Tiré d’Agence médias Palestine.
En mars 2024, la principale initiative mondiale de surveillance de la sécurité alimentaire, l’IPC (Integrated Food Security Phase Classification) a averti que la famine était imminente à Gaza.
Aujourd’hui, près d’un demi-million de Palestiniens sont confrontés à une famine catastrophique, le reste de la population du territoire se trouvant en état de crise ou d’urgence.Des enfants, des personnes âgées et des malades, mais aussi des personnes qui étaient autrefois en bonne santé, meurent chaque jour de malnutrition, de déshydratation et de maladies qui pourraient être évitées.
Les bébés naissent dans un monde de précarité et de famine.
Il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle. C’est le résultat brutal de la violence orchestrée et de l’apathie collective mondiale. La famine à Gaza n’est pas un dommage collatéral, mais plutôt la conséquence intentionnelle des politiques conçues par le gouvernement israélien pour maximiser la souffrance et la mort.
L’utilisation de la nourriture et de l’aide humanitaire comme arme est depuis longtemps un pilier de la stratégie militaire d’Israël à Gaza et dans toute la Palestine occupée.
Depuis qu’Israël a imposé son blocus sur Gaza il y a 17 ans, les Palestiniens vivent sous un régime de contrôle total qui étouffe leur économie, paralyse leurs infrastructures et restreint la circulation des personnes et des biens.
En 2012, le gouvernement israélien a dû rendre public un document rédigé en 2008, qui révélait que son ministère de la Défense avait calculé l’apport calorique minimum nécessaire pour éviter la malnutrition tout en continuant à restreindre autant que possible l’accès à la nourriture. Comme l’a déclaré un haut responsable israélien en 2006, Gaza devait être maintenue « au régime ».
Des restrictions opaques
Depuis plus d’une décennie, les organisations de défense des droits humains et les experts indépendants de l’ONU ont condamné à plusieurs reprises ce blocus, le qualifiant de punition collective. Mais en l’absence de répercussions concrètes, les gouvernements israéliens successifs ont continué à renforcer et à étendre cette pratique de privation orchestrée.
Le refus systématique, le retard et la destruction de l’eau, de la nourriture, des fournitures médicales et des abris sont devenus les caractéristiques déterminantes de cette politique ; même les équipements de purification de l’eau, les béquilles et l’insuline ont été bloqués en raison des restrictions injustifiables et opaques d’Israël en matière de « double usage ».
Les prestataires de services publics palestiniens, les réseaux de la société civile et les organisations humanitaires se trouvent dans l’incapacité de répondre aux besoins les plus élémentaires des Palestiniens vivant à Gaza. Ces derniers mois, alors qu’Israël intensifiait son offensive, ce blocus s’est transformé en un siège à part entière.
Les conséquences inévitables de cette stratégie délibérée ont été catastrophiques. Des experts indépendants de l’ONU ont déclaré à la mi-2024 que la famine s’était propagée dans toute la bande de Gaza.
Des enfants et des personnes âgées meurent de faim et de déshydratation, tandis que l’Organisation mondiale de la santé a averti que la famine à Gaza menace de freiner de manière permanente la croissance et le développement cognitif de toute une génération d’enfants.
Au milieu de cette crise qui s’aggrave, la manipulation de l’aide dite humanitaire s’accélère. Au printemps 2024, les États-Unis ont construit un « quai humanitaire » au large des côtes de Gaza. Les Palestiniens ont exprimé leur scepticisme, craignant que ce quai ne serve à masquer des opérations militaires, tandis que les organisations humanitaires ont fait valoir que sa construction ne faisait que détourner l’attention de l’obstruction délibérée par Israël de tous les points de passage terrestres existants.
Au mois de juin, la zone entourant ce quai a été utilisée lors d’un raid israélien contre le camp de réfugiés de Nuseirat, déguisé en mission humanitaire. Près de 300 Palestiniens ont été tués et près de 700 autres blessés.
Les experts des droits de l’homme de l’ONU ont qualifié cette attaque d’exemple de barbarie sans précédent. Pourtant, aucune répercussion significative n’a été dirigée contre Israël ou son allié américain.
Les acteurs humanitaires établis ont été maintes fois discrédités, notamment l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), ce qui constitue une autre tactique dans cette guerre d’usure.
L’UNRWA joue depuis longtemps un rôle central dans la distribution de l’aide et la fourniture de services essentiels dans toute la bande de Gaza. Mais ces derniers mois, elle a fait l’objet d’une campagne de désinformation intensifiée, qui a conduit à des attaques directes contre son personnel, au retrait de financements et à une interdiction imposée par la Knesset israélienne, une mesure à la fois illégale et sans précédent dans l’histoire de l’ONU.
« Affamer pour soumettre »
Cet affaiblissement des infrastructures civiles et humanitaires à un moment où les besoins sont extrêmement élevés a encore isolé la population palestinienne de Gaza, renforçant sa dépendance à l’égard de programmes d’aide contrôlés de l’extérieur et largement irresponsables.
Le dernier programme en date d’Israël est la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), nouvellement créée et soutenue par Tel-Aviv et Washington. La GHF a été créée pour superviser la distribution de l’aide dans toute la bande de Gaza, dans le but de mettre à l’écart toutes les structures existantes, y compris l’ONU. Un ancien porte-parole de l’UNRWA a condamné cette initiative, la qualifiant d’« aide humanitaire de façade », une stratégie visant à masquer la réalité, à savoir « affamer la population pour la soumettre ».
Selon la proposition de la GHF, les plus de deux millions d’habitants de Gaza seraient contraints de se procurer de la nourriture dans l’un des quatre « sites de distribution sécurisés ». Aucun des sites proposés n’est situé dans le nord de Gaza, une région qu’Israël a attaquée et occupée dans le but de procéder à un nettoyage ethnique, ce qui signifie que les personnes qui y vivent encore seront contraintes de fuir vers le sud pour accéder à l’aide vitale. La privation de l’aide humanitaire comme moyen de transfert forcé d’une population est reconnue comme un crime contre l’humanité.
L’annonce officielle du GHF ne fait aucune mention des attaques répétées d’Israël contre des centres de distribution alimentaire, des boulangeries et des convois humanitaires, qui ont causé la mort de centaines de Palestiniens qui tentaient de nourrir leur famille, ni de l’obstruction délibérée par Israël du système humanitaire existant.
Cette forme de contrôle de l’aide renforce le siège plutôt que de l’alléger. Des solutions inhumaines et inadéquates, telles que les largages aériens de vivres ou les colis alimentaires conditionnés, ne font guère plus que maintenir l’illusion d’une préoccupation humanitaire, tandis que la violence génocidaire et le nettoyage ethnique se poursuivent. Les auteurs de ces privations se posent en sauveurs, tout en continuant à affamer une population pour la pousser au déplacement et à la soumission.
Il ne s’agit pas d’une critique marginale : le coordinateur des secours d’urgence de l’ONU, Tom Fletcher, a qualifié les plans présentés par le GHF de « feuille de vigne pour justifier davantage de violence et de déplacements ».
Malgré la décision rendue en janvier 2024 par la Cour internationale de justice, qui exigeait la protection immédiate des civils à Gaza et la fourniture généralisée d’une aide humanitaire, la situation a continué de se détériorer rapidement. Une enquête menée en janvier 2025 auprès de 35 organisations humanitaires travaillant à Gaza a révélé un consensus écrasant : 100 % d’entre elles ont déclaré que l’approche adoptée par Israël était inefficace, inadéquate ou avait systématiquement entravé l’acheminement de l’aide.
L’incapacité de la communauté internationale à agir de manière décisive a permis cette crise prévisible – non pas une crise humanitaire, mais une crise politique marquée par l’apathie, l’indifférence et l’impunité. Les avertissements concernant la malnutrition massive et l’effondrement des infrastructures sanitaires et sociales de Gaza ont été ignorés pendant des années. Que la famine frappe aujourd’hui une population qui a été systématiquement privée de nourriture ne devrait surprendre personne.
L’utilisation de l’aide et de la nourriture comme armes à Gaza n’est pas un accident tragique. C’est le résultat prévisible – et prévu – d’un siège destiné à contrôler et à déplacer la population. L’incapacité des États et des organismes multinationaux à mettre fin à ce processus n’est pas simplement le résultat d’un environnement politique complexe, c’est un échec de la volonté, de la responsabilité et de la gouvernance mondiale.
Les détracteurs du GHF et des derniers plans d’Israël visant à mener un nettoyage ethnique sous couvert d’aide humanitaire doivent reconnaître la longue histoire de l’occupant en matière d’instrumentalisation et de militarisation de l’aide. Nous pourrons ainsi nous détourner des efforts réformistes visant à garantir une apparence de conduite humanitaire prétendument éthique et dénoncer l’ensemble des moyens utilisés par Israël pour créer une dépendance à l’aide depuis des décennies, dans le seul but de manipuler le système humanitaire comme pilier central de ses ambitions coloniales plus larges.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Amira Nimerawi est PDG de Health Workers 4 Palestine (HW4P) et spécialiste de l’impact des programmes au sein de la Palestinian Medical Relief Society (PMRS), spécialisée dans les programmes de soins d’urgence et de santé sexuelle en Palestine.
Sara el-Solh est médecin et anthropologue. Elle travaille à l’échelle nationale et internationale sur diverses questions de santé publique, notamment la migration, la justice climatique et l’accès aux soins de santé.
James Smith est maître de conférences en politique et pratique humanitaires à l’UCL et médecin urgentiste basé à Londres. Il a travaillé à Gaza entre décembre 2023 et janvier 2024, puis d’avril à juin 2024.
Mads Gilbert est un médecin urgentiste norvégien qui se rend régulièrement dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban, en Cisjordanie occupée et à Gaza depuis 1982.
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Middle East Eye
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