Non pas que depuis son arrivée en 2017 à QS, tous et toutes aient toujours partagé ses points de vue, ni se soient parfaitement retrouvés dans son style de leadership, loin de là ! Mais voilà, avec la montée en force de la droite-extrême un peu partout au monde, et la nécessité que les forces progressistes fassent front uni à son encontre, sa démission résonne malheureusement comme le départ d’un capitaine quittant le navire alors que se prépare à l’horizon une tempête de premier ordre.
Aujourd’hui, on aurait besoin que tout le monde —et d’abord les plus expérimentés et aguerris— se retrouvent sur le pont et soient prêts à se serrer les coudes, pour faire face aux inquiétantes menaces qui s’amoncellent devant soi. On aurait besoin que mouvements sociaux en luttes, syndicats, forces et partis politiques de gauche ou progressistes se retrouvent unis pour parvenir à juguler la montée de "tendances politiques fascisantes" qui, déjà présentes chez notre puissant voisin du sud, pourraient bien se répandre ici bien plus facilement qu’on ne l’imagine.
Tenter d’y voir clair
Mais peut-être faut-il ici faire contre mauvaise fortune bon coeur et, pour tenter d’y voir clair, s’attarder plutôt aux raisons profondes qui ont conduit à sa démission et amené le parti dans l’état de difficultés où il se trouve aujourd’hui. Amir Khadir ne disait il pas encore tout récemment que QS se trouvait dans de "sales draps" ?
On s’en souviendra, Gabriel Nadeau Dubois lorsqu’il était arrivé avec son groupe Faut qu’on se parle à QS en 2017, avait annoncé qu’il voulait « amener de nouveaux visages, unir des forces, renouveler des stratégies » ? Et on peut dire que dans un premier temps et malgré bien des appréhensions, beaucoup ont pensé qu’il allait y arriver, notamment dans le sillage d’un accroissement important de membres ainsi que de la percée électorale de 2018 (10 députés) dont les acquis ont été maintenus en 2022 (avec 11 députés).
Pourtant derrière ces indéniables avancées sur la scène électorale, se cachaient bien des fragilités d’ordre structurel, comme si en quelque sorte « l’arbre » des percées électorales cachait « la forêt » des dures réalités sociales et politiques du Québec.
Peu en effet avaient à l’époque pris la mesure des enjeux auxquels devait prendre garde un parti de gauche en ce début du 21ième siècle. Et cela, notamment parce qu’on était entré dans d’une période politique de vives tensions et de crises multiples, en même temps que partout au monde la gauche —en panne de modèle et de stratégie— peinait à trouver les moyens de s’imposer, se perdant plus souvent qu’autrement dans les voies sans issue de la vie institutionnelle imposée par le néolibéralisme (voir les déboires de Podemos ou encore de Syriza en Grèce).
En ce sens, il faut le rappeler : on ne doit pas faire reposer la responsabilité des difficultés que connaît QS sur les seules épaules de son porte-parole le plus connu. Car c’est quand même une majorité de militants qui lui a ouvert la porte en 2017 et lui a permis, loin de toute prudence, de monopoliser d’importants pouvoirs de direction, non seulement comme tout nouveau jeune député, mais aussi comme co-porte-parole masculin [1] .
C’est aussi une bonne majorité de militants qui, en dépit des avertissements contraires venant de la gauche du parti, n’a pas jugé urgent de mettre en place des mécanismes d’encadrements démocratiques plus agiles, ni non plus d’alimenter de véritables débats de fond qui auraient permis d’assainir la vie interne du parti. Ces mesures auraient aussi porté les uns et les autres à être plus attentifs aux particularités de la période politique dans laquelle on entrait, comme aux stratégies plus audacieuses que QS aurait dû privilégier, par exemple sur la question nationale, sur le féminisme, sur la laïcité, sur le racisme, etc., de manière à incarner auprès des classes populaires du Québec une véritable alternative politique à la montée de l’extrême-droite populiste.
Des travers grandissants
Il s’est ainsi installé toute une série de travers grandissants au sein du parti, dont les débats et conflits soulevés par Catherine Dorion et Émilise Lessard Therrien, n’étaient finalement que la pointe visible de l’iceberg. Dans un contexte difficile et en dépit des efforts acharnés d’une opposition de gauche par trop fragmentée pour en renverser le cours, le parti "des urnes et de la rue", qu’avait voulu être QS (féministe, altermondialiste, social, écologiste, voire même anti-capitaliste), était désormais en train de se muer en un seul parti des urnes, en un seul parti de gouvernance institutionnelle. Le tout, sous la direction d’une équipe parlementaire ainsi que d’un groupe de com. qui chaque fois prenaient plus de place et dont Gabriel était devenu peu à peu à la fois le symbole et le véritable chef d’orchestre.
Il s’est donc effectué peu à peu sous sa houlette un recentrage du parti qui remonte à loin, mais qui n’est apparu cependant pour ce qu’il était aux yeux de tous et toutes que lors du vote sur la déclaration du Saguenay (au Conseil national de mai 2024) [2] .
Mais comme depuis lors, ce virage n’a donné aucun des résultats escomptés, ni en terme de renouveau du « membership », ni en terme de mobilisation militante (voir à ce propos les nombreux sondages défavorables et le rétrécissement notables des bases militantes de QS), il était tout naturel que Gabriel ait eu envie de partir et de donner sa démission.
Quelque part, il fallait bien qu’il prenne acte de l’échec d’une stratégie qu’il avait peu ou prou cautionnée depuis son arrivée à QS.
On le voit les choses ne sont donc pas simples, car ce n’est pas seulement au remplacement d’un co-porte parole masculin auquel il faut désormais penser, mais à toute la stratégie de QS qui s’est peu à peu cristallisée dans une seule direction depuis le départ de Françoise David et Amir Khadir.
Dans ce contexte, comme le dit si bien le cinéaste Samuel Matteau qui a travaillé en 2018 auprès de lui, il faut souhaiter que, "son départ entraine un réel travail de fond sur les structures opérationnelles internes du parti et sur le souffle qui animera Québec solidaire dans les années avenir".
En ces temps de montée si préoccupante de l’extrême-droite, tout nous montre la nécessité de penser à des alternatives sociales et politiques, à la fois stimulantes et audacieuses, appelant à ce que QS soit comme jamais « un parti des urnes et de la rue » travaillant d’arrache-pied avec les mouvements sociaux au dépassement des impasses grandissantes alimentées par le capitalisme néolibéral ?
N’est-ce pas de ce côté que git sa raison d’être ? N’est-ce pas ce à quoi il doit revenir ? N’est-ce pas ainsi qu’il restera ce sel de la terre dont a tant besoin le Québec d’aujourd’hui ?
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste
Québec, le 24 mars 2025
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