Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2019

Élections fédérales, un gouvernement à élire et une alternative à construire

Au moment où la Catalogne s’enflamme contre la répression juridique et politique du gouvernement espagnol, nous sommes interpellés dans de notre stratégie de lutte au Québec par rapport à l’État canadien. Les élections fédérales sont un exercice révélateur de notre conception du changement social, de nos stratégies pour le réaliser et du rôle de la souveraineté pour y arriver.

L’expérience catalane révèle des écueils importants. Pour réussir la lutte catalane doit établir des liens avec le mouvement ouvrier et populaire du reste de l’Espagne, afin d’établir des points communs dans la lutte. Le mouvement souverainiste catalan a été souvent perçu comme dirigé par la petite bourgeoisie afin de défendre ses intérêts. En effet la Catalogne fait partie des régions les plus fortunées de l’Espagne. L’enracinement dans le mouvement ouvrier en lien avec les luttes sociales et syndicales pourrait permettre un élargissement en Catalogne mais aussi de développer une solidarité essentielle avec le mouvement ouvrier espagnol, comme l’avait réalisé le mouvement des Indignados. L’expansion de la lutte à d’autres secteurs en Espagne et le développement de la solidarité internationale sont les ingrédients essentiels à la survie du peuple catalan dans sa lutte de libération nationale et pour la démocratie.

Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux devant ces enseignements. Le Canada n’est pas l’Espagne, mais jamais il ne laissera le Québec réaliser un changement de société aussi important que l’indépendance sans réagir. Le mouvement ouvrier et le mouvement social du Reste du Canada sont des alliés avec lesquels nous devons établir des liens afin d’assurer un rempart contre l’intervention de l’État canadien, mais aussi pour la construction d’une nouvelle société qui dépassera le cadre du Québec.

C’est dans cette perspective que nous devons considérer les élections fédérales et les choix qui se présentent à nous.

En manque d’inspiration et sur la défensive à cause de ses décisions concernant SNC Lavalin et l’achat des oléoducs Trans Mountain, Justin Trudeau joue la même carte qui l’avait fait gagner en 2015 en invoquant le vote stratégique contre le NPD pour battre les conservateurs. Afin d’en réduire l’irritant, il avait promis que ce serait la dernière élection sous une forme de scrutin qui ne permet pas de reconnaître le poids et la pluralité des partis. Il promettait une réforme du mode de scrutin une fois élu, on connaît la suite.

Aujourd’hui, non seulement il joue sur le même terrain après avoir renié sa promesse électorale, mais il tient des discours différents selon l’auditoire auquel il s’adresse. Lors de son passage à Windsor il a brandi la menace de pertes d’emplois avec la promesse du NPD de renégocier les termes de l’Accord Canada États-Unis Mexique(ACEUM). Il vante ainsi en Ontario le fait d’avoir protégé l’industrie automobile mais ne parle pas qu’il a sacrifié du même souffle l’industrie laitière au Québec.

En vertu de l’Accord économique et commercial global et au Partenariat Trans pacifique l’industrie du fromage québécois avait déjà perdu une part importante du marché au profit de l’Europe alors que l’industrie bovine de l’ouest avait été protégée. Avec les 3,59% du marché du lait c’est au total une perte de 8% à 10% au Québec. [1] Les compensations financières que Trudeau avait annoncées n’ont pas encore vu le jour, mais même si c’était le cas elles seront toujours sujettes à être réévaluées ou éliminées et n’auront que peu d’impact face à la perte de marché qui elle, aura un impact structurel permanent.

Conscient de l’effet que l’appel de Trudeau au vote stratégique pour barrer la voie aux conservateurs peut avoir sur la base électorale du NPD, Jagmeet Singh a avancé l’idée d’un éventuel appui aux Libéraux dans un gouvernement de coalition sous certaines conditions afin de démontrer l’importance de voter pour son parti. Mais cela tient la route seulement sous un gouvernement minoritaire.

De façon générale le NPD est le parti qui possède les meilleures politiques. Il a appuyé l’assurance-médicaments pendant des années. Il s’est engagé à mettre fin aux subventions aux combustibles fossiles et à prendre d’autres mesures pour ralentir les changements climatiques. Il propose une modeste augmentation des taxes sur les super-riches et rendra l’enseignement universitaire plus abordable. [2]

Son problème est qu’il est confiné à une gestion de réformes et ne vise pas un changement social en profondeur. Les différents gouvernements provinciaux ont de façon générale fait la démonstration de ses limites et révélé les contradictions régionales par rapport aux politiques du parti sur des questions importantes comme l’énergie fossile en Alberta et en Colombie-Britannique.

Le NPD est aussi coincé entre son incompréhension du rôle de l’indépendance du Québec comme élément moteur de changement social et son respect du droit à l’autodétermination. La question du Québec a souvent été fragile pour le NPD, Mulcair en a fait les frais lors de la dernière élection lorsque Duceppe avait malicieusement brandi le Niqab comme épouvantail contre lui. Ainsi Jagmeet Singh a péché par excès de prudence lors du débat des chefs envers Yves-François Blanchet alors qu’il aurait dû le questionner et le mettre au défi de se départir de ses trois candidates et de son candidat qui ont tenu des propos islamophobes.

Le chef du Bloc québécois a ainsi bénéficié d’un passage facile alors que cette question s’imposait. Un parti qui se respecte n’a pas le droit de considérer cette question avec autant de légèreté que l’a fait Yves-François Blanchet. Une personne candidate qui tient des propos haineux et islamophobes c’est de trop mais ça peut être considéré comme une erreur dans un parti politique. Deux c’est inquiétant, quatre ça révèle une tendance. Le chef du Bloc s’est en effet collé au discours de Legault sur la laïcité d’exclusion dont il s’est fait le porte étendard au niveau fédéral et Duceppe avant lui avait utilisé la même stratégie il y a quatre ans.

Blanchet a dit que c’est à la population de juger de leur valeur lors du vote. C’est irresponsable de la part d’un chef de parti de s’en laver ainsi les mains. Ce ne sont pas les quatre personnes candidates qui doivent être jugées lors du scrutin mais le parti qui les endosse. Comme je l’ai mentionné dans le précédent article, [3] le Bloc fait d’une part la démonstration que le fédéralisme fonctionne et sert d’autre part de repoussoir envers le mouvement populaire du Reste du Canada en défendant les mêmes politiques néolibérales que Legault.

Le Parti Vert quant à lui, loin de proposer le changement nécessaire pour mettre au pas les banques et les corporations responsables de la détérioration de l’environnement mais également de l’accroissement de la concentration de la richesse et de l’appauvrissement de la population, le Parti Vert entend consolider l’État canadien et améliorer le fonctionnement des entreprises.

« Il ne fait aucun doute que nos sociétés se doivent d’être plus compétitives et plus responsables, mais notre gouvernement doit également créer le cadre juridique susceptible de concrétiser cette vision. Nous reconnaissons que les Canadiennes et les Canadiens souhaitent éprouver de la fierté pour les sociétés qui les représentent à l’étranger, et nous prendrons des mesures pratiques et équilibrées pour faire en sorte que les sociétés canadiennes soient des chefs de file à l’échelle de la planète. » [4]

La construction d’un réseau militant canadien, québécois et premières nations demeure plus que jamais une tâche essentielle dans une perspective de développement d’un instrument politique pancanadien anticapitaliste et en appui à la souveraineté du Québec. En termes d’alternatives immédiates cependant le seul vote possible demeure celui du NPD.


[1Raymond Bachand, négociateur en chef pour le Québec dans le dossier de l’AEUMC, AEUMC : Trudeau et Legault s’engagent à appuyer les producteurs de lait, La Presse canadienne, publié le 4 octobre 2018

[2Une nouvelle politique s’impose : Une gauche forte est la meilleure réponse pour la droite. Publié le 6 octobre 2019, Socialist Alternative (Canada)

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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