Édition du 12 mars 2024

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Québec

Le défi de l'immigration au Québec : Dignité, solidarité et résistance

Les migrations s’inscrivent aujourd’hui dans la phase néolibérale de la mondialisation. Elles sont fortement déterminées par les politiques néolibérales, par la financiarisation et la domination du capitalisme financier. Ces politiques donnent la primauté à la croissance et subordonnent la croissance au marché mondial des capitaux.

27 avril 2022 |- Résistances, NCS numéro 27 hiver 2022.

La transformation sociale est conçue comme l’ajustement structurel de chaque société au marché mondial passant par le champ libre laissé aux entreprises mondiales considérées comme les seules porteuses de modernité. Elle se traduit par la libéralisation des économies livrées à la rationalité du marché mondial des capitaux, par les privatisations et l’abandon de la notion de service public entendu au sens du droit égal d’accès pour tous et toutes. Ces politiques ont des effets dramatiques pour chacune des sociétés et pour le monde. Cette logique conduit à la prédominance du droit des affaires et de la concurrence dans le droit international et dans le droit de chaque pays. Les migrations, comme le climat et l’écologie, démontrent que plusieurs des problèmes de la période ne sont compréhensibles et ne peuvent être envisagés qu’à l’échelle mondiale. On retrouve plusieurs propositions émanant du mouvement altermondialiste pour affronter cette situation.

L’égalité des droits et l’accès égal aux droits pour toutes et tous

La question des migrations étant par définition mondiale, la réglementation et la régulation des migrations devraient relever du droit international. Une première tentative a été tentée avec la Convention internationale pour le respect des droits des migrants et de leurs familles. Nous en demandons la mise en œuvre. Il est scandaleux que cette convention adoptée par les Nations unies ne soit toujours ratifiée, plusieurs années après, par aucun pays d’émigration, et notamment par la France, et par aucun pays européen. Même s’il faut préciser que cette convention est très insatisfaisante sur plusieurs aspects de la défense des droits des migrants et migrantes, et que, même si elle va dans le bon sens et renforce le droit international, elle ne constitue pour le mouvement altermondialiste qu’une première étape.

Le débat international s’est à nouveau saisi de la question avec la création, dans le cadre des Nations unies, en 2007, d’un Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD). C’est un processus informel, non contraignant, ouvert aux États membres et observateurs des Nations unies ainsi qu’à des organisations ayant un statut d’observateur. Un processus de la société civile accompagne le FMMD. Il mélange des ONG, des sociétés privées et des associations de migrants. Le onzième FMMD, à Marrakech, en décembre 2018, a adopté des propositions « pour une immigration sûre, légale et reconnue ». Ce pacte est non contraignant et son application dépend de la bonne volonté des États. Il préconise, pour les États, de développer des voies légales de migrations, sous forme de visas, de couloirs humanitaires, de levée des exigences de visas dans les situations de vulnérabilité. Malgré quelques propositions intéressantes, ce pacte comprend aussi des aspects dangereux pour les droits de la personne (encouragement au fichage, non-remise en cause de la criminalisation des migrants ou des politiques d’externalisation des frontières).

La lutte contre les discriminations

La phase actuelle de la mondialisation capitaliste, le néolibéralisme, a fait exploser les inégalités. Les inégalités s’appuient sur les discriminations et les renforcent. Le racisme fait accepter les discriminations ; il fait aussi accepter la précarité, la pauvreté et l’exploitation. L’enjeu est double pour les dominants. Il s’agit d’abord, pour limiter les résistances au capitalisme, de diviser les couches populaires et de rallier les couches moyennes. Il s’agit aussi de fermer les voies alternatives en remettant en cause la valeur de l’égalité.

On retrouve ainsi les explications de Gramsci sur l’importance de l’hégémonie culturelle qui permet à un système de domination de s’imposer et d’être accepté par les couches sociales dominées. Dans cette bataille culturelle, la définition d’un projet porteur d’une alternative d’émancipation est essentielle. Le mouvement altermondialiste affirme que l’antiracisme est une valeur positive fondamentale. Pour qu’il puisse jouer son rôle, il faut accepter de regarder à quel point le racisme et les discriminations ont marqué nos sociétés ; et continuent de les caractériser. On les retrouve sous des formes diverses à travers les différentes déclinaisons du racisme – anti-arabe, antimaghrébin, islamophobe, antinoir, antisémite – ; du sexisme ; de la colonisation et de la désaliénation des colonisateurs ; du refus d’accepter la vivacité de la mémoire de l’esclavage et de la traite négrière ; de la colonialité qui marque la nature de l’État ; de la racialisation des politiques ; du traitement des migrants et migrantes et des Roms comme boucs émissaires… Il ne s’agit pas de miasmes du passé qui n’ont que peu d’importance. Il ne s’agit pas non plus de contradictions secondaires qui disparaîtront d’elles-mêmes après la libération économique et sociale. Il s’agit des contreforts et des arcs-boutants qui font tenir le système dominant et qui le reproduisent.

La liberté de circulation et d’établissement

Parmi les droits reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme, figure en bonne place le droit de circuler librement. L’article 13 de la Déclaration stipule que « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Le fait que cet énoncé apparaisse à tant de gens hors de portée, voire stupéfiant, en dit long sur la régression des idéaux de liberté et de la défense des droits dans le monde.

Les nécessités de défense de l’ordre public, mises en avant, se révèlent le plus souvent comme des prétextes par rapport au contrôle des mouvements et des populations, y compris des populations des pays d’arrivée. Dans tous les cas, des mesures de régulation, en principe provisoires, ne peuvent fonder un régime permanent qui repose sur la négation des droits et des libertés. Les murs que l’on élève en pensant se protéger accroissent le plus souvent les peurs et l’insécurité. Ils se révèlent inefficaces par rapport à des politiques de compréhension, d’hospitalité et de bon voisinage.

Les murs finissent par envahir les têtes et les polluer. Les politiques de visas, destinées à décourager les déplacements, sont fondées sur l’humiliation et le confinement (containment) des pauvres ; elles dérivent vers la corruption dans les services de délivrance. Les ligues des droits humains en Europe ont demandé la suppression des visas de court séjour (moins de trois mois), ce qui était la situation la plus courante, en Europe, il y a quarante ans. La liberté de circulation fait toujours l’objet de débats passionnés et contradictoires qui mêlent plusieurs questions et conduisent à des positions divergentes. Les positions de ceux qui nourrissent la crainte atavique des étrangers et la méfiance des sédentaires par rapport aux nomades affleurent vite dans les discussions publiques et sont attisées par les politiques sécuritaires. Elles sont en général absentes dans le courant altermondialiste. Cette divergence reflète deux visions du monde !

La liberté d’établissement est souvent considérée comme un danger pour les droits sociaux conquis à l’échelle nationale. La représentation qui domine est celle des migrations provoquées par les classes dominantes pour jouer la concurrence entre les travailleurs et travailleuses, peser sur les salaires et les conditions de travail. Il s’agit d’une délocalisation sur place, un des volets d’une offensive générale contre les salarié·e·s. Cette analyse est très largement exacte quant à la volonté du patronat mais pas quant à ses conséquences. Il n’est d’ailleurs pas démontré que les migrations et la liberté de circulation exercent une pression à la baisse sur les salaires dans les pays d’accueil. De plus, la justesse partielle du diagnostic ne fournit pas automatiquement la réponse. Il s’agit de trouver une riposte qui permette d’éviter de tomber dans le piège de la division entre travailleurs dans chaque pays et les migrants, et entre les travailleurs des différents pays. Il n’y a pas de recette magique, il faut construire une démarche. Ce qui est sûr c’est qu’accepter une union sacrée contre les immigré·e·s conduit tout droit à une catastrophe pour tous et toutes. D’autant que les faits démentent ce diagnostic. Les travailleuses et les travailleurs immigrés contribuent à l’équilibre des déficits sociaux et leurs contributions sont excédentaires par rapport à leurs dépenses. C’est le chômage et non l’immigration qui met en danger la protection sociale. Les réponses sont aussi à rechercher dans un des chantiers majeurs du droit international, celui de la protection sociale universelle.

Ces principes de base définissent les positions du mouvement altermondialiste sur les questions des migrations. Leur approfondissement permet de rejoindre la cohérence des positions générales du mouvement et contribue à construire une cohérence. Ils se réfèrent à la solidarité internationale comme une des principales valeurs de référence par rapport au cours dominant de la mondialisation.

Gustave Massiah est économiste, écrivain et militant altermondialiste

Gustave Massiah

Ingénieur, membre du Conseil international du Forum social mondial, ancien président du CRID, membre du Conseil scientifique d’Attac, auteur de Une stratégie altermondialiste (La Découverte, 2011).

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