Édition du 16 avril 2024

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Charte des valeurs québécoises

La charte, c'pas une raison pour s'faire mal !

(tiré du journal Le Québecois | Vendredi, 13 septembre 2013 | )

Décidément, le Québec a un don pour péter les plombs dans les dossiers secondaires, et rarement en ce qui concerne l’essentiel. Le dossier de la charte du village des valeurs du PQ en est un bon exemple. Tout fout le camp, les requins voraces ont les yeux fixés sur les richesses de notre pays, mais nous, on est bien trop occupés pour combattre ça. On préfère s’obstiner sur la place du ti-jésus de plâtre ou du bouddha ben gras dans nos institutions ; ça c’t’important, ça c’est fondamental.

Bon, déjà d’avoir écrit ça, je me mérite une volée de bois vert de la part de certains. Mais j’m’en fous. J’vais dire ce que j’pense pareil…

D’abord et avant tout mesdames et messieurs, sachez que chus ben au courant que c’est pas beau la religion. Pis dieu, c’t’un con, qu’il ait une kippa su’ la noix ou un crucifix dans le derrière. Pas besoin de me faire un dessin, j’comprends ça. Pis chus ben d’accord aussi avec la laïcité de l’État pis de tout le reste. Dehors les icônes ! À bas les sacrements ! Mais si on fait le ménage, qu’on le fasse vraiment. Sans exception pour le crucifix de l’Assemblée ou pour la taille des signes ostentatoires dans la fonction publique. Et pas d’accommodements non plus ! Parce qu’un moment donné, faut pas nous prendre pour des cons. Tout le monde a ben compris qu’un crucifix autour du cou d’un fonctionnaire catholique, c’est pas mal plus facile à réduire, question de respecter les dimensions appréciées par Pauline, qu’une kippa sur la tête d’un fonctionnaire juif ou d’un hidjab dans la fraise d’une musulmane de l’État. J’suis quand même pas le seul à me rendre compte qu’y a comme plus de moyens de moyenner pour les adeptes de Jésus que pour les fanatiques de Mahomet dans c’te plan-là.

Pis à partir du moment où on demande à tout le monde de faire sa part de sacrifices religieux, tout en clamant que, pour notre part, on garde notre crucifix dans l’Assemblée NATIONALE pis dans d’autres institutions, ben me semble que ça fait pas très sérieux ; que ça fait dés pipés d’avance. Pis j’haïs les manigances, qu’elles viennent d’en face ou de ma cour.

Et tant qu’à s’attaquer aux symboles, il aurait été très approprié de faire ce que proposait mon ami Bégin dans une de ses chroniques, c’est-à-dire débarquer aussi les symboles de la monarchie britannique. Parce qu’à mon sens, la couronne des Anglais, ben c’est aussi un méchant truc étranger qui bouscule les belles valeurs québécoises ! Pas mal plus, à mon sens, qu’Arisha pis ses cousines qui portent le voile.

J’dis ça, mais faut quand même qu’on s’comprenne bien mes chers amis. Sachez que jamais je ne croirai que le PQ est animé par des sentiments racistes, dans ce dossier ou dans quelque autre que ce soit. J’ai trop fréquenté ce parti-là pour savoir qu’il n’en sera jamais question. Les péquistes sont juste ben opportunistes, pis ben électoralistes. Ils sont nationaleux, certes, mais pas racistes. Pis pour s’asseoir plus fermement dans les bancs du pouvoir, ben sont prêts à remuer, comme l’ADQ l’a fait jadis, la soupe de l’identitaire de marque Maurice Duplessis-le-provincialeux. Leur comportement est très peu édifiant, mais il n’est en rien raciste. Ça, c’est ben clair dans mon esprit.

Mais ils vont se rendre compte ben rapidement qu’il est fort compliqué leur plan, qu’c’est presque assuré qu’il ne verra pas le jour. Ça doit être en fait ce qu’ils souhaitent d’ailleurs, question de dire qu’avec une majorité ils auraient pu en faire plus (Que DIEU nous en préserve !) Mais si tout ce bordel leur assure une prise plus ferme sur le pouvoir en prévision des prochaines élections, alors ils se disent que le jeu en vaut quand même la chandelle. Diviser pour mieux régner, mais c’est qu’on a déjà vu neiger voyez-vous ! Et après ça on s’demande pourquoi les gens ont des haut-le-cœur en songeant à la vie politique de par ici.

Petite question que j’ose quand même leur adresser, bien modestement, à ces péquistes et leurs disciples à grandes dents pointues : on applique ça comment au juste, le contrôle alambiqué du religieux dans la vie de l’État ? Qui aura la responsabilité de se promener dans les bureaux afin de vérifier si les symboles respectent les normes péquistes ou pas ? « Tes boucles d’oreilles sont trop grosses, enlève-moi ça ! », « ton kirpan dépasse de ta salopette, cache-moi ça ! », « ton crucifix touche ton nombril, rentre chez toi ! ». Franchement ! On instaurera quand même pas un service du tonton macoute religieux, service qui entrerait en fonction à chaque nouveau jour qui s’lève de par ce beau pays endormi ! On n’est pas rendus là ! On ne s’y risquera quand même pas alors que le gouvernement lui-même n’est pas parvenu à démontrer que nous étions, au Québec, confrontés à un véritable très très très grave problème du religieux dans nos vies de p’tits soumis…Pis c’est certainement pas le ministre Drainville, lorsqu’il parle de l’islamisation de la métropole, qui m’en convaincra !

Mais bon, on me dit que tout ce dossier est une bonne façon de faire un pas de plus vers la république libre du Québec. Je me demande vraiment comment. Je dois être un épais de la pire espèce (chus d’plus en plus vieux, ça doit être ça mon problème), mais je comprends pas en quoi le fait de patauger dans l’identitaire nationaleux, comme Mario Dumont l’a fait auparavant, va donner le goût de la liberté aux gens d’ici, va leur faire croire qu’on se dirige vers un pays qui suscitera l’admiration des humanistes du monde. On me dit : « 70% des Québécois appuient ça », ça nous fait donc progresser vers le succès ultime. 70% des Québécois appuient la laïcité, appuient l’intégration harmonieuse des immigrants à la nation québécoise, oui, ben sûr, et j’en suis moi aussi. Mais ils n’appuient certainement pas à 70% une patente à gosse remplie d’exceptions qui semblent favoriser un clan du dieu inexistant plus que l’autre…Pis tant qu’à y être, arrêtez donc d’élaborer vos stratégies à partir d’un ou deux sondages. Je me rappelle qu’il y a un an vous étiez tous sûrs de l’effondrement dans l’urne du PLQ ; cette fois-là aussi, c’était un sondage qui vous convainquait de la chose ! Pis on voit aujourd’hui le résultat…

En fait, dans les circonstances actuelles de ce Québec qui cherche de nouveaux repères, le dossier de la charte va d’abord et avant tout faire suer les gens issus du Maghreb. Pis ça adonne qui sont capables de parler le français eux-autres. Il s’agit d’une communauté qui est travaillable pour le mouvement indépendantiste. Mais semblerait que ça ne soit pas passé par la tête de Pauline qu’en écoeurant cette communauté-là on se complique la vie pour la suite des choses, quand viendra le moment de récolter des appuis pour le Québec libre dans les communautés culturelles, le vrai grand dossier important il me semble. La patente de la charte, ça divisera aussi le Québec entre la métropole et les régions. Une fois qu’on sera tous divisés, ça va bien aller pour faire un pays (et ne venez pas me parler de la division du vote, c’est une critique à laquelle j’ai déjà répondu). Mais le pays prime-t-il vraiment sur le pouvoir dans la tête d’un péquiste du gouvernement ? Prime-t-il même sur l’identité dans la tête de ceux qui crachent sur les indépendantistes de gauche à qui ils reprochent de mettre le projet de société avant le pays !

À regarder tout ça évoluer, je demeure profondément convaincu que le dossier de l’identitaire nationaleux est un mauvais combat pour le mouvement indépendantiste, qu’on m’accuse ou pas de faire le jeu d’André Pratte, rien à foutre. Sur ce terrain, quoi qu’on fasse, on va toujours prêter le flanc à la critique fédéraliste facile qui aime tant nous faire passer pour une bande de racistes. Pis du moment qu’on s’dit prêts à arracher le hidjab de sur la tête des musulmanes tout en défendant notre crucifix au-dessus de la tête du président de l’Assemblée, ben m’semble que c’est ben difficile de se défendre le moindrement efficacement, et ce, même si je le répète, il n’y a rien de raciste dans ce plan de charte-là.

En ce qui me concerne, si je suis pour l’indépendance du Québec, c’est parce que je crois que c’est le seul moyen pour nous, Québécois, d’avoir notre mot à dire sur les affaires du monde, la seule manière de reprendre le contrôle de notre p’tit bout de planète qu’on doit faire évoluer dans le bon sens. En cela, les valeurs québécoises sont depuis toujours accrochées à la bonne place : solidarité, respect de l’environnement, pacifisme, tolérance, démocratisme et j’en passe. On doit continuer de miser sur ça, en conservant notre ouverture légendaire sur le monde. Ce n’est certainement pas en se retournant vers le pays de Duplessis qu’on cultivera notre compréhension de la différence des Autres pis qu’on fera la preuve que notre Nous n’est pas tricoté serré à la laine du pays de Maria Chapdelaine.

J’dis ça, mais chus quand même ben conscient qu’il nous faut demeurer vigilants, qu’il nous faille investir des efforts pour favoriser une bonne intégration des immigrants à la vie du pays, le nôtre. Ce qui veut dire que si je suis contre la charte du PQ, je suis également contre le multiculturalisme canadien. On a bien vu en Europe ce que cette recette multiculturaliste peut donner de mauvais. Que des bourgades carburant aux relents du passé qui ne savent plus comment se parler entre elles. Faut éviter ça au Québec, à tout prix. Et la meilleure manière d’y parvenir, c’est en investissant dans les programmes de francisation dans un premier temps. Après tout, c’est en se parlant qu’on se comprendra et qu’on parviendra à bien vivre ensemble. Et une fois qu’on vivra bien ensemble, sera plus facile de faire aboutir enfin le vrai programme important, celui du pays du Québec.

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