Édition du 13 mai 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

La situation des droits humains dans le monde (avril 2025)

L’humanité se trouve à un tournant de son histoire. Des forces d’une ampleur sans précédent veulent en finir avec l’idéal des droits humains pour tous et toutes, cherchant à détruire un système international forgé dans le sang et les souffrances de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. La croisade religieuse, raciste et patriarcale qu’elles mènent, qui vise à mettre en place un ordre économique porteur d’iniquités toujours plus grandes entre les pays et en leur sein même, met en péril les avancées durement acquises ces 80 dernières années en termes d’égalité, de justice et de dignité.

7 mai 2025 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/07/la-situation-des-droits-humains-dans-le-monde-avril-2025/

Les 100 premiers jours du « règne » du président des États-Unis, Donald Trump, en 2025 ont notamment été marqués par une vague d’attaques frontales contre l’obligation de rendre des comptes en matière de droits fondamentaux, contre le droit international et contre l’ONU.

Les offensives irresponsables et punitives contre les initiatives destinées à lutter contre la pauvreté dans le monde et à mettre un terme aux discriminations et aux violences de longue date fondées sur les origines raciales ou le genre des personnes n’ont cependant pas débuté cette année. Le franchissement d’une ligne rouge ne se fait pas du jour au lendemain.

La politique appliquée par Donald Trump depuis le début de son deuxième mandat ne fait qu’accélérer des tendances qu’Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains avaient déjà dénoncées. Malheureusement, nos avertissements n’ont pas été pris en compte et nos appels ont été ignorés. Nous sommes face à une trajectoire qui atteint certes des sommets en 2025, mais qui se situe dans la continuité et est la conséquence de décisions systémiques, délibérées et sélectives prises ces 10 dernières années.

Ne nous trompons pas. Donald Trump n’est pas seul en cause. Les racines du mal sont beaucoup plus profondes. Et, à moins d’une résistance concertée et courageuse, ce tournant historique se transformera en une véritable mutation : il ne s’agira plus d’une époque de changement, mais d’un changement d’époque.

Un cauchemar qui a commencé au ralenti

L’humanité voit depuis une bonne décennie les lois, les politiques et les pratiques autoritaires proliférer, l’espace civique se resserrer et la liberté d’expression et d’association régresser. Les choix politiques ont accru les inégalités et la pauvreté et engraissé les milliardaires. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence la cupidité, le racisme et l’égoïsme des grandes puissances, prêtes à laisser mourir des millions d’êtres humains. Confrontés à la crise climatique, les États n’ont en grande partie pas tenu les promesses qu’ils avaient faites à Paris en 2015.

Et tandis que les voyants passaient au rouge les uns après les autres, l’année 2024 a été celle d’un génocide.

2024 : Le génocide en direct

Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle le Hamas a commis des crimes terribles contre des citoyen·ne·s d’Israël et d’autres pays et pris en otage de plus de 250 personnes, le monde assiste sur ses écrans à un génocide en direct. Les États ont regardé, comme s’ils étaient impuissants, Israël tuer des milliers de Palestiniennes et de Palestiniens, massacrant des familles entières sur plusieurs générations et détruisant des habitations, des moyens de subsistance, des hôpitaux et des établissements scolaires.

L’année 2024 restera dans les mémoires comme celle d’une occupation militaire israélienne plus éhontée et meurtrière que jamais, du soutien apporté à Israël par les États-Unis, l’Allemagne et quelques autres pays européens, du veto opposé à plusieurs reprises par le gouvernement du président Joe Biden aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu, et de la poursuite des fournitures d’armes à Israël.

En 2024, Israël et ses puissants alliés, au premier rang desquels les États-Unis, ont prétendu que le droit international ne s’appliquait pas à eux, ou ont agi comme si tel était le cas, choisissant d’ignorer les injonctions de la Cour internationale de justice et les décisions de la Cour pénale internationale.

En 2024, le président russe, Vladimir Poutine, a poursuivi sa politique d’attaques systématiques des infrastructures civiles en Ukraine, faisant encore plus de victimes civiles qu’en 2023. La Russie a détruit ou occupé la majorité des centrales thermiques ukrainiennes, entraînant de fréquentes coupures de courant pour des milliers de personnes. Des dizaines de prisonnières et de prisonniers de guerre ukrainiens ont été jugés en toute illégalité, en Russie et dans les zones d’Ukraine occupées par celle-ci.

En 2024, la guerre et la famine ont fait des milliers de morts au Soudan, théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements forcés, dans l’indifférence quasi totale de la communauté internationale. Celle-ci ne s’est d’ailleurs guère plus souciée de l’escalade de la violence qu’ont connue la République démocratique du Congo, le Burkina Faso, le Niger ou encore le Myanmar. Les opportunités de ventes d’armes offertes par ces différentes crises n’ont en revanche pas manqué de retenir l’attention, et les appels à appliquer des embargos sur les armes sont, eux, restés lettre morte.

L’année 2024 a montré à quel point les États étaient prêts à mettre leur propagande au service des conflits armés – une propagande amplifiée par les algorithmes des réseaux sociaux et la contribution de voix puissantes – sans se préoccuper de l’exactitude ou des conséquences délétères des informations diffusées.

Bref, l’année 2024 nous a tous et toutes déshumanisés.

Justice internationale et multilatéralisme

L’Afrique du Sud a pourtant montré que d’autres choix étaient possibles. La requête qu’elle a introduite contre Israël auprès de la Cour internationale de justice pour violation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide constitue une initiative déterminante en faveur de la justice. De même, la décision de la CPI de décerner des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef militaire du Hamas Mohammed Al Masri pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité représente une avancée historique.

Cependant, des pays qui avaient fermement soutenu la CPI lorsque celle-ci avait ouvert une procédure contre Vladimir Poutine concernant l’enlèvement d’enfants ukrainiens ont réagi très différemment lorsqu’il s’est agi d’Israël. Un certain nombre de membres du Sénat des États-Unis ont menacé le procureur de la CPI en 2024, et celui-ci a fait l’objet de sanctions de la part de Donald Trump en 2025.

Il n’est plus temps de se lamenter sur le deux poids, deux mesures dont ont fait preuve les architectes du système fondé sur des règles mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Avant même la fin de l’année 2024, de nombreux pays cherchaient activement à affaiblir les institutions de ce système et en piétinaient les valeurs, ne laissant en place guère plus qu’une coquille vidée de ses aspirations initiales.

Donald Trump ne fait finalement qu’accélérer des tendances déjà bien établies.

Liberté d’expression et médias : un canari au fond de la mine

Amnesty International avait mis en garde dès 2020 contre la dérive autoritaire constatée dans de nombreux pays. Nous avions raison de nous inquiéter. De nouvelles lois et pratiques autoritaires ont été adoptées en 2024. La répression de la dissidence politique s’est accentuée, avec notamment une multiplication des arrestations de masse et des disparitions forcées. Des ONG et des partis politiques ont encore été dissous de force, suspendus ou pris arbitrairement pour cible sous prétexte d’« extrémisme ». Les autorités ont réagi de façon disproportionnée aux actes de désobéissance civile, et des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s pour le climat, des étudiant·e·s et des personnes exprimant leur solidarité avec le peuple palestinien ont fait l’objet de poursuites judiciaires, souvent après avoir été qualifiés de « terroristes ». Les féministes, et plus largement les personnes militant pour les droits des femmes et des personnes LGBTI, étaient toujours confrontés à un important retour en arrière.

Vingt-et-un pays au moins ont adopté ou proposé des lois destinées à réprimer la liberté d’expression ou à interdire certains organes de presse. Le nombre de journalistes tués en 2024 a atteint de nouveaux sommets : selon le Comité pour la protection des journalistes, une ONG, au moins 124 journalistes et autres employé·e·s des médias ont trouvé la mort durant l’année. Près des deux tiers étaient des Palestiniens et des Palestiniennes tués par Israël.

Fièvre du forage et incendies de forêts

Aucune région n’a été épargnée par la crise climatique en 2024. En Asie du Sud, une vague de chaleur intense a été suivie d’inondations dévastatrices, qui ont touché des millions de personnes et entraîné des milliers de déplacements forcés. En Amérique du Sud, des incendies d’une ampleur sans précédent ont détruit de vastes zones de la forêt

amazonienne et mis en péril des écosystèmes à l’échelle de pays entiers. En Somalie, l’alternance des périodes de sécheresse et d’inondation a anéanti des villages et l’économie locale dans plusieurs secteurs, forçant des familles, voire des populations entières, à partir de chez elles.

2024 a été la première année civile au cours de laquelle la température moyenne mondiale a dépassé de plus de 1,5°C la moyenne enregistrée sur la période 1850-1900.

L’action climatique doit être à la hauteur de cette inquiétante augmentation. Or, non seulement les États se sont avérés incapables de sortir progressivement des énergies fossiles, mais ils n’ont pas non plus réussi, lors de la COP29, à parvenir à autre chose qu’un accord de financement au rabais qui risque de plonger les pays à revenus modestes dans un cycle infernal d’endettement.

Le mot d’ordre de Donald Trump (« fore, bébé, fore ») a simplement fait écho à ce qui était déjà en cours, et sa décision en 2025 de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat a été saluée par d’autres pays dépendant des énergies fossiles.

Ainsi, un peu partout dans le monde, des communautés entières vont continuer de brûler, de sombrer et de mourir.

Un cocktail toxique pour des millions d’êtres humains

En 2024, dans son rapport intitulé Poverty, Prosperity and Planet : Pathways out of the Polycrisis, la Banque mondiale s’est inquiétée de ce que la baisse de la pauvreté dans le monde avait ralenti et presque stagné au cours des cinq années précédentes, ce qui faisait craindre que la période 2020-2030 soit finalement une « décennie perdue » à cet égard.

Le cocktail empoisonné mélangeant fabrique de la pauvreté, conflit, répression politique et crise climatique a entraîné le déplacement de quelque 110 millions de personnes en 2024. Or, plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de ces phénomènes, de nombreux gouvernements et mouvements politiques ont préféré tenir des discours xénophobes et racistes et inciter à la haine. Ignorant ou contournant les injonctions judiciaires, ils ont eu recours à des mesures extrêmes et brutales pour repousser les personnes se présentant à leurs frontières sans papiers en règle.

Égalité des genres ? Les droits des femmes et des personnes lgbti battus en brèche

En Afghanistan, 50% de la population (à savoir toutes les personnes de sexe féminin) était condamnée à ce que beaucoup qualifient de « mort lente ». Le régime des talibans a fait de l’existence même des femmes et des filles dans la sphère publique une infraction pénale, en niant leurs droits au travail et à l’éducation et en adoptant des lois « sur le vice et la vertu ». Des dizaines de manifestantes ont été victimes de disparitions forcées ou d’arrestations arbitraires.

En Iran, de nouvelles lois sur le port du voile obligatoire prévoyant de très fortes amendes et de lourdes peines d’emprisonnement, voire de flagellation, sont venues accroître la répression exercée sur les femmes et les filles, tandis que les fonctionnaires et les membres de milices autoproclamées qui s’en prenaient violemment à celles qui osaient braver la loi continuaient d’agir en toute impunité.

Les atteintes aux droits des personnes LGBTI se sont multipliées un peu partout et, de l’Argentine à la Russie, des gouvernements ont adopté des lois ou des politiques restreignant l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive. Aux États-Unis, Meta et TikTok ont fait disparaître de leurs contenus en ligne certaines informations sur l’avortement. Par ailleurs, une hausse des violences fondées sur le genre, notamment des féminicides, ainsi que des violences sexuelles dans le cadre de conflits armés, a été signalée à de nombreux endroits de la planète.

La fin d’une époque ?

Les grandes puissances font bien peu de cas de notre histoire. Elles prétendent que les leçons des années 1930 et 1940, qui ont donné naissance à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, aux Conventions de Genève, à la Déclaration universelle des droits de l’homme ou encore à la Charte des Nations unies, peuvent être désormais écartées, oubliées, effacées. Avec l’élection de Donald Trump et la mainmise de grandes entreprises sur une grande partie de son gouvernement, nous nous retrouvons projetés à grande vitesse dans une ère brutale où la puissance militaire et le pouvoir économique font irruption dans le domaine des droits humains et de la diplomatie, où les politiques publiques sont façonnées par des hiérarchies de genre et raciales ainsi que par la logique du jeu à somme nulle, et où les relations internationales sont dictées par un nationalisme nihiliste.

Comment réagir ?

En 2024, les 193 États membres de l’Assemblée générale des Nations unies se sont mis d’accord pour lancer des négociations en vue d’élaborer le premier traité de l’histoire sanctionnant les crimes contre l’humanité. Cette même Assemblée a aussi décidé de mettre en place une convention-cadre sur la coopération fiscale internationale, ouvrant la voie à une coopération internationale permettant de lutter contre l’évasion fiscale et susceptible de dégager des fonds indispensables à la réalisation des droits fondamentaux. En 2024 également, la Gambie a rejeté une proposition de loi qui visait à abroger la Loi de 2015 portant modification de la Loi sur les femmes, au titre de laquelle les mutilations génitales féminines étaient interdites. La Pologne a adopté une définition du viol fondée sur le principe du consentement, devenant le 19e pays européen à le faire. Le Parlement bulgare a pour sa part rejeté une proposition de loi qui prévoyait la mise en place d’un registre des « agents de l’étranger », sur le modèle russe. Toujours en 2024, la justice belge a reconnu la responsabilité de la Belgique dans les crimes contre l’humanité commis pendant la colonisation. Et au début de l’année 2025, les autorités philippines ont remis à la CPI l’ancien président Rodrigo Duterte, inculpé de crimes contre l’humanité pour sa sanglante « guerre contre la drogue ».

Le Sommet de l’avenir organisé en septembre 2024 par l’ONU a certes donné des résultats limités, mais les États participants se sont néanmoins mis d’accord sur la nécessité de créer un système international plus équitable, en permettant une meilleure représentation au sein du Conseil de sécurité (en particulier des pays d’Afrique), en transformant l’architecture financière internationale, en remédiant à la crise de la dette et en augmentant le financement du développement.

Il est important de noter que cette année d’élections (64 scrutins au total se sont tenus dans le monde en 2024) ne s’est pas traduite par la victoire des adversaires des droits humains. Un peu partout, les citoyens et citoyennes ont été nombreux à choisir une autre voie, montrant que la montée des pratiques autoritaires n’était pas inévitable et qu’il était possible de s’y opposer.

Notre avenir n’est pas scellé, mais l’humanité se trouve à un moment charnière de son histoire. Cent jours après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, certains États ont décidé de tenir tête, mais ils restent minoritaires. Beaucoup font mine de trouver le nouvel empereur fréquentable, voire veulent marcher dans ses pas. Pourtant, la réalité leur donne tort. Les voix dissidentes que l’on fait taire, les libertés académiques battues en brèche, l’escalade des budgets militaires, le pillage des allocations d’aide sociale, les représailles commerciales : tels sont les tristes oripeaux d’un monde empêtré dans une crise profonde.

Oui, nous devons répondre aux carences du système international pour que les droits humains soient respectés. Nous sommes cependant aujourd’hui confrontés à des forces qui se sentent toutes puissantes et qui aspirent à imposer un modèle totalement différent : non pas un système mieux à même d’assurer l’égalité et la justice et de servir l’état de droit, mais un système sans protection des droits fondamentaux, destiné à favoriser la recherche du profit plutôt que l’équité.

Organiser la résistance contre ces forces n’est pas seulement indispensable : c’est aussi la seule voie légitime dont nous disposons.

Comme à chaque fois que les États faillissent à leur devoir de faire respecter les droits humains, dirigeant·e·s associatifs et défenseur·e·s

des droits humains se mobilisent. Ces femmes et ces hommes résistent face à des régimes irresponsables fondés sur le pouvoir et le profit, qui mettent en danger notre dignité commune. Ces personnes prouvent une fois de plus que la société civile est en première ligne de la défense des droits humains et des libertés fondamentales.

Nous devons résister. Et nous résisterons.

Agnès Callamard
Secrétaire générale
avril 2025
https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/04/global-human-rights-crisis-trump-effect-accelerates-destructive-trends/

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