Édition du 26 mars 2024

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Libre-échange

Il faut parler de l’ALENA

L’été est peut-être une période tranquille du point de vue de l’actualité, le sensationnalisme ne prend malheureusement jamais de vacances. L’épisode des demandeurs d’asile haïtiens nous l’a rappelé avec force. Ce flux de migrants est rapidement apparu à plusieurs comme une entrée illégale d’envahisseurs venus assimiler en masse les Québécois et les Québécoises.

Tiré du site de l’IRIS.

Plusieurs ont déjà pris la peine de rappeler que ce type d’immigration n’était pas illégale, bien qu’irrégulière. Soulignons aussi que le nombre de personnes ayant traversé la frontière à pied cet été reste très faible, et que, par les années passées, moins de la moitié des demandeurs d’asile ont effectivement obtenu le statut de réfugié. Nombreux sont donc ceux et celles qui devront reprendre le chemin de la maison, avec toutes les incertitudes et l’insécurité que cela implique.

Si le phénomène des migrants est réel et soulève un ensemble de défis pour les gouvernements, il devrait avoir très peu d’impact sur le quotidien de la population. En revanche, la réalité des demandeurs d’asile est parsemée d’embûches, et des démonstrations de solidarité seraient plus à propos en de telles circonstances que des parades aux relents franchement nauséabonds – tout aussi ordonnées soient-elles.

Une situation qui, en revanche, risque d’avoir des conséquences importantes pour de nombreuses personnes, entreprises et collectivités au pays et dans la province, est la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Lancée le 18 mai et ayant débuté mercredi dernier aux États-Unis, celle-ci a provoqué beaucoup moins d’émoi au sein de la population – pour ne pas dire aucun – en plus de recevoir beaucoup moins d’attention médiatique.

Le président Donald Trump poursuit l’objectif, jugé absurde par plusieurs experts, de résorber le déficit commercial des États-Unis envers ses partenaires canadien et mexicain. Pour y parvenir, il souhaite entre autres, modifier l’accord en vue de faciliter l’accès des entreprises américaines au marché canadien des télécommunications, mais aussi au secteur de la production laitière, qui est protégé par un système de gestion de l’offre, et au secteur automobile, où des quotas assurent aux entreprises canadiennes une part du marché.

Le Canada, tout en demeurant discret quant à ses intentions, a tout de même affirmé qu’il défendrait le système de gestion de l’offre, en plus de militer pour le maintien du mécanisme de règlement des différends contenu dans l’accord, qui lui a beaucoup servi dans le dossier du bois d’œuvre. Le gouvernement Trudeau a en outre dit adopter une « approche progressiste » dans cette négociation, en ce sens qu’il entend proposer des mesures afin de protéger les droits des travailleurs et des travailleuses, de même que des mesures de protection de l’environnement.

Or, si l’on en juge l’avis de certains experts, le Canada aurait les moyens d’être exigeant face aux États-Unis, puisqu’il n’y a pas de menace réelle pour l’économie du pays advenant une disparition de l’accord. Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) publiait en juin dernier une étude dans laquelle les auteurs, l’économiste Pierre Laliberté et le spécialiste en commerce international Scott Sinclair, évaluent l’impact d’une telle disparition. Si une telle éventualité aurait des répercussions financières certaines, elle n’entraînerait pas en revanche de cataclysme économique. En appliquant les tarifs déjà prévus par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT de son acronyme anglais), le CCPA calcule que pour 2016, les tarifs sur les exportations canadiennes vers les États-Unis n’auraient augmenté que de 4,2 milliards de dollars, ce qui représente 1,5 % de la valeur des exportations, qui s’élevait à 279 milliards de dollars cette année-là.

Même son de cloche du côté du Fonds monétaire international (FMI). L’économiste Andrew Jackson faisait état sur le Progressive Economics Forum d’un rapport publié en juillet dernier et dans lequel le FMI estime qu’advenant une hausse de 2,1 % des tarifs imposés par les États-Unis sur les importations canadiennes, le PIB reculerait d’abord de 0,4 %. Or, la dépréciation du dollar canadien qui en découlerait stimulerait à nouveau l’activité économique, contrecarrant ainsi l’impact négatif du retour aux règles prévues par le GATT.

Ces analyses nous font dire que le Canada est en bonne position pour renégocier un accord à son avantage, mais surtout qui protégerait les travailleurs et les travailleuses canadiens. Après tout, il est loin d’être évident que l’ALENA a été bénéfique pour la population canadienne. Le gouvernement Trudeau pourrait par exemple renoncer à sa volonté de libéraliser davantage les marchés publics afin de protéger les citoyens et les citoyennes en maintenant les services publics à l’abri des velléités des entreprises privées.

Si le gouvernement fédéral est sincère dans sa volonté de doter le Canada d’accords de libre-échange « progressistes », alors il doit reprendre ses droits en matière économique. Car comme le soulignait l’économiste Jim Stanford, cette réouverture de l’ALENA est bien la preuve qu’« il n’y a rien de naturel ou de permanent à propos de l’économie », et que ce sont des décisions politiques qui en déterminent les grandes orientations. À cet égard, la croissance économique ne peut être l’objectif principal de sa politique, tandis qu’il doit à tout prix faire de la lutte contre les inégalités, ainsi que de la transition vers une économie non dépendante des énergies fossiles, deux de ses chevaux de bataille prioritaires.

Julia Posca

Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS

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