Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Inde. Les élections dans cinq États : une indication pour une alternative au BJP ?

Les résultats des élections législatives du 2 mai 2021 dans cinq États – le Bengale-Occidental, l’Assam, le territoire du Puducherry (Pondichéry), le Tamil Nadu et le Kerala – ont une signification politique qui dépasse leur contexte électoral immédiat et les frontières de chaque État. Les alliances du Trinamool Congress (TMC-Parti politique fondé le 1er janvier 1998 par d’anciens membres du Congrès national indien), du Dravida Munnetra Kazhagam (DMK- Fédération dravidienne du progrès, implantée dans le Tamil Nadu et le territoire du Pondichéry) et du Left Democratic Front (LDF-alliance de partis de centre-gauche et de gauche dans le Kerala) ont enregistré des victoires retentissantes dans trois États. Le Bharatiya Janata Party (BJP) n’a réussi à conserver qu’un seul État (Assam), n’a pas été en mesure de gagner substantiellement sur le terrain électoral face à un parti régional puissant ou à une combinaison de partis. Cela a mis un terme à l’ambitieuse quête d’hégémonie électorale et politique du BJP.

Tiré de À l’encontre.

Plus important encore, la campagne électorale des partis régionaux a vu une reformulation des discours et un réalignement des slogans. Ces récits restructurés se sont avérés efficaces face à la mobilisation électorale du BJP qui était basée sur une combinaison de questions panindiennes lancées par la direction centrale, d’une part, et, d’autre part, sur le terrain communautaire. Comme le montrent les résultats des élections, cette stratégie s’est avérée moins efficace contre les partis qui utilisaient à la fois l’identité culturelle régionale et une promesse de bonne gouvernance pour s’assurer un succès électoral. Cet accroissement de l’espace politique de l’opposition pose la question de l’alternative au BJP au niveau national, ce qui incite des forces d’opposition à se rassembler. Toutefois, dans le contexte d’un déclin de l’audience du parti du Congrès lors de ces élections, il reste à voir quelles possibilités l’avenir nous réserve.

Les élections législatives qui ont eu lieu dans l’ombre de la crise sanitaire du Covid-19 soulignent le caractère fédéral de la politique indienne et semblent remettre en question la tendance croissante de la part du BJP à la centralisation du gouvernement de l’Union. Par exemple, avec l’invocation de la Disaster Management Act, 2005 (destinée aux catastrophes naturelles) pendant le confinement de l’année dernière, un super-exécutif a émergé qui a contourné la surveillance fédérale (des États) sur la santé publique. Cela a abouti à ce que les gouvernements des États réduisent leur rôle décisionnel, tout en les laissant faire face aux retombées économiques et à la crise des travailleurs et travailleuses migrants. Cette situation s’inscrit dans un contexte de baisse des recettes de la taxe sur les produits et services (une sorte de TVA élargie) et de diminution des recettes des États, ce qui a considérablement réduit les dépenses des gouvernements des États et leur marge de manœuvre pour apporter des secours.

Les élections au Kerala et au Tamil Nadu, États durement touchés par la première vague de la pandémie, ont vu les dispositions de santé publique et la réponse économique à la crise des moyens de subsistance devenir des enjeux électoraux. Au Kerala, en particulier, la victoire du LDF (Left Democratic Front) a été attribuée à sa capacité à faire face à la crise du Covid-19. On espère que ces résultats apporteront un nouvel équilibre dans les relations longtemps déséquilibrées entre le centre et l’État, en remettant en question la manière dont le centre a réduit la marge de manœuvre des gouvernements des États en matière de politique, comme en témoigne la dernière poussée de contre-réformes néolibérales du gouvernement de l’Union dans les domaines de l’Etat, tels que l’agriculture et la santé publique.

Les résultats ont également montré que le BJP ne peut plus mener une campagne prenant appui sur les décisions de la Lok Sabha [Chambre du peuple, chambre basse dans le système bicaméral] en se concentrant ainsi sur les questions de niveau national lors des élections dans les États. Les résultats des élections au Bengale-Occidental, où le BJP a réussi à obtenir une part de voix proche de celle qu’il avait obtenue aux élections de 2019 à la Lok Sabha, lui ont tout de même permis de remporter beaucoup moins de sièges qu’il ne l’espérait, mais ont fait en sorte qu’il soit désormais la principale opposition dans l’Etat. Au Kerala, la dynamique du pouvoir, qui est traditionnellement connue pour suivre un modèle où l’un des deux blocs politiques est au pouvoir à chaque mandat alternatif, a rompu avec cette tradition en plaçant le LDF au pouvoir pour un deuxième mandat successif. Ce changement tectonique n’a pas encore eu de répercussions au Kerala, où un rituel politique presque acquis a pris fin après quatre décennies de fronts alternés. Cependant, dans le cas du Tamil Nadu, une tradition similaire a été restaurée, avec le retour au pouvoir du DMK, avec une majorité importante.

Au Bengale-Occidental, le fait que la campagne du BJP se soit concentrée sur la mauvaise gestion du TMC, plutôt que sur la promesse controversée du Citizenship (Amendment) Act-National Register of Citizens (CAA-NRC-amendement modifiant le droit à la citoyenneté, excluant de nombreux musulmans), montre qu’est en baisse l’efficience d’une stratégie électorale uniforme ou homogène fondée sur la polarisation, qui ne tient pas compte de la diversité de la politique des États. Dans le Tamil Nadu, les résultats semblent réaffirmer que la politique dravidienne, bien que dans un moule transformé, semble toujours avoir de l’influence sur la politique de l’Etat, avec la poussée du All India Anna Dravida Munnetra Kazhagam face au BJP pour une alternative, par le biais d’un projet apparemment calculé de discrimination positive (en faveur de minorités) et d’une campagne amoindrie « Hindutva » [un nationalisme hindouiste], qui semble s’être retourné contre le BJP.

Cependant, le tournant politique vers l’identité régionale doit être examiné de manière critique, notamment pour ses connotations indigènes et nativistes au Bengale-Occidental et en Assam. Alors même que le TMC aspire à un rôle national, il convient d’aborder le mécontentement croissant contre la culture du patronage parmi les communautés marginalisées qui réclament le droit aux soins de santé et à l’éducation. En Assam, le passage à une identité de fils du sol a ironiquement profité à un parti national et a fracturé le mandat au niveau sous-régional. Et ce, malgré une campagne agressive contre le CAA-NRC au début de l’année dernière, campagne qui semble s’être à nouveau effondrée face à des calculs plus identitaires et sous-régionaux.

La victoire du TMC, du DMK et des alliances dirigées par la gauche est une occasion importante pour élaborer une alternative nationale cohérente. Les résultats montrent que l’administration du pouvoir au centre ne permet pas de contrôler complètement le récit politique ou de déterminer les points de référence clés de la contestation politique. Il reste à voir si la pandémie de Covid-19 incitera les partis régionaux à trouver un programme commun qui tienne compte de leurs agendas et ambitions politiques divergents, et poussera le parti du Congrès à réexaminer son rôle, notamment en apportant son soutien aux partis régionaux. La réponse mal gérée du gouvernement central à une urgence sanitaire nationale, et sa poussée cynique vers la centralisation de l’exécutif et les contre-réformes néolibérales, a peut-être créé les conditions d’un rassemblement de l’opposition.

Article publié par Economic & Political Weekly en date du 8 mai 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre.

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