Édition du 23 avril 2024

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Le Monde

De la rhétorique martiale

Le discours guerrier et le vocabulaire militaire sont-ils appropriés à la situation que nous vivons ? Devrions-nous nous comporter comme si nous étions en guerre ? Certes, nous sommes en situation de crise, mais de guerre ?

Quand il y a guerre, on fait tourner les usines à fond pour fournir du matériel destiné à tuer des gens et aussi, accessoirement, du matériel médical pour soigner les blessés. Dans le cas qui nous occupe, on devrait surtout fabriquer des outils de santé et aucun matériel destiné à tuer.

En temps de guerre, on identifie un ennemi qui a une stratégie et des objectifs connus ou à découvrir. Un virus n’a qu’un seul objectif : se reproduire. Ses stratégies sont étudiables par la science et on peut parler de lui sur les ondes sans crainte qu’il se serve de nos connaissances pour déjouer nos tactiques.

Quand c’est la guerre, il y a un front ou des poches de guérilla. Les militaires essaient de s’y attaquer et, en principe, les civils sont protégés par les différentes conventions internationales. Les virus ne signent aucune convention internationale.

En situation de guerre, le confinement vise à éviter les tirs ennemis ou la rébellion contre l’ordre établi. Ici, il devrait viser la réduction des contacts qui entraînent la propagation du virus. En principe, on ne se sert pas de ce prétexte pour se glorifier sur son blogue en écrivant son « Journal de confinement » dans un état irréel et obligé de farniente luxueux retiré dans sa grande maison de campagne.

Dans un état de guerre déclarée, ni les personnes ni les marchandises ne circulent (normalement) entre les États ennemis. Ici, il n’y a pas en principe d’États ennemis, mais aucun·e citoyen·ne ne circule entre les États alliés alors que les marchandises, elles, ont la voie libre. En fait, le coronavirus est en train de réaliser le fantasme de la frange cybernétique de l’économie néolibérale : la libre circulation des marchandises et l’immobilité des personnes pour ne pas gêner les flux de biens.

Un État en guerre promulgue des lois spéciales qui restreignent les libertés et sanctionnent les ennemis du régime. Ici, l’État a fait des recommandations, mais songe peut-être à appliquer des sanctions le cas échéant. Mais s’agit-il de s’attaquer aux ennemis du régime ? La question mérite d’être étudiée.

L’effort de guerre nécessite des investissements publics colossaux. Dans le cas qui nous occupe, on a consenti des sommes importantes faisant peser sur le retour à la normale le poids éventuel de ponctions qui risquent d’affecter encore et toujours les travailleuses·travailleurs. Pourtant, pour trouver des ressources financières immenses, il suffirait d’appliquer les lois en vigueur et d’aller chercher les fonds cachés illégalement dans les paradis fiscaux. Le Conseil des Canadiens estimait il y a quelques années qu’on y avait dissimulé 800 milliards de dollars. Ce serait étonnant que la somme ait diminué depuis.

La consommation des citoyen·nes soumis·es au régime guerrier est régulée par des bons de rationnement. Ce n’est pas encore le cas. Peut-être cela calmerait-il les ardeurs des barbares qui vandalisent les étagères des différents marchés d’alimentation et sèment la pagaille partout où ils passent.

La question mérite ici un petit détour anecdotique : faire son épicerie est devenu une expérience particulièrement éprouvante lorsqu’il s’agit de côtoyer des clientes·clients grossiers qui rudoient les employé·e·s d’épicerie, engueulent les caissières et bousculent les autres consommatrices·consommateurs. On a parfois l’impression de tomber dans un combat de chiens. C’est véritablement affligeant de voir l’état de détresse de ces personnes sous-payées et qui travaillent pour nous nourrir. Au lieu de recevoir les remerciements qu’elles méritent, elles se font traiter comme des moins que rien et subissent des agressions verbales allant jusqu’aux menaces. J’ai beaucoup d’admiration pour leur courage et leur abnégation.

Finalement, la guerre fait appel à des attitudes considérées comme masculines et viriles : l’agressivité, la force et la violence. Or, je préfère comme Maxime Combes s’y exerce dans un article intitulé Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie. Et c’est bien assez« Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie. Et c’est bien assez », publié d’abord dans BastaMag le 18 mars dernier, puis dans Médiapart le 20 mars, tenir des propos plus humanistes. La réaction et la mobilisation nécessaires pour faire face à une pandémie font appel à des vertus considérées comme féminines (mais que les hommes possèdent, bien sûr et sont capables de mettre en actes) : la précaution, le soin, l’attention, la solidarité, l’empathie, la sympathie et le dévouement.

LAGACÉ, Francis

Francis Lagacé

LAGACÉ Francis
8200, rue Hochelaga App. 5
Montréal H1L 2L1
Répondeur ou télécopieur : (514) 723-0415
francis.lagace@gmail.com.
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