Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

L’essoufflement du Forum Social Européen

La multiplication des mobilisations sociales internationales à la fin des années 1990 et au début des années 2000 (création d’ATTAC en 1998-99, mobilisation contre l’OMC à Seattle, contre le FMI et la Banque Mondiale en septembre 2000 à Prague, Gènes en 2001) a été suivie par la création en 2002 du Forum Social Européen, qui s’est tenu à Florence, avec 60 000 inscrits à héberger... Malgré la violente répression des mobilisations anti-G7 à Gènes en juillet 2001 et l’exploitation sécuritaire du 11/09 à New-York, les mobilisations sont restées importantes jusqu’en 2003-2004. Puis on a connu un déclin des mobilisations |1|.

tiré de :[CADTM-INFO] BULLETIN ÉLECTRONIQUE - Jeudi 1er mars 2018

Pour expliquer le recul du Forum social mondial, il faut prendre en compte le choix fait par certains mouvements sociaux qui jouaient un rôle moteur en son sein de soutenir des gouvernements qui n’ont pas tenu leurs promesses en terme de rupture radicale avec les politiques d’austérité qu’ils ont cependant trahies. Il s’agit du soutien apporté par certains mouvement sociaux italiens au gouvernement de Prodi en 2003-2004 ; du soutien apporté par le syndicat CUT, le Mouvement des Sans-Terres au Brésil et d’autres au gouvernement de Lula à partir de 2003, le soutien de mouvements sociaux indiens liés aux deux principaux partis communistes d’appuyer le gouvernement du Parti du Congrès à New-Delhi. Il faut donc préparer l’avenir en analysant pourquoi le Forum Social Mondial a tant reculé.

Un renouveau des mobilisations spontanées

Ensuite, une dynamique spontanée extraordinaire s’est créée avec le mouvement des Indignés en Espagne, l’Occupation des Places en Grèce, le mouvement des Précaires au Portugal en mars 2011, le Printemps arabe en janvier février mars 2011, OccupyWallStreet et le mouvement en Grande Bretagne. Ces mouvements largement spontanés, interclasses, n’avaient pas le Forum Social Mondial comme référence, ni le Forum Social européen, déjà entrés en déclin et qui n’étaient pas un exemple pour la jeunesse dont la participation était très forte, ni pour les plus vieux qui se mobilisaient pour la première fois politiquement, affectés par la crise immobilière. Donc, discontinuité entre un mouvement construit sur le plan européen et entré en crise sans perspective de solution, et des mouvements spontanés qui ont pris un caractère international sans se coordonner au niveau européen, sans mettre en place des structures.

À nouveau une partie de ces mobilisations s’est transformée en mouvements politiques ou en coalitions politiques, avec la création de Podemos en 2014, le renforcement de Syriza aux élections de 2012, etc. Malgré les tentatives de reconstituer des réseaux européens de mobilisation passant d’une capitale à l’autre, il faut reconnaître qu’on n’a pas retrouvé la dynamique des bonnes années du Forum Social Mondial. Le premier Plan B de Madrid en février 2016 a rassemblé 2500 personnes |2| mais les conférences européennes de ces dernières années ne rassemblent pas grand monde.

Rupture nécessaire avec les institutions de l’Union Européenne et de la zone euro

Les institutions de l’Union Européenne et de la zone euro ne sont pas réformables et il faut l’annoncer |3|. Avec 28 états, on ne peut pas attendre qu’un improbable rapport de force au niveau des gouvernements débouche sur une improbable réforme de la zone euro. Il est important de tirer les leçons de l’expérience grecque.

La capitulation du gouvernement Tsipras en juillet 2015 a produit un choc

Dès le début du gouvernement, Tsipras et Varoufakis sont entrés dans une politique de négociations secrètes avec les créanciers, en prétendant arriver à un accord, sans en appeler à des mobilisations populaires |4|. Si une force politique de gauche arrive au gouvernement, elle doit avoir le courage de réellement désobéir, et par son action courageuse répondre véritablement à l’espoir placé en elle. Elle doit convoquer son propre peuple et les peuples de la région à se mobiliser pour la soutenir, car il n’y a plus de mobilisation internationale spontanée.

Signes positifs et nouvelles dynamiques en Europe aujourd’hui

Les élections de juin 2017 au Royaume Uni, mal analysées par la gauche en Europe, marquent une victoire du Parti Travailliste avec à sa tête un militant produit du mouvement anti-guerre, anti-impérialisme, qui s’est battu aux côtés des mouvements sociaux tout le long de son engagement politique. Il porte un programme radical de renationalisation des chemins de fer, de la Poste, de gratuité de l’enseignement et de la santé, de développement du service public mais aussi l’acceptation du Brexit et la défense du droit des étrangers. Ainsi le Parti Travailliste a gagné 30 députés et augmenté son pourcentage malgré la déconfiture du referendum – malgré des années de thatchérisme mais surtout de blairisme et 15 ans de rupture totale avec la base.

Avec le succès de Sanders aux États-Unis, celui de France Insoumise aux législatives de juin 2017, l’espoir suscité en Espagne par l’alliance entre Izquierda Unida et Unidos Podemos, la situation au Portugal, le panorama n’est pas du tout celui d’une victoire générale de l’extrême droite.

En fait quand des organisations politiques s’engagent sur un programme radical d’opposition au système, ils rencontrent des gens pour les soutenir. Il y a des centaines de milliers de personnes, travailleurs, précaires, sans emploi, étudiants, retraités, prêts à se mobiliser autour d’une perspective réelle de rupture avec la politique classique – malgré l’échec et la tragédie grecque.

Quelles relations établir entre les mouvements sociaux et les organisations politiques ? Comment éviter que des mouvements sociaux se rangent derrière des partis politiques et baissent le drapeau quand ceux-ci parviennent au pouvoir, comme au Brésil, en Italie ? Il faut maintenir la pression sur les forces politiques pour qu’elles s’engagent auprès de la population.

Abolir la dette publique

Au XIXe la dette publique était un mécanisme d’accumulation du capital, détenue par les riches, et Marx appelait à l’abolition des dettes publiques. On y revient de nos jours, tous les objectifs de l’endettement public, le mode de financement de la dette publique, ses bénéficiaires, rapprochent la situation actuelle de celle du XIXe |5|. Une très grande partie de la dette publique est illégitime, odieuse, il faut à nouveau en demander l’abolition, tout en réinventant un système de financement de l’État pour des objectifs légitimes, la transition écologique, avec des investissements portant sur plusieurs générations.

Il faut aussi parler des dettes privées illégitimes : endettement des étudiants, augmentation des prêts hypothécaires liés à des contrats abusifs, augmentation de la dette par le crédit à la consommation. Corbyn a fait de la dette étudiante un thème central de son programme. Mener une campagne en Espagne implique de parler du phénomène des contrats abusifs liés aux prêts hypothécaires. C’est ce qui a amené le mouvement social mené par Ada Collau à occuper systématiquement des banques, par des actions illégales.

C’est après s’être fait virer par des flics devant des caméras suite à une occupation illégale, et pas malgré cela, qu’Ada Collau a pu être élue maire de la deuxième ville de l’État espagnol. Ça montre à la fois l’évolution du capitalisme et aussi la disponibilité à élire des gens radicaux. C’était inimaginable il y a 40 ou 50 ans, les temps ont changé et la notion de désobéissance et de rejet des dettes privées illégitimes et des dettes publiques illégitimes est un élément central dans la dénonciation et dans l’alternative |6|.

Analyse critique de l’expérience grecque

Syriza s’est fait élire sur un programme de rupture avec l’austérité qui impliquait une remise en cause radicale du paiement de la dette. À partir du livre de Varoufakis, Conversation entre adultes |7|,Toussaint publie une série d’articles en analysant ce qui s’est passé au regard de sa propre expérience en Grèce. Dès 2014, Varoufakis a passé un accord avec Tsipras, Dragasakis et Pappas, pour ne pas appliquer le programme de Thessalonique |8|.

Bien que la BCE ait coupé l’accès des banques grecques aux liquidités
|9| peu de temps après les élections, Varoufakis avec l’accord de Tsipras signe le 20 février 2015 un accord qui a vidé en cinq mois les caisses de la Grèce pour le service de la dette, sans obtenir le moindre déboursement : 7 milliards versés aux créanciers, sans pouvoir répondre à la crise humanitaire |10|.

Malgré cela, quand Tsipras a demandé à son peuple de se prononcer pour le NON aux propositions des créanciers, le peuple l’a suivi en votant massivement NON.

A aucun moment Tsipras et Varoufakis ne se sont servi du travail de la commission internationale d’audit |11|, dans les négociations avec Bruxelles, à aucun moment ils n’ont qualifié la dette grecque d’illégale ou d’illégitime. L’orientation de Tsipras était de ne pas affronter les créanciers |12|. La grève d’un état c’est la suspension du paiement de la dette, la grève des remboursements.

Face à Rajoy, face au premier ministre portugais, avec Schäuble et Merkel qui ne voulaient pas faire de concessions, Hollande qui n’allait pas aider, ce choix de Tsipras de négocier par l’obéissance aux créanciers ne pouvait pas déboucher sur une victoire. Il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé par une analyse en profondeur.

L’historique de la crise financière grecque

Brièvement, le mémorandum de 2010 a permis aux banques françaises et allemandes de se sortir d’une accumulation de dettes surtout privées. Les créanciers publics ont prêté à la Grèce des sommes considérables qui sont reparties directement dans les coffres des banques privées françaises et allemandes, grecques aussi |13|.

Cette analyse par notre commission d’audit n’a pas été contestée ; même des organismes universitaires d’orientation clairement libérale ont partagé notre diagnostic, en tirant des conclusions différentes. Même le rapport d’évaluation du bureau indépendant du FMI publié en été 2016 a reconnu toute une série de nos conclusions |14|.

Il n’existe pas de tribunal international de la dette.

Il n’existe pas de tribunal international de la dette. Pour répudier une dette extérieure, il faut un acte unilatéral souverain posé par un État qui fonde sa décision unilatérale souveraine sur des arguments de droit, des applications antérieures et reconnues (la jurisprudence), et notamment sur les définitions du caractère de ces dettes |15|. Quand ça correspond à leurs intérêts et à leurs avantages, les grandes puissances utilisent les mêmes arguments de type éthique et les définitions de type « dette odieuse ». Et cela crée une jurisprudence, comme les États-Unis en Irak en 2003 |16| qui ne voulaient pas rembourser les dettes de Saddam Hussein après en avoir pris le contrôle.

Capitulation de Tsipras ou trahison ?

Tsipras comptait sur un OUI des Grecs au référendum, qui lui aurait offert une « capitulation honorable » avec un mandat du peuple. Malgré les menaces des créanciers d’un Grexit les Grecs ont choisi le NON. Donc on peut parler d’une trahison, puisque dès le lendemain Tsipras se coordonnait avec les partis qui avaient porté la campagne du OUI. On paiera longtemps cette trahison de Tispras.

La réélection de Syriza en septembre 2015

Tsipras a été réélu en septembre 2015 car il a convoqué les élections avant que ne s’appliquent les mesures sanglantes du 3e memorandum, sans avoir laissé le temps aux dissidents de Syriza de se constituer en parti, et alors que l’alternative électorale était portée par les partis qui avaient imposé l’austérité depuis 2010. Pour le peuple grec c’était un vote du moindre mal.

L’actuel gouvernement Syriza-Anel continue à respecter les exigences continuellement renouvelée du FMI et des créanciers |17|, avec par exemple une liste de 95 conditions préalables sur les 113 pré-requis pour achever la mise en œuvre (« les versements ») du troisième plan d’aide d’ici la fin de 2017 |18|.

Notes

|1| Le capitalisme arrivera-t-il à absorber le Forum Social Mondial ?

|2| Un plan B pour une Europe des peuples

|3| Le plan B ne prévoit pas de réformer l’UE

|4| Dès le début, Tsipras et Varoufakis mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

|5| La dette a joué un rôle déterminant dans l’Histoire

|6| Si les gouvernements de gauche reculent sur la question de la dette, ils ne peuvent pas rompre avec les politiques d’austérité

|7| Se procurer le livre ici

|8| Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

|9| Les diktats et le chantage exercés par la BCE à l’égard de la Grèce

|10| Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

|11| Les Grecs n’ont pas à payer une dette qui n’est pas la leur

|12| Pourquoi Alexis Tsipras a enterré la suspension du paiement et l’audit de la dette bien avant les élections de 2015

|13| Grèce : les banques sont à l’origine de la crise

|14| Grèce : la responsabilité du FMI mise au jour, mais tout continue comme avant

|15| Dette illégale, odieuse, illégitime, insoutenable : comment s’y retrouver ?

|16| La dette odieuse de l’Irak

|17| Grèce : la violence imbécile des créanciers

|18| Voir sur le site d’Unité Populaire

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