Édition du 26 mars 2024

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États-Unis

Donald Trump engage la démolition de la régulation financière

La réglementation financière issue de la crise de 2008 est dans la ligne de mire de Donald Trump. Sans attendre, celui-ci a signé deux nouveaux décrets visant à démanteler toutes les maigres avancées de la loi Dodd-Frank. Wall Street applaudit, demandant la levée au plus vite de l’interdiction de spéculer pour compte propre.

4 février 2017 | tiré de mediapart.fr

Cela n’a pas traîné. Quinze jours à peine après s’être installé à la Maison Blanche, Donald Trump a commencé son travail de démolition de la régulation financière. D’un trait de plume, il a engagé, vendredi 3 février, le processus d’annulation de tous les dispositifs adoptés après la crise financière de 2008, en signant deux ordres présidentiels (« executive orders »), dont il use et abuse depuis son installation. 

Sans attendre, Donald Trump a décidé de s’attaquer à la réglementation la plus symbolique de l’après-crise financière : laloi Dodd-Frank, adoptée en 2010 pour encadrer un peu mieux les activités bancaires et financières. Bien que très limitée par rapport aux ambitions initiales affichées par Barack Obama lors de son accession au pouvoir, celle-ci est encore jugée insupportable par Wall Street, les banquiers ne rêvant que d’une chose : revenir à l’ordre – ou plutôt au désordre – ancien, qui a mené le monde à la catastrophe.

Dans la foulée, Donald Trump a lancé l’annulation de toute la réglementation, adoptée elle aussi après la crise de 2008, censée protéger les consommateurs et les épargnants contre les pratiques abusives de la finance et les produits toxiques comme les subprimes, par exemple. Les textes imposant notamment aux conseillers financiers de recommander aux fonds de pension des investissements « dans l’intérêt de leurs clients » vont être abolis, car trop contraignants pour la finance.

Pour la circonstance, Donald Trump avait veillé à une mise en scène soignée. Il avait accueilli le président de Blackstone, un des plus gros hedge funds américains, et le président de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, afin de les associer à la bonne nouvelle. Le signal ne pouvait être plus clair : la Maison Blanche est à l’écoute de Wall Street, de toutes les demandes de Wall Street.

« Nous projetons de supprimer une grande partie de la loi Dodd-Frank, parce que je connais beaucoup de personnes, des amis, qui ont de belles affaires mais ne peuvent pas emprunter de l’argent. Les banques ne veulent pas leur prêter à cause des règles et des régulations inscrites dans la loi », a commenté Donald Trump, avant de rappeler qu’il s’agisssait d’une de ses promesses de campagne.

La sénatrice démocrate Elisabeth Warren, qui a été très en pointe dans le combat pour la régulation financière, a immédiatement réagi à cette décision  : « Donald Trump a beaucoup attaqué Wall Street pendant sa campagne, mais en tant que président, nous découvrons de quel côté il est réellement. […] Les banquiers de Wall Street et les lobbyistes qui, par leur cupidité et leur inconscience, ont presque détruit le pays peuvent sabler le champagne. Mais le peuple américain n’a pas oublié la crise financière de 2008 et il n’oubliera pas ce qu’il s’est passé aujourd’hui. »

Les marchés, eux, ont applaudi l’annonce. Toutes les valeurs financières et bancaires étaient à la hausse vendredi. Les analystes et les commentateurs boursiers se félicitaient de cette mise à bas programmée de la régulation financière, laquelle annonce des lendemains qui chantent pour la finance.

L’ordre présidentiel signé par Donald Trump a, pour l’instant, un effet limité : il ne peut, à lui seul, supprimer les dispositions législatives prises en 2010 après l’effondrement de la banque Lehman Brothers. Seul le Congrès peut modifier en profondeur la loi. Mais cet ordre éclaire déjà les priorités de la présidence et indique les instructions qui vont être données à la fois aux législateurs et aux régulateurs chargés d’appliquer les textes.

Tout de suite après la signature, Gary Cohn, ancien numéro deux de Goldman Sachs devenu président du conseil économique national de la présidence Trump, a expliqué qu’il entendait aller vite : « Nous allons attaquer tous les aspects de la loi Dodd-Frank. Nous allons impliquer les représentants. Nous allons impliquer le Sénat. Ils sont aussi intéressés à réformer certains processus réglementaires. Nous pouvons avancer un peu sans eux. Mais plus nous serons aidés par le Congrès, mieux ce sera pour nous tous »a-t-il déclaré à Bloomberg. Compte tenu de la majorité républicaine au Congrès, qui hait ces textes autant que les banquiers, la réécriture de toute la réglementation financière pourrait aller à grands pas.

Parmi les changements espérés, il y a deux grandes dispositions à abattre pour Wall Street. La première concerne les règles de sécurité bancaire. Après l’effondrement de Lehman Brothers, les États-Unis – comme tout le monde d’ailleurs – ont élevé les niveaux requis de fonds propres, augmenté les ratios de liquidité, afin de diminuer les effets de levier et renforcer la solidité des établissements bancaires. Toutes ces règles sont jugées « insoutenables » par les milieux bancaires : elles réduisent le niveau de rentabilité des banques, la valeur des actions et donc leur bonus. C’est tout dire.

La deuxième disposition leur tient encore plus à cœur. Il s’agit de l’interdiction de spéculer pour compte propre. Cette interdiction avait été la seule que l’ancien président de la Fed Paul Volcker, qui militait pour le retour du Glass-Steagall Act et le rétablissement d’une stricte séparation entre banque de détail et banque d’investissement, avait réussi, après d’immenses difficultés, à inscrire dans les lois de régulation financière de 2010. Pour Wall Street, cette mesure est à supprimer de toute urgence. Les banques seront sans doute rapidement entendues. Le bon temps de toutes les bulles, de toutes les manipulations de marché, de tous les scandales et de la finance créative va pouvoir revenir.

« Tout ceci n’a rien à voir avec Goldman Sachs »

« Tout ceci n’a rien à voir avec Goldman Sachs, rien à voir avec JP Morgan, rien à voir avec Citigroup ou Bank of America. Il s’agit juste de devenir un acteur sur le marché mondial, où nous devrions, nous pourrions avoir et aurons une position dominante, pour autant que nous ne réglementons pas outre mesure », s’était justifié Gary Cohn, dans un entretien au Wall Street journal, quelques heures avant la signature de l’ordre présidentiel. Le président du conseil économique de la Maison Blanche considère que les marchés financiers se sont corrigés eux-mêmes, que l’environnement qui a nourri la crise financière n’existe plus.

Même si les banquiers de Wall Street espéraient une évolution de la réglementation financière, qualifiée de « désastre » par Donald Trump pendant sa campagne, ils n’en espéraient pas tant. En tout cas, pas si vite. À défaut d’une nouvelle loi, qui leur semblait compliquée à mettre en œuvre, ils demandaient des aménagements rapides dans l’application des règles. « Légiférer est manifestement plus difficile que de changer les régulations. Les régulateurs peuvent changer beaucoup de choses facilement, concernant les règles de conformité, de prêts, d’utilisation du capital, de liquidité. Je souhaite que certaines soient réexaminées et peut-être modifiées un peu. Je pense que ce serait très bon pour l’économie », expliquait le patron de JP Morgan Chase, Jamie Dimon, au sommet de Davos, quelques jours avant l’investiture de Donald Trump. Tous les banquiers s’accordaient alors pour dire quel’ère Trump allait être formidable pour Wall Street.

L’allègement de toutes les règles est déjà en marche. Dès jeudi, la règlequi imposait aux grands groupes miniers et pétroliers de déclarer chaque année tous les paiements faits auprès des gouvernements étrangers pour acquérir des permis ou des droits d’exploitation a été supprimée par la Chambre des représentants. La loi qui avait été adoptée en juin 2016 pour endiguer la corruption a été jugée trop contraignante et « anti-compétitive » par les élus.

De son côté, la Securities and Exchange Commission (SEC) est aussi en train de changer de voie, avec le départ de sa présidente Mary Jo White. L’ancienne procureure générale de New York, qui avait veillé à une application stricte de la loi Dodd-Frank depuis 2013, a préféré démissionner de son poste au lendemain de l’élection de Donald Trump. Elle doit être remplacée par Jay Clayton, un avocat qui a défendu toutes les grandes firmes de Wall Street et en particulier Goldman Sachs. Sa femme est gestionnaire de fortune dans la banque. La nomination de Jay Clayton ne semble soulever aucun problème, de conflit d’intérêts par exemple. En guise d’introduction, celui-ci a annoncé son intention « d’encourager les investisseurs et les groupes américains à travailler ensemble pour créer des emplois aux États-Unis ».

Si Donald Trump entend donner si rapidement satisfaction à Wall Street, ce n’est pas seulement par volonté d’imposer sa marque sur tout. Il doit aussi donner des gages. Son décret contre les réfugiés et les ressortissants de sept pays du Moyen-Orientest contesté par le monde des affaires. Et plus encore sa volonté de réviser les visas spéciaux accordés aux étrangers dotés de haute qualification qui peuplent toutes les grandes firmes high tech et les banques de Wall Street. Tous sont vent debout contre ces limitations.

« Ce n’est pas la politique que nous voulons », a déclaré dès lundi Lloyd Bankfein, président de Goldman Sachs. Lorsque le banquier de Wall Street « qui fait le travail de Dieu » sort de sa réserve, cela vaut ordre présidentiel. D’autant qu’il est plus que jamais au cœur de la machine présidentielle : six anciens de Goldman Sachs sont désormais à la Maison Blanche. Jamais la banque n’avait eu autant d’influence, au point que les détracteurs de Donald Trump parlent d’un gouvernement Sachs.-

Outre Gary Cahn et Jay Clayton, on retrouve Steven Mnuchin, qui a passé 17 ans à la banque et est désormais secrétaire du trésor. Une place réservée à Goldman Sachs dans tous les gouvernements américains qui se succèdent. Il y a aussi Stephen Bannon et Anthony Scaramucci, devenu lui aussi conseiller de Trump, enfin Dina Powell, ancienne responsable de la fondation de Goldman Sachs, qui a rejoint l’administration Trump pour s’occuper des affaires économiques et des entreprises.

Autant dire que les nouvelles règles financières vont s’écrire sous la dictée de Wall Street en général et de Goldman Sachs en particulier. Les maigres avancées obtenues après la crise financière de 2008 semblent appelées à être toutes balayées. Certains politiques et économistes avaient beaucoup critiqué la pusillanimité de Barack Obama sur ce sujet. En 2009, faisaient-ils alors valoir, les banques étaient à terre, à la merci du gouvernement. Obama aurait pu tout changer, réinstaurer le Glass-Steagall Act. Il n’a pas osé, cédant face au pouvoir des banques, lui reprochaient-ils en substance. Une occasion perdue dont on commence juste à mesurer le coût.

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