Édition du 16 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

L’annexion, même reportée, nous dit la vérité en Israël/Palestine...

L’annexion, même reportée, nous dit la vérité sur la situation en Israël/Palestine
La deadline du 1er juillet est arrivée, elle a été dépassée, et l’annexion n’a pas eu lieu. Mais inutile de célébrer l’événement. L’annexion a été reportée, pas annulée. L’administration Trump est divisée sur certains détails [du plan de Netanyahou] ; les protestations internationales sont plus nombreuses que prévu ; et Israël a replongé dans une crise du coronavirus qui requiert du gouvernement qu’il y consacre toute son attention.

photo et article tirés de NPA 29

L’annexion comme puissant révélateur

Mais, avec un Donald Trump qui chute dans les sondages aux USA, avec même des rumeurs selon lesquelles il pourrait se retirer de l’élection s’il estime qu’il ne peut pas la gagner, le Premier ministre Netanyahou va vouloir lancer le processus d’annexion le plus tôt possible.

Et une fois que le plan sera dans les recueils de lois de la Knesset, en sera-t-il jamais enlevé ? Comme le projet de colonisation [établi à la fin des années 1960], l’annexion avancera mois après mois, année après année, jusqu’à ce qu’un nouveau statut quo soit établi : un apartheid israélien élargi (incluant, en définitive, la vallée du Jourdain), un contrôle sécuritaire total « du fleuve à la mer » [du Jourdain à la Méditerranée], et des bantoustans palestiniens semi-autonomes et déconnectés les uns des autres.

Trump aura été celui qui a rendu cela possible, mais c’est Netanyahou qui profitera de cet héritage politique, et les Palestiniens qui en souffriront.

Un des éléments notables de ces derniers mois est la manière dont la seule perspective de l’annexion a joué un rôle de puissant révélateur de la nature même de la question Israël/ Palestine. On peut dresser un parallèle avec la façon dont le Covid-19 a exposé au grand jour les injustices et les inégalités à travers le monde. Suivent trois exemples de ces vérités que l’annexion a révélées.

L’annexion révèle la réalité des rapports de pouvoir

Bien trop souvent, dans le débat politique, la situation en Israël/Palestine est présentée comme étant un conflit. Un conflit entre deux « parties » ; un conflit entre deux rationalismes concurrents ; un conflit entre démocratie et terrorisme ; ou même un conflit religieux entre le « judéo-christianisme » et l’islam.

On entend en permanence que les deux « parties » devraient « faire la paix » au moyen de « négociations directes », comme si elles avaient un statut équivalent et des ressources équivalentes pour faire valoir leurs arguments. L’annexion nous a montré à quel point ces visions sont fausses. La question Israël/Palestine est une question de pouvoir : qui l’a, qui ne l’a pas.

Seul l’État d’Israël a le pouvoir et les amis puissants lui permettant d’agir unilatéralement pour changer le cours de l’histoire. Les Palestiniens n’ont pas de colonies sur le sol israélien. Les Palestiniens n’ont rien à annexer et n’ont pas de souveraineté qu’ils pourraient « étendre ».

Les Palestiniens n’ont jamais acquis des territoires par la guerre et utilisé ensuite le vol légalisé pour dominer. Le plan de Donald Trump n’est pas le « deal du siècle », ni même une « solution réaliste à deux États », mais un document définitif exigeant la soumission perpétuelle des Palestiniens.

Cette fois, cependant, il n’y a pas de récit cohérent et/ou convaincant, mettant en avant la sécurité d’Israël, pour justifier ce nouveau développement. Il n’y a pas d’armées arabes se regroupant à la frontière. Il n’y a pas de « vipères terroristes » de l’OLP à Beyrouth.

Pas d’attentat suicide à Tel Aviv. Pas de menace du Hezbollah au sud-Liban. Pas de tirs de roquettes du Hamas sur Sderot. Pas de bombes nucléaires dirigées depuis Téhéran. Ce n’est que la stricte mise en œuvre du pouvoir d’un peuple sur un autre, qui expose, aux yeux du monde, la réalité des dynamiques sur le terrain.

Israël est un État qui a la volonté et la capacité d’ignorer le droit international ; la volonté et la capacité de dénier aux Palestiniens leur liberté de mouvement et l’accès à leurs terres ; la volonté et la capacité d’instaurer l’apartheid pour les Palestiniens tout en maintenant la démocratie pour les Juifs.

L’annexion révèle la seule version du sionisme qui compte

Il y a une bonne raison qui explique pourquoi les sionistes modérés (libéraux) se sont sentis aussi préoccupés par le processus d’annexion. Si celui-ci va de l’avant, leur version préférée du sionisme, fondée sur l’idée de deux États pour deux peuples, se verra offrir la sépulture en bonne et due forme dont elle avait besoin depuis un long moment. Et lorsque cela se produira, le sionisme libéral fera faillite.

Ce ne sera pas la première version du sionisme à perdre son sens et sa pertinence. Le sionisme culturel d’Asher Ginsberg a disparu dans les années 1920, à supposer qu’il ait jamais eu des adeptes.

Le sionisme binational de Martin Buber, Judah Magnes et Henrietta Szold n’a jamais su s’imposer.

Le sionisme de David Ben Gourion, consistant en la construction d’un État socialiste, n’a jamais été qu’un socialisme pour les Juifs et n’a pas résisté à la prise du pouvoir par le Likoud en 1977. Le sionisme d’Oslo de Rabin et Pérès fut assassiné par un fanatique juif d’extrême droite et représentait bien moins que ce qu’il n’y apparaissait.

La seule variété de sionisme encore disponible sur le marché est le crédo ethno-nationaliste de Benyamin Netanyahou et des nombreux politiciens qui siègent sur sa droite à la Knesset. L’annexion a révélé le fait que la notion d’un spectre du sionisme (de la gauche à la droite ou de la modération à l’extrémisme) est, en vérité, un mythe ou, au mieux, un vœu pieux.

L’annexion révèle la relation conflictuelle entre Israël, le sionisme et les Juifs de la diaspora
Le débat sur l’annexion en dit beaucoup sur ce qui a toujours semblé étrange et souvent incohérent dans les relations entre Israël et les Juifs vivant dans la diaspora.

Si, comme c’est mon cas, vous avez grandi à la synagogue, au centre communautaire et dans un mouvement de jeunesse juif, on vous a appris et encouragé à considérer qu’Israël est au cœur de votre identité juive. En retour, Israël nous donne, à nous Juifs de la diaspora, un statut privilégié et un « droit au retour » dans notre « foyer ancestral ».

Je ne connais aucun autre pays qui prétend être l’État, non de ses citoyens, mais d’un groupe ethno-religieux. Je ne connais aucun autre groupe de gens qui considère sa relation à un État-nation non seulement d’un point de vue historique et religieux, mais aussi métaphysique, dans toutes ses dimensions et sa complexité. Tout se passe comme si, sans cet État, je ne pouvais, nous ne pourrions exister, et comme si mon identité, notre identité, ne pouvait pleinement s’exprimer.

En à peine soixante-dix ans, une idéologie politico-religieuse, une certaine lecture de l’histoire juive, une certaine vision de l’antisémitisme, ont construit un paradigme profondément émotion-nel qui domine tous les aspects de la vie organisée des Juifs.

Pas besoin de se demander pourquoi nous nous contrarions facilement à propos de la politique d’Israël et de sa réputation dans le monde : nous avons été, depuis le jour où nous sommes nés, hyper-sensibilisés à cet État et à la pensée sioniste qui le sous-tend.

Mais l’annexion fissure le paradigme et fait remonter des vérités qui ont toujours été là si on a été assez courageux pour les regarder. Notre refuge national, notre rédemption nationale, a été construit sur les ruines de l’existence détruite du peuple palestinien. Et avec l’annexion, nous nous apprêtons à entrer dans la phase finale de leur longue et violente dépossession.

Notre projet de salut n’a été possible qu’au moyen d’un colonialisme alimenté par l’exceptionnalisme juif et une application toute particulière du nationalisme européen. Nous ne pouvons défaire cette histoire, mais nous pouvons choisir de nous y confronter. C’est le moment.

La pensée post-annexion

L’épidémie de Covid-19 génère beaucoup de réflexion, aux quatre coins du monde, quant à nos valeurs et à nos priorités. Nous sommes submergés par la pensée post-épidémie. Notre toléran-ce vis-à-vis de la pauvreté, du racisme, de l’injustice et des inégalités, s’est amoindrie au cours des derniers mois.

Ce mouvement de pensée rend le sionisme (dans la seule version qui tient encore debout) plus que jamais déconnecté et obsolète. L’annexion le fera définitivement franchir la ligne qui le placera du mauvais côté de l’histoire.

Les idéologies qui prônent l’exceptionnalisme et la sécurité d’un groupe ethno-religieux au détriment d’un autre doivent être confiées aux musées et aux cours d’histoire, au côté des statues de marchands d’esclaves et de généraux confédérés. Nous ne les avons que trop supportées, de même que nous avons trop supporté les gens qui leur trouvent des excuses.

Sur le court terme, l’avenir apparaît sombre. Mais si nous avons appris quelque chose cette année, c’est bien que les changements peuvent survenir rapidement, et que l’opinion publique peut radicalement se modifier. Ce qui semble indestructible aujourd’hui peut voler en éclat demain.

L’annexion est un révélateur de la vérité. Et il est temps de regarder la vérité en face.

Robert A.H. Cohen
Robert A.H. Cohen est un écrivain juif britannique, militant contre le colonialisme israélien. Dans ce texte, publié au début du mois de juillet sur le site Mondoweiss, il fait le choix d’étudier l’annexion des territoires palestiniens de Cisjordanie, « promise » par le Premier ministre israé-lien mais jusqu’à présent reportée, comme un révélateur des logiques profondes du conflit opposant Israël aux Palestiniens.

Traduction Julien Salingue Lundi 27 juillet 2020

https://npa2009.org/

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