Édition du 26 mars 2024

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Politique d’austérité

Des solutions à l’austérité

Le 1er mai dernier, à l’occasion de la Fête internationale des travailleuses et des travailleurs, on a vu une mobilisation exceptionnelle partout au Québec alors que plus de 850 organismes étaient en grève sociale et que des milliers de personnes protestaient contre les mesures d’austérité du gouvernement Couillard. Ces mesures – aucunement annoncées lors de la campagne électorale – sont vues par plusieurs personnes comme étant d’autant plus injustes et inacceptables que de multiples solutions viables restent ignorées et écartées par le gouvernement.

Parmi les pistes de solutions intéressantes, celles de la campagne 10 milliards de solutions de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, qui regroupe 80 groupes sociaux, méritent plus d’attention. Si, en tant qu’économistes ou chercheurs et chercheuses s’intéressant à l’économie et à la fiscalité, nous pouvons évaluer de manière différente l’ensemble de ces mesures, plusieurs d’entre elles recueillent notre appui car elles sont sensées et cohérentes avec l’idée que nous nous faisons de la justice sociale. Sauf à vouloir une « prospérité » créée sur fond de montée des inégalités, source de conflits sociaux, le gouvernement devrait se montrer plus ouvert à ces propositions.

À nos yeux, l’austérité s’appuyant sur la prémisse selon laquelle le Québec vivrait au-dessus de ses moyens est contestable. L’un des problèmes majeurs est plutôt que le gouvernement se prive volontairement de ressources financières. Il refuse, entre autres, de rétablir une meilleure progressivité de l’impôt sur le revenu. Il refuse aussi de rétablir la taxe sur le capital des banques, qui a pourtant existé de 1947 jusqu’à son abolition par le gouvernement Charest. Ainsi, le 1er mai, plusieurs actions de protestation pacifiques ont ciblé des institutions financières, accusées de ne pas faire leur juste part, pendant que des personnes salariées à temps plein gagnant le salaire minimum peinent à joindre les deux bouts en plus de voir prix et tarifs augmenter sans cesse.

Le gouvernement est également prêt à accorder de nouvelles baisses d’impôt aux entreprises. Or, de récentes études permettent sérieusement de douter que cela contribue à stimuler l’économie, ayant démontré que des centaines de milliards de dollars s’accumulent plutôt dans les comptes des entreprises non financières, sans créer de l’emploi, comme on le prétend.

Dans la même veine, va-t-on longtemps continuer à juger légaux de soi-disant « investissements étrangers » dans les paradis fiscaux ainsi que des stratagèmes de planification abusive qui ne visent qu’à échapper au fisc ? Certes Revenu Québec fait de réels efforts de lutte à l’évasion fiscale, mais il faut faire encore plus. La Commission parlementaire sur le recours aux paradis fiscaux disposera-t-elle d’un véritable mandat pour faire des recommandations sérieuses, non seulement concernant la fraude criminelle, mais bien l’évasion fiscale légalisée qui se pratique à grande échelle ? On le souhaite puisque cela prive l’État d’importants revenus.

C’est un déficit éthique et démocratique majeur qui conduit des milliers de personnes à « refuser l’austérité ». La vraie question à nos yeux n’est pas seulement celle de l’équilibre budgétaire – pour lequel bien des solutions existent –, mais celle d’une « révolution tarifaire » qui, combinée à d’autres mesures législatives et commerciales, pave la voie à la privatisation croissante de nos services publics. Est-ce là un choix intéressant sur le plan économique et social pour le Québec, un choix fait collectivement et démocratiquement ? Il est clair que d’autres grilles de lecture de l’économie entraîneraient des solutions différentes de celles que le gouvernement propose. À quand donc un véritable débat de société sur l’ensemble des options qui s’offrent à nous en matière de fiscalité ? Bien des jours de l’année se transformeront en 1er mai si le débat démocratique qui s’impose à ce sujet au Québec persiste à être nié.

Yves-Marie Abraham, professeur agrégé, HEC

Erik Bouchard-Boulianne, économiste, CSQ

Bernard Élie, économiste

Louis Gill, économiste

Pierre-Antoine Harvey, économiste, CSQ

Roger Lanoue, économiste

Marc Lavoie, économiste, Université d’Ottawa

François L’Italien, sociologue, Université Laval et IRÉC

Michel Lizée, économiste

Sylvie Morel, économiste, Université Laval

Éric Pineault, économiste, sociologue, UQAM et IRIS

Ruth Rose, économiste, UQAM

Cécile Sabourin, économiste

Gabriel Sainte-Marie, économiste, Cégep de Joliette et IRÉC

Pierre-Guy Sylvestre, économiste, SCFP

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