à Haïfa et à Tel-Aviv et se soldant par la mort de 28 civils, dont les membres d’une famille palestinienne qui habitait l’un des nombreux villages arabes dépourvus d’abri anti-aériens. Trump, enfin, pouvait se présenter à la fois comme un grand chef militaire et un artisan de paix, ralliant à sa cause des néoconservateurs hostiles à son administration tels que William Kristol, tout en rassurant sa base sur le fait qu’il n’était pas en train de fomenter une nouvelle guerre coûteuse au Proche-Orient.
Lors de sa rencontre avec Trump, Nétanyahou révéla qu’il avait proposé la candidature du président étatsunien au prix Nobel de la paix. De son côté, le président iranien Massoud Pezechkian, dans une interview avec Tucker Carlson, fit preuve d’une curieuse mansuétude (visiblement très calculée) envers l’homme qui venait de bombarder son pays : « Trump est tout à fait capable de guider le Proche-Orient vers un avenir de paix et de prospérité », a-t-il déclaré sans la moindre trace d’amertume (3). L’important était que l’occupant de la Maison Blanche empêche Israël d’entraîner toute la région dans un « abîme » de guerres sans fin.
Tout cela aurait pu être évité
Depuis le cessez-le-feu, le régime de Téhéran a lancé une purge contre les traîtres présumés, dont quelques-uns ont été pendus, et expulsé des centaines de milliers de réfugiés afghans. Israël contrôle l’espace aérien iranien et peut y déployer à volonté ses avions de combat et ses drones, comme il le fait régulièrement au-dessus du Liban et de la Syrie. Tout cela aurait pu être évité. Il y a dix ans, le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union européenne et l’Iran avaient conclu un accord, le Plan d’action global commun (JCPOA), visant à garantir que le programme nucléaire iranien serait destiné à des fins pacifiques. Mais trois ans plus tard, l’administration Trump a dénoncé cet accord, alors même qu’il semblait bien fonctionner et qu’il n’y avait aucune preuve que l’Iran l’ait violé — une décision vivement applaudie par Israël et ses partisans. Dans la foulée, Téhéran a aussitôt commencé à enrichir de plus grandes quantités d’uranium à Fordow et dans ses autres installations nucléaires.
Pourtant, au moment où Israël a lancé son attaque-surprise le 13 juin, l’Iran était toujours en pourparlers avec les États-Unis, et la directrice du renseignement national de Trump, Tulsi Gabbard, avait elle-même déclaré devant le Congrès en mars 2025 que l’Iran n’était pas en train de construire une arme nucléaire. (Démentie publiquement par son chef, qui l’accusa carrément de ne pas savoir de quoi elle parlait, elle a changé son discours après l’entrée en guerre des États-Unis.)
- Pourtant, jusqu’à présent, la Maison Blanche n’avait jamais laissé aucune force militaire étatsunienne participer à une offensive israélienne.
Il est tentant d’interpréter la décision de Trump de bombarder l’Iran en termes psychologiques, une explication qu’il a lui-même encouragée. « Peut-être que j’attaquerai, peut-être que je n’attaquerai pas, déclarait-il le 18 juin à des journalistes qui l’interrogeaient à ce sujet. En fait, personne ne sait ce que je vais faire. » Il est possible qu’il ait souhaité avant tout éviter de donner une impression de faiblesse, même si cela l’amenait à un conflit frontal avec ceux de ses partisans qui sont très hostiles aux interventions militaires outre-mer, comme Tucker Carlson et Steve Bannon. Peut-être aussi ne voulait-il pas laisser Israël pilonner l’Iran sans en tirer lui-même le moindre profit symbolique.
Un blanc-seing à Tel-Aviv
Mais les motivations personnelles de Trump importent moins que ce fait incontournable : Washington a donné son plein aval à l’hégémonie régionale d’Israël. Depuis la guerre de 1967, les États-Unis ont régulièrement joué le rôle de protecteur de cet État en lui apportant une aide financière et militaire considérable et un soutien inébranlable au Conseil de sécurité de l’ONU, y bloquant toute résolution condamnant les crimes de guerre israéliens. En 2003, Washington a envahi l’Irak sans aucune justification militaire raisonnable, mais sous les applaudissements des faucons israéliens, dont Nétanyahou.
Pourtant, jusqu’à présent, la Maison Blanche n’avait jamais laissé aucune force militaire étatsunienne participer à une offensive israélienne.
Notes
1- Elisabeth Bumiller, « Iran and the Specter of Iraq : ‘We Bought All the Happy Talk’ », The New York Times, 18 juin 2025.
2- Larissa Howie, « Trump compares himself to Truman after Iran attack », MSN, juin 2025.
3- « Tucker Carlson interviewe le président iranien Mosoud Pezeshkian », YouTube, 8 juillet 2025.
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