A l’heure où s’écrit cet article, l’Italie reste sans nouveau gouvernement, trois semaines après les élections. Mais les parallèles avec la situation grecque de mai-juin 2012 ne sont pas opportuns.
D’abord, après une première réaction de panique au lendemain du vote, les investisseurs financiers ont retrouvé leur calme. Le trésor italien a pu vendre de la dette à des taux en légère hausse seulement. Aucun effet de contagion sur la dette publique espagnole n’est perceptible pour le moment. Mieux, pour les dirigeants européens, l’Irlande a fait un come-back assez spectaculaire sur les marchés financiers. Mercredi 13, pour la première fois depuis novembre 2010, le trésor irlandais a réussi à vendre de la dette, et ce à des taux inférieurs à ceux de l’Italie ou de l’Espagne.
Grillo n’est pas Syriza
Ensuite, le phénomène Grillo a peu de choses à voir avec le phénomène Syriza. L’Italie n’a pas du tout connu les secousses sociales et ouvrières qui rythment depuis trois ans la vie politique grecque. Les deux principales coalitions, malgré les très grandes pertes en nombre de voix enregistrées à cette élection par rapport à celle de 2008 (au total quelques 11 millions de voix), ne se sont pas effondré comme l’ont fait en mai 2012 le centre-gauche et le centre-droit grecs. En tout, les partis qui soutenaient le gouvernement Monti ont recueilli presque 70 % des voix.
Le mouvement cinq étoiles lui-même a très peu de choses à voir avec Syriza. Ce mouvement n’est pas un courant issu du mouvement ouvrier. La sociologie de ses membres et de ses élus est assez parlante : il s’agit du mouvement italien avec le plus de diplômés ainsi que le plus de jeunes. Ses principales revendications reflètent d’ailleurs sa sociologie : moralisation et réduction du coût de la vie politique, généralisation de l’utilisation d’internet dans les administrations et la vie publiques, une loi contre les conflits d’intérêt dans les entreprises et une attitude de gestionnaire « responsable » des deniers publics en lien avec une sensibilité écologiste. Sa critique de l’austérité n’a pas été l’élément de différenciation avec les autres forces politiques. Le centre-gauche aussi a plaidé pour un assouplissement de la rigueur, et si Berlusconi a réussi à faire un retour important, c’est en partie grâce à sa promesse de remboursement de la taxe d’habitation introduite par Monti. Le mouvement participe déjà dans des exécutifs locaux (il contrôle la mairie de Parme et participe à l’exécutif régional en Sicile).
Le phénomène n’est pas si différent que cela du phénomène Renzi, le jeune maire de Florence qui a disputé les primaires du Parti Démocrate (centre-gauche) avec une orientation libérale. Tous les deux expriment le rejet grandissant et écrasant chez les jeunes italiens du personnel et du système politique mis en place au début des années 90. Alors que Renzi est l’expression mainstream de ce rejet, Grillo y rajoute une forte dose de populisme. Son refus de participer à un gouvernement mené par le PD est motivé par l’analyse selon laquelle un retour aux urnes lui profiterait. Les derniers sondages le confirment et montrent que le principal perdant serait Berlusconi. Nous sommes sans doute à un début de recomposition du paysage partisan en Italie dont la prochaine étape pourrait bien être l’implosion du parti berlusconien, surtout après les condamnations prononcées ou attendues contre le Cavaliere.
Le pari chypriote des européens
Si quelque chose risque de déstabiliser la zone euro dans les jours qui viennent, c’est plutôt le sauvetage des banques chypriotes décidé dans la nuit du vendredi au samedi 15 et 16 mars. Le sauvetage prévoit notamment de mettre à contribution les dépôts bancaires, y compris ceux en dessous de 100 000 euros, alors même que l’état garantit ces sommes en cas de faillite bancaire.
Le sauvetage chypriote avait été ajourné pendant plusieurs mois, le temps que les élections présidentielles de fin février permettent l’éviction du président communiste et l’arrivée au pouvoir du leader de la droite. Plus fondamentalement, pour qu’un accord soit possible, l’Allemagne et le FMI posaient comme condition de prendre des mesures contre le blanchiment d’argent, de mettre à contribution les gros épargnants et de relever l’impôt sur les sociétés (le plus bas dans la zone euro à 10 %). En fait, depuis une quinzaine d’années, Chypre est devenue une place financière off-shore au service de la mafia russe qui blanchit son argent sale en le faisant transiter par l’île. Sur les 70 milliards de dépôts bancaires, on estime à 30 % la part de l’argent russe. Le sauvetage chypriote est, entre autres, un bras de fer entre l’Europe et la Russie.
Les européens et le FMI étaient prêts à ce que la mise à contribution ne frappe que les gros épargnants. Mais le gouvernement chypriote, craignant de faire fuir les mafieux, a voulu les protéger en frappant aussi les petits épargnants. A l’heure où cet article est achevé, une renégociation est en cours pour alléger le fardeau supporté par les petits épargnants.
Le pari des Européens comporte un certain risque. Frapper les dépôts bancaires risque de semer à nouveau le trouble chez les investisseurs financiers mais aussi chez les épargnants des pays du sud de l’Europe. Cela pourrait renverser la tendance au retour de la confiance aux banques de ces pays (voir numéro 223 de solidaritéS). Mais la petite taille de l’économie chypriote et son caractère particulier de place off-shore de la mafia russe signifient probablement qu’il n’y aura pas de contagion.
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° 225 (20/03/2013). http://www.solidarites.ch/journal/