Édition du 16 avril 2024

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Planète

Le changement climatique n'aime pas les pauvres

Alors que le coronavirus attire toute l’attention public, il semblerait que nous avons déjà oublié les incendies qui ont ravagé l’Australie. Pourtant, le réchauffement climatique, qui est en grande partie responsable de cette catastrophe, serait un mal beaucoup plus grave. Les sécheresses, les inondations, les vagues de chaleur, la propagation des maladies et les famines s’intensifieront dans les années à venir et affecteront l’ensemble de l’humanité. Toutefois, les derniers grands débats sur le sujet portent avant tout sur la responsabilité de chaque pays dans ce phénomène.

Les États semblent davantage préoccupés à pointer du doigt des coupables plutôt qu’à se regarder dans le miroir et changer leurs politiques et très peu d’attention publique a été prêtée au lien existant entre changements climatiques et inégalités socio-économiques.

Selon les chercheurs Nazrul Islam et John Winkel, les populations les plus désavantagées seraient plus affectées par le changement climatique et ses conséquences. Tel un cercle vicieux, les inégalités rendraient les pauvres plus vulnérables aux catastrophes naturelles ce qui les exposeraient à plus de pertes matérielles et compliqueraient leur capacité à s’en remettre

Finalement, ces catastrophes creuseraient les inégalités déjà existantes. Il faudrait considérer d’autres effets indirects comme l’augmentation des prix de la nourriture et des polices d’assurance (déjà il faut qu’ils soient capables d’en payer). Ce genre de situation n’épargne pas non plus les pays développés. Lors des incendies en Californie, les individus les mieux nantis comme Kim Kardashian ont engagé des pompiers privés afin de protéger leurs maisons du feu alors que des centaines d’autres domiciles brulaient par manque de pompiers.

Le lien entre inégalités et changements climatiques serait aussi horizontal : les femmes et les minorités ethniques seraient plus vulnérables. L’exemple le plus frappant reste l’ouragan Katrina. Les Afro-américains du Nouvelle-Orléans ont été les plus affectés. Leurs quartiers ont été plus endommagés et le temps de reconstruction plus lente. Plusieurs des sinistrés n’ayant pas les moyens de reconstruire ont quitté la ville (100 000 Afro-américains comparativement à 11 500 résidents blancs). Ce genre de déplacement forcé est selon l’économiste Nicholas Stern l’un des grands enjeux des années à venir. La Banque mondiale estime que 143 millions de personnes immigreront d’ici 2050 à cause du réchauffement climatique. Une augmentation de 1,5 degré par rapport aux niveaux préindustriels, pourrait exposer 457 millions de personnes à des risques liés au climat, notamment l’élévation du niveau de la mer, les inondations et les sécheresses.

Les pauvres sont les moins responsables de la pollution environnementale, mais ils sont injustement les plus affectés. Plusieurs études suggèrent que le 50% le plus pauvre de la population mondiale ne serait responsable que de 10% des émissions de carbone alors que le 10% le plus riche serait responsable du 50%. Plus représentatif, le 1% le plus riche polluerait 175 fois plus que le 10% le plus pauvre. Si on prend comme indice la consommation de CO2 des puissances émergentes comme la Chine et on la compare à celle des pays développés, on se rend compte qu’ils sont loin derrière en matière de pollution. Dans un pays comme la Chine, souvent désigné comme un grand pollueur, le 10% des habitants plus riches est encore loin de polluer autant que les riches nord-américains. Une grande partie des émissions de carbone dégagées par la Chine provient plutôt de la production (des produits conçus afin d’être vendus ailleurs) et non de la consommation.

La Banque mondiale a estimé que si rien n’est fait, le changement climatique mènera 120 millions de personnes de plus dans la pauvreté d’ici 2030. On serait face à un dilemme, car si l’on cherche à réduire la pauvreté, c’est-à-dire si on cherche à dépasser le seuil fixé pour la pauvreté établie à 1,25$ par personne et par jour, il faudrait 100 ans pour atteindre cet objectif. Si en théorie, il est possible d’éradiquer la pauvreté, cela impliquerait également de produire plus et polluer davantage. La seule manière d’espérer relever ce défi serait de réduire les inégalités en partageant convenablement les richesses et de miser sur des nouvelles sources énergétiques telles que l’énergie éolienne, solaire et hydraulique.

Cependant, si la situation continue telle quelle, je vous suggère de
commencer à économiser pour votre service de pompiers privés.

Bibliographie

Chancel, Lucas, et Thomas Piketty. 2015. « Carbon and Inequality : From Kyoto to Paris ». École d’économie de Paris.

Cosier, Susan. 2019. « Get Ready for Tens of Millions of Climate Refugees ». MIT Technology Review. Consulté le 31 janvier 2020. https://www.technologyreview.com/s/613342/getready-for-tens-of-millions-of-climate-refugees/.

Oxfam International. 2015. « Extreme Carbon Inequality ». 2 décembre 2015.
https://www.oxfam.org/en/research/extreme-carbon-inequality.

Islam, S Nazrul, et John Winkel. 2017. « Climate Change and Social Inequality ». DESA Working Paper No. 152.

Jacobson, Mark Z., et Mark A. Delucchi. 2011. « Providing All Global Energy with Wind, Water, and Solar Power, Part I : Technologies, Energy Resources, Quantities and Areas of Infrastructure, and Materials ». Energy Policy 39 (3) : 1154-69.

Human Rights Council. 2019. « Climate change and poverty ». forty-first regular session from 24 June to 12 July 2019. Consulté le 31 janvier 2020.
https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24715&LangID=E.

Raymond, Robert. 2018. « As California Burns, The Ultra-Rich Hire Private Firefighters ».

HuffPost Canada. 15 novembre 2018. https://www.huffpost.com/entry/californiawildfires-neoliberalism-climate-change_n_5bec0d2ce4b0caeec2c012a0.

Seck, Sarah, Meinhard Doelle, et Lisa Benjamin. 2019. « Changements climatiques : les plus pauvres seront les plus affectés | Environnement | Actualités | Le Soleil - Québec ». Consulté le 31 janvier 2020.
https://www.lesoleil.com/actualite/environnement/changements-climatiques-les-pluspauvres-seront-les-plus-affectes-0883844bd7e0373792ec4fbb2d5b1c47.

Woodward, David. 2015. « Incrementum Ad Absurdum : Global Growth, Inequality and Poverty Eradication in a Carbon-Constrained World ». World Economic Review 4 : 43-62.

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