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Europe

Grève du secteur public en Grande-Bretagne : 2 millions de grévistes et des centaines de milliers de manifestant-e-s au coeur de Londres

DEMOCRACY NOW.ORG, 30 novembre 2011

traduction Alexandra Cyr

DN ! Aujourd’hui, (30-11-11) deux millions de travailleurs et travailleuses de la Grande Bretagne, défilent dans les rues dans une des manifestations les plus importantes depuis une génération. Des instituteurs-trices, des employéEs d’hôpitaux, des éboueurs-euses, des pompiers-ères, et des membres de la garde côtière participent à une grève de 24 heures. Une coalition de 30 organisations syndicales ont réussi à mettre en marche environ mille manifestations dans tout le pays. Des piquets de grève s’installeront autour des hôpitaux tout au cours de la journée. Lundi, (28-11-11) les compagnies aériennes annulaient les vols vers l’aéroport de Heathrow, le plus achalandé d’Europe, par crainte de trop longs délais causés par la grève. Les employéEs de cet aéroport font partie des deux millions de grévistes qui protestent contre les réformes mises de l’avant par le gouvernement Conservateur. Ces réformes visent à augmenter les contributions des travailleurs-euses à leur régime de pension et à allonger la période de travail pour avoir droit à une pleine pension.

Paul Cottrell du syndicat de secteur universitaire et collégial nous explique pourquoi il soutient cette grève : « Il faut savoir que cette main-d’œuvre a déjà contribué significativement (au redressement des finances publiques). Par exemple, la plupart subissent des gels de salaires depuis bon nombre d’années alors que le coût de la vie augmente toujours. Ceux et celles qui considèrent que tous et toutes doivent contribuer, le secteur privé, et les riches de la société comme le secteur public, devraient considérer que ce dernier a déjà donné. Nous pensons que nos membres en ont fait assez ».

DN ! Amy Goodman, pendant ce temps, le Premier ministre, David Cameron, a condamné la grève et invité les syndicats à poursuivre les négociations sur les retraites jusqu’à la fin décembre tel que prévu. La coalition conservatrice a aussi déclaré que les réformes sont nécessaires puisque la longévité augmente et que les plans actuels ne sont plus adaptés à la nouvelle situation. Hier, le gouvernement a annoncé un nouveau train de mesures d’austérité. Le ministre des finances, M. George Osborne a annoncé que les augmentations de salaires dans le secteur public ne seraient que de 1% à partir de 2013 ; cela s’ajoute au gel qui court depuis deux ans maintenant. Le nombre de chômeurs-euses devrait atteindre les 710,000 alors que les prévisions antérieures s’établissaient à 400,000.

Pour en savoir plus nous nous entretenons maintenant avec Richard Seymour un des bloguistes les plus populaires en Grande-Bretagne. (…)
Parlez-nous de la signification de cette massive protestation,


R.Seymour : Avant tout il faut se dire qu’en Grande-Bretagne les choses ne se passent pas comme sur le continent. La grève n’est aussi courante ici qu’en France ou qu’en Grèce. Cette grève est la plus importante dans ce pays depuis 1926 et c’était une grève générale à l’époque. Cela veut dire qu’elle va avoir un effet politique bien plus important au Royaume Uni qu’elle n’aurait ailleurs. Il faut aussi dire que depuis un an les choses ont changé. Si vous vous reportez à l’été 2010, vous vous rendez compte que l’humeur des syndicalistes était sombre. Ils avaient invité David Cameron à s’adresser au congrès des centrales. Personne ne parlait de grandes grèves.

Mais l’invitation à David Cameron faisait fi de l’indignation des membres de la base. Le congrès et les directions syndicales se sont trouvés en mauvaise posture, sous pression et mises en demeure de prévoir une riposte aux coupes annoncées. En octobre, je pense, l’idée d’une manifestation en mars a été avancée ; une grande manif. syndicale pour le 26 mars. Ça a été reçu comme « trop peu trop tard ».

Entre temps, il y a eu le mouvement étudiant (contre les frais de scolarité) qui a surgit de nulle part. Il est parti comme une fusée. Ça a fait une énorme différence dans les débats à l’intérieur des syndicats. La protestation étudiante a mis fin au pessimisme et au désespoir que les gens ordinaires ressentaient à l’idée que personne ne pouvait rien contre les coupes budgétaires. Ça a donné la manifestation syndicale actuelle, une des plus grandes de l’histoire britannique. Elle représentante tous les secteurs de la classe ouvrière du pays.

Quand les leaders syndicaux, comme Mark Serwotka du syndicat des services publics à déclaré : « si nous pouvons marcher ensemble, faire la grève ensemble… » la foule a écouté et applaudit. Je crois que son discours a été le plus populaire de la journée. C’était la base nécessaire pour qu’une telle action de grève se passe aujourd’hui.

Le 30 juin dernier, des syndicats plus petits et plus militants qui ne sont pas membres du parti Travailliste, ont mené un mouvement de grève important et avec succès. Cela avait mis de la pression sur les plus grands syndicats, membres du parti et donc moins enclins à passer à l’action. C’est aussi ce qui a mené à la journée d’aujourd’hui et cela fait parti de sa signification.

Par ailleurs, il faut dire que le gouvernement n’a jamais vraiment négocié. Il a affiché une remarquable insouciance devant une possibilité d’opposition sérieuse (à ses politiques). Vous avez parlé de l’escalade des mesures d’austérité proposées. En plus des baisses de salaires, il présente une réforme fondamentale de leur régime de négociation en le liant aux conditions du marché régional de l’emploi. Cela veut dire que, par exemple, les salaires seraient différents selon que vous travaillez à Manchester ou à Londres. Cette manœuvre est clairement mise de l’avant pour faciliter celles du secteur privé, qui en ce moment, prétend que le niveau de salaire dans son secteur est lié à celui du secteur public. C’est un changement majeur dans l’économie du pays. En toute honnêteté, je dois dire que la dernière fois où un tel virage a eu lieu, c’était lors de l’administration Thatcher. Pourtant elle était bien plus consciente des provocations que cela constituaient pour ses opposants. Devant cette menace, elle avait adopté une stratégie d’attaque par petites tranches. Elle s’est d’abord attaquée aux plus petits syndicats plutôt faibles et seulement ensuite aux plus forts, reconnus comme le gros bataillon du mouvement ouvrier. Ce n’est qu’après cela qu’elle a affronté les mineurs et les travailleurs du secteur de l’imprimerie et a fini par les écraser.
Le gouvernement actuel ne semble pas enclin à prendre quelques précautions que ce soit dans ses rapports avec les représentantEs syndicaux. Il va sans doute afficher une belle arrogance.

DN ! Pouvez-vous nous parler des effets de cette grève sur les positions du parti Travailliste ? (…)

R.S. D’abord il faut dire que jamais le parti, du moins sa direction, n’a soutenu les grèves. Il serait donc plutôt étrange qu’il commence à le faire maintenant. Toutefois, il faut noter qu’il a changé de ton. Lors de la réunion où M. Ed Milliband a été élu à la direction il a fait tout un brouhaha en disant que le public ne soutiendrait pas de grève et qu’il ne voulait le déranger avec une telle orientation. Récemment l’histoire a pris une toute autre tournure. Une figure emblématique du mouvement syndical, M. Alan Johnson, appartenant à l’aile droite du parti Travailliste, plutôt blairiste, qui a déjà été ministre, a déclaré publiquement que les syndicats ont tous les droits de s’opposer aux politiques actuelles. Si de telles mesures n’appellent pas une grève qu’est-ce donc qui le fera ? M. Ed Balls, chancelier dans le cabinet fantôme, s’est senti obligé d’exprimer une chaude sympathie envers les grévistes dans une entrevue dans l’Independent, dimanche. Quand à Ed Miliband, il est resté assez neutre en appelant les deux parties à retourner aux tables de négociations. Tout en disant que les grèves sont le signe d’échecs et qu’il ne pourrait jamais en soutenir une, il a en fait dit un peu le contraire. Il n’a pas tant blâmé les grévistes que le gouvernement en le tenant responsable de la situation.

Le problème du parti Travailliste c’est que ses dirigeantEs savent très bien que s’ils et elles étaient au pouvoir ce serait pour appliquer la même politique. Ce parti n’a pas d’alternative à celle du parti Conservateur. Ils pensent la même chose : il faut faire des coupes pour diminuer le déficit et ainsi rassurer le secteur financier. Il faut privatiser à rythme plus soutenu, diminuer les dépenses publiques de manière systématique et structurelle. Donc, avec de telles conviction, difficile de s’opposer et de critiquer le parti au pouvoir. La seule critique qu’il a avancée porte sur la manière de négocier des Conservateurs. Il a prétendu que s’il était au pouvoir, il arriverait à de meilleures ententes, plus solides qui éviteraient les grèves. Essentiellement, la différence serait mince. Donc il est en position de faiblesse ; il lui est impossible de profiter de la large insatisfaction de la population devant les politiques conservatrices actuelles.

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