Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

COP15

Une COP15 chaotique qui en 24 heures aboutit en une accord « historique »

La défaite des pays du Sud par le capital instrumentalisant les Autochtones

Qui aurait parié que la COP15 sur la biodiversité, qui doit s’est terminée à Montréal ce lundi-ci (19 décembre), allait achoppé sur la question du financement n’aurait rien risqué.

La problématique du sprint final s’entend comme suit :

L’objectif principal de la conférence de Montréal est de conclure un accord sur la préservation de 30 % des terres et des océans du monde d’ici 2030. Mais la COP15 tente également de parvenir à un accord sur la manière dont cet objectif devrait être financé, et il y a un certain nombre de désaccords, notamment sur la création d’un nouveau fonds pour la biodiversité. Le Brésil et d’autres pays demandent aux pays développés de s’engager à verser de l’aide aux pays en voie de développement d’au moins 100 milliards de dollars américains par an, soit 1 % du PIB mondial, jusqu’en 2030. […] « Une grande partie de la perte de biodiversité dans les pays du Sud est causée par le mode de consommation des pays du Nord », alors « c’est une question de justice et de solidarité sociale » […]
Le montant de 100 milliards de dollars représente une fraction de ce qui doit être versé pour mettre en œuvre le cadre de travail qui est négocié à Montréal. La Convention sur la diversité biologique (CDB) de l’ONU évalue à 700 milliards de dollars américains par année le montant nécessaire au financement des activités économiques et des mesures de protection qui permettront de renverser le déclin de la biodiversité. De cette somme, 500 milliards de dollars proviendraient de subventions gouvernementales "nocives" qui seraient redirigées vers des activités et des mesures qui vont favoriser la biodiversité.
(La Presse canadienne, COP15 : Berlin et Kigali appelés en renfort pour dénouer l’impasse du financement, Radio-Canada, 15/12/22)

La réponse des pays du vieil impérialisme ne s’est pas fait attendre par la bouche du co président de la COP, le ministre de l’Environnement du Canada qu’ont appuyé ses collègues britannique et européen qui venaient d’arriver avec la centaine d’autres ministres de l’Environnement :

Les pays développés sont catégoriques sur le fait qu’ils ne peuvent pas tout financer. « C’est faisable, mais pas seulement avec de l’argent public », a déclaré M. Guilbeault en entrevue avec La Presse canadienne. Les pays développés comptent sur le financement du secteur privé et la philanthropie pour aider à combler l’écart, bien que M. Guilbeault ait reconnu que l’analyse de rentabilisation n’est pas aussi facile à faire pour conserver la nature que pour développer des technologies propres afin d’aider à ralentir le changement climatique. […]
Zac Goldsmith, le ministre britannique de l’Énergie, du Climat et de l’Environnement, a déclaré jeudi que pour mettre l’ampleur des besoins en perspective, le total annuel de l’ensemble des aides gouvernementales – pas seulement pour la nature et le climat – est de 160 milliards de dollars américains. « Donc, même si nous quadruplions toute l’aide mondiale et la mettions entièrement dans la nature, nous n’y arriverions toujours pas en matière de réduction de cet écart », a ajouté M. Goldsmith.
L’argent mis à part, il y a aussi un désaccord sur la manière dont les fonds seraient effectivement décaissés. Les pays développés veulent un nouveau fonds pour la biodiversité, car ils disent que les mécanismes existants sont trop lents. Les nations plus riches ne veulent pas créer un nouveau fonds. Virginijus Sinkevicius, le commissaire européen à l’environnement, a indiqué qu’il savait que le plus grand besoin était de rendre les flux financiers plus efficaces, mais cela ne nécessite pas nécessairement un nouveau fonds.
(La Presse canadienne, COP15 : les ministres tentent de faire avancer les négociations sur la biodiversité, Radio-Canada, 15/12/22)

Les pays riches, tout en faisant des aumônes, sèment la zizanie entre pays les pays du Sud

Comme la COP sur la biodiversité est beaucoup moins médiatisée que celle sur le climat — aucun chef d’État ne s’y est présenté sauf brièvement celui du pays hôte — la pression pour un financement autonome adéquat ne vient essentiellement que des ONG présentes hormis les pays du Sud. Comme les COP sur le climat ne sont pas encore venus à bout d’abonder au niveau de 100 milliards $US l’an à partir de 2020 le fonds en faveur des pays dépendants prévu pour la mitigation climatique, sans compter le nouveau fonds pour les pertes et dommages à pourvoir décidé par la COP27, celui pour la biodiversité semble hors course dès la ligne de départ. Ce n’est pas le coup anti-diplomatique du brusque départ de la salle de réunion d’une soixantaine de délégations de pays du Sud, sous le leadership du Brésil, qui changera la donne. Comme l’avoue la vice-secrétaire générales de l’ONU :

La vice-secrétaire générale des Nations unies a déclaré que la tension actuelle autour du financement public pour sauver la nature découle d’un « déficit de confiance », parce que les pays les plus riches n’ont pas tenu leurs promesses de financement envers les pays en développement dans le passé. (La Presse canadienne, Un « déficit de confiance » mine les discussions à la COP15, selon l’ONU, Radio-Canada, 16/12/22)

En plus, les pays du vieil impérialisme sont en mesure de semer la zizanie au sein des pays du Sud en distinguant, non sans raison, les pays émergents des autres pays du Sud :

Mais les riches pays donateurs d’Europe et du Nord s’opposent à la création d’un nouveau fonds. Ils disent que la Chine, le Brésil et d’autres grandes économies, qui ont connu une croissance substantielle au cours des 30 dernières années depuis que les traités environnementaux de l’ONU ont été conclus, devraient contribuer beaucoup plus. Le financement des donateurs de l’ONU pour la biodiversité est actuellement ciblé sur des régions clés pour protéger les écosystèmes vitaux et arrêter les dommages en cours. La Chine, le Brésil, l’Inde, le Mexique et l’Indonésie sont les cinq principaux bénéficiaires historiques du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et figureront parmi les cinq premiers pour le prochain cycle de financement de 5,3 milliards de dollars (4,3 milliards de livres sterling) de 2022 à 2026. Les nations riches en biodiversité d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine soutiennent qu’elles devraient obtenir plus d’argent pour payer la conservation. (Patrick Greenfield and Phoebe Weston,Walkouts and tensions as row over finance threatens to derail Cop15 talks, The Guardian, 14/12/22)

Pour faire bonne figure après la sortie fracassante de la soixantaine de délégations, « [j]eudi, 14 pays, dont la France et l’Allemagne, ont justement pris des engagements financiers qui totalisent quelques milliards de dollars. ‘’Mais il y a 31 pays qui contribuent à l’aide au développement. Où sont les autres ? Ils sont tous à la COP15, mais on attend toujours des engagements publics, ce qui fait douter certains pays par rapport à leurs intentions en matière de solidarité internationale’’, selon Eddy Perez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action-climat Canada. » (Alexandre Shields, Sprint diplomatique pour parvenir à un accord à la COP15, Le Devoir, 17/12/22)

Les pays africains rejettent l’accord final accordant une aide en bas du minimum vital

Sous un halo de victoire pour sauver la biodiversité de la planète, les pays du vieil impérialisme, de connivence avec les pays émergents, alliance symbolisée par la co-présidence Chine-Canada momentanément réconciliés pour les circonstances, ont réussi à imposer un consensus aux pays du Sud non émergents, notamment aux pays africains dont trois ont explicitement et fortement rejeté le consensus :

Le négociateur de la République démocratique du Congo a semblé bloquer l’accord final présenté par la Chine, déclarant à la plénière qu’il ne pouvait pas soutenir l’accord dans sa forme actuelle... [...] Cependant, quelques instants plus tard, le ministre chinois de l’environnement et la Cop15 le président, Huang Runqiu, a signalé que l’accord était accepté et convenu, et la plénière a éclaté en applaudissements. Les négociateurs du Cameroun, de l’Ouganda et de la RDC ont exprimé leur incrédulité quant à la mise en place de l’accord. La RDC a déclaré qu’elle s’était officiellement opposée à l’accord, mais un avocat de l’ONU a déclaré que non. Le négociateur du Cameroun l’a qualifié de « fraude », tandis que l’Ouganda a déclaré qu’il y avait eu un « coup d’État » contre la Cop15. (Patrick Greenfield and Phoebe Weston, Cop15 : historic deal struck to halt biodiversity loss by 2030, The Guardian, 19/12/22)

On comprend la frustration des pays du Sud non émergents quand on réalise que l’accord final censé être l’équivalent de l’Accord de Paris pour le climat aux dires des pays riches ne mettra dans la cagnotte qu’un ridicule 20 milliards $US d’ici 2025 lequel se haussera à 30 milliards $US de 2025 à 2030. On peut penser que ce sera encore moins quand on sait que l’actuel Fonds mondial pour l’environnement, dont le fonctionnement est jugé très déficient par les pays les moins développés car il bénéficie surtout aux pays émergents, et qui sera responsable des nouvelles allocations par un mécanisme formellement différent, débourse déjà une dizaine de milliards l’an pour la biodiversité. Parler de doublement et triplement comme le fait le ministre de l’Environnement du Canada ressort de la mystification.

Pour fin de comparaison, le programme de plantation de deux milliards d’arbres sur dix ans du gouvernement fédéral canadien est estimé à environ 2.5 milliards $US. On en réalise que les engagements financiers du Nord vers le Sud de l’Accord Kunming-Montréal sont une goutte d’eau dans la mer d’autant plus qu’ils impliquent « aussi les pays en transition » comme contributeurs. « Certainement dans la catégorie ennuyeuse mais importante, le monde dépense au moins 1,8 billion de dollars (1,3 billion de livres sterling) chaque année en subventions gouvernementales entraînant l’anéantissement de la faune et une augmentation du réchauffement climatique, selon une étude réalisée plus tôt cette année. » (Patrick Greenfield and Phoebe Weston, Cop15 : key points of the nature deal at a glance, The Guardian, 19/12/22)

Tel un hégémon au-dessus des flots tumultueux, les ÉU se lavent les mains de toute l’affaire

Toutefois, ce sont les États-unis qui par leur présence absente portent au comble le double jeu des pays impérialistes :

Les États-Unis, même s’ils ne font pas partie de la négociation, faute d’avoir ratifié la Convention sur la diversité biologique, jouent un rôle crucial dans l’équation financière susceptible de débloquer l’accord. « Nous avons réapprovisionné le Fonds pour l’environnement mondial cette année, la contribution américaine a été plus importante que jamais », a souligné lundi l’ambassadrice américaine pour l’environnement, Monica Medina. (Alexandre Shields, Le financement, nerf de la guerre pour préserver la biodiversité, Le Devoir, 14/12/22)
Voici deux faits extraordinaires concernant la convention sur la diversité biologique, dont les membres se réunissent actuellement à Montréal pour discuter de la crise écologique mondiale. La première est que, sur les 198 États du monde, 196 y sont parties. La seconde est l’identité de ceux qui ne le sont pas. Faites une supposition. Corée du Nord ? Russie ? Mauvais. Les deux ont ratifié la convention il y a des années. L’un est le Saint-Siège (le Vatican). L’autre est les États-Unis d’Amérique.
C’est l’un des nombreux traités internationaux majeurs que les États-Unis ont refusé de ratifier. Parmi les autres figurent des instruments cruciaux tels que le statut de Rome sur les crimes internationaux, les traités interdisant les bombes à fragmentation et les mines terrestres, la convention sur la discrimination à l’égard des femmes, la convention de Bâle sur les déchets dangereux, la convention sur le droit de la mer, l’interdiction des essais nucléaires traité, la convention sur la politique de l’emploi et la convention relative aux droits des personnes handicapées.
Dans certains cas, c’est l’un des rares à refuser : les autres sont généralement soit des États appauvris avec peu de capacité administrative, soit des dictatures vicieuses. C’est la seule nation indépendante sur Terre à ne pas avoir ratifié la convention relative aux droits de l’enfant. C’est peut-être parce qu’il est le seul pays à condamner des enfants à la réclusion à perpétuité sans libération conditionnelle, parmi de nombreuses autres politiques brutales. Alors que d’autres respectent les règles, la nation la plus puissante refuse. Si ce pays était une personne, nous l’appellerions un psychopathe. Comme ce n’est pas une personne, nous devrions l’appeler ce qu’elle est : un État voyou.
(George Monbiot, The US is a rogue state leading the world towards ecological collapse, The Guardian, 9/12/22)

Comme un train en cache un autre, le débat sur les fonds masquent celui sur les mesures

Le débat épique sur les fonds risque d’occulter maints points litigieux mais non moins cruciaux sur les 23 grands engagements en jeu dont les suivants :

Sur les subventions néfastes :

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, les gouvernements dépensent chaque année de 500 à 1000 milliards de dollars pour des « subventions néfastes pour l’environnement » dans les secteurs des pêcheries, de l’agriculture et des énergies fossiles. Un objectif débattu à la COP15 concerne la réduction ou l’élimination de ces subventions, possiblement d’ici 2030. (Alexis Riopel, Les principaux enjeux à surveiller à la COP15, Le Devoir, 15/12/22)

L’accord final (cible18) s’engage à « substantiellement et progressivement les réduire d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030 » ce qui paraît être une avancée majeure surtout quand on compare cet engagement à celui du soutien monétaire des pays riches à ceux pauvres. Selon l’ONU, ces dépenses néfastes pourraient être aussi élevées que 1 000 milliards $US dont les deux tiers pour le soutien à l’énergie, le tiers pour celui à l’agro-industrie et un résiduel pour les pêcheries commerciales (UNEP, State of Finance for Nature – 2022). On devine que cet engagement concerne une transition vers le capitalisme vert tout électrique, à bien distinguer d’une économie de prendre soin (care) à consommation réduite tant d’énergie que de matériaux, et vers la « nouvelle agriculture » (KPMG, La nouvelle génération de l’agriculture) à haute technologie à bien distinguer de l’agriculture biologique.

Sur les pesticides et engrais :

Pesticides, agriculture et pollution : Le texte négocié à Montréal évoque une réduction de deux tiers de l’utilisation des pesticides. Cette cible ambitieuse rencontre toutefois beaucoup de résistance : de nombreux pays, dont la Chine, l’Inde, la Turquie et le Mexique, s’y opposent. La Chine et le Japon s’opposent également à une proposition chiffrée au sujet des engrais. Dans l’ébauche d’entente, il est également question de favoriser le passage vers une agriculture « durable ». Selon le média spécialisé Carbon Brief, le Canada se serait opposé à une mention des régimes « à base végétale » dans le texte. (Alexis Riopel, Les principaux enjeux à surveiller à la COP15, Le Devoir, 15/12/22)

L’Accord final (cible 7), dit qu’il faut « réduire de moitié au moins le risque global lié aux pesticides et aux produits chimiques hautement dangereux, notamment grâce à une lutte antiparasitaire intégrée, fondée sur la science, en tenant compte de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance ». À remarquer qu’il n’est plus question des deux tiers et que la réduction de « moitié » s’applique aux « risques » et non à la quantité. Nuance ! Ce qui fait que « [l]es observateurs ont exprimé leur déception face au langage plus faible que prévu sur la consommation et l’utilisation des pesticides, deux facteurs importants de perte de biodiversité. » (Patrick Greenfield and Phoebe Weston, Cop15 : historic deal struck to halt biodiversity loss by 2030, The Guardian, 19/12/22) Quant aux engrais fossiles, il n’en est nulle question.

Sur l’utilisation des ressources génétiques :

Les données génétiques sont un enjeu majeur, mais méconnu, des négociations à la COP15. Les pays doivent se mettre d’accord sur une manière de partager les bénéfices issus des produits dérivés d’ADN prélevé dans la nature. Les industries alimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques sont en effet très intéressées par le génome des organismes. Différents systèmes de redevances sont considérés, mais les pays ne s’entendent pas pour l’instant. (Alexis Riopel,Les principaux enjeux à surveiller à la COP15, Le Devoir, 15/12/22)
Compte tenu de la progression exponentielle de la science génétique dans les dernières années, une mise à jour des règles du jeu s’impose. […] Déjà, le protocole de Nagoya, entré en vigueur en 2014, encadre le partage et l’accès aux ressources génétiques. Toutefois, il le fait sur une base matérielle : les pays doivent s’entendre lorsqu’un échantillon destiné à être séquencé en laboratoire traverse une frontière. Les technologies ont cependant évolué : il est maintenant possible d’extraire une séquence génétique grâce à un appareil portatif sur le terrain, puis de la téléverser sur Internet. Le protocole de Nagoya — ratifié par 137 parties, mais pas le Canada — s’adapte mal aux temps qui changent. (Alexis Riopel, Les données génétiques, un enjeu majeur – et méconnu – des négociations à la COP15, Le Devoir, 15/12/22)

Le mot « génétique » revient quinze fois dans le texte de l’Accord de 14 pages (But ‘C’ et cible 13) tellement il y a de gains pécuniers sous le tapis. Les journalistes experts du Guardian en concluent qu’« [à] Montréal, un accord a été trouvé pour développer un mécanisme de financement sur la DSI [information sur les séquences numériques] dans les années à venir, qui a été salué comme une victoire historique pour les États africains qui ont appelé à sa création avant le sommet. » (Patrick Greenfield and Phoebe Weston, Cop15 : key points of the nature deal at a glance, The Guardian, 19/12/22). Ma propre lecture n’y a vu qu’une expression de culpabilité vis-à-vis du savoir traditionnel autochtone lequel étalage n’engage cependant à rien de concret hormis des vœux pieux.

Sur l’exploitation des fonds marins :

Des scientifiques et des groupes écologistes ont profité de la tribune de la conférence de l’ONU sur la biodiversité (COP15) pour presser les États à fermer la porte à l’exploitation minière des fonds marins internationaux. Si certains semblent vouloir se rallier à cette position, le Canada, lui, confirme au Devoir qu’il reste ouvert à l’extraction, mais à condition qu’elle se fasse dans le cadre d’une « réglementation rigoureuse ».
La Deep Ocean Stewardship Initiative (DOSI), qui regroupe des experts des écosystèmes marins, a fait valoir dans le cadre de la COP15 qu’il serait pour le moins prématuré d’aller de l’avant avec des autorisations d’exploitation des ressources minières. […] La Deep Sea Conservation Coalition, qui plaide pour une meilleure protection de la haute mer, va plus loin dans ses mises en garde contre l’exploitation à des centaines, voire à des milliers de mètres de profondeur. Selon le regroupement, cette industrie provoquerait des pertes importantes pour la biodiversité marine et l’extinction d’espèces qui sont encore aujourd’hui méconnues.
(Alexandre Shields,Des groupes écologistes pressent les États à fermer la porte à l’exploitation minière des fonds marins, Le Devoir, 14/12/22)

L’Accord n’aborde pas ce point pour la plus grande satisfaction des transnationales minières et financières.

Sur les régimes alimentaires :

Le gouvernement canadien s’oppose à un passage du cadre mondial sur la biodiversité en vertu duquel les États devraient réduire l’empreinte carbone des régimes alimentaires et le gaspillage. C’est le cas d’un passage où l’on mentionne qu’il faudrait réduire de moitié l’empreinte carbone des régimes alimentaires et de la consommation par habitant. Le Canada est au nombre des pays qui s’opposent à l’adoption d’un tel libellé. […]
Le fait que les délégués s’attardent à la question des régimes alimentaires à la COP15 n’est pas étranger au fait que l’agriculture intensive, dont les populations dépendent pour se nourrir, soit une des plus grandes causes du déclin de la biodiversité. Les systèmes alimentaires sont responsables de 60 % de la perte de la biodiversité terrestre, de 24 % des émissions de gaz à effet de serre et de 33 % de la dégradation des sols sur le globe.
À l’instar du Canada, l’Argentine et le Paraguay – des pays où l’industrie de la viande est un pilier de l’économie – s’opposent eux aussi à la cible portant sur l’empreinte carbone des régimes alimentaires. Le Canada, qui produit environ 2 % du bœuf consommé sur la planète, fait en outre partie des plus grands exportateurs de viande rouge et de bétail au monde. À lui seul, le Québec est le troisième exportateur mondial de porc.
(Valérie Boisclair et Élisa P. Serret, COP15 : le Canada s’oppose à une mention sur l’empreinte des régimes alimentaires, Radio-Canada, 15/12/22)

L’Accord (cible 16) , demande de « réduire l’empreinte globale de la consommation de manière équitable, notamment en réduisant de moitié le gaspillage alimentaire mondial, en réduisant considérablement la surconsommation et la réduction substantielle de la production de déchets… » Cette rare cible chiffrée mérite d’être mentionnée même si l’appel à une agriculture compatible avec la biodiversité (cible 10) est d’une généralité sans effet pratique. Nulle part, il n’est question de régime carné, pourtant une cause clef dans la destruction des habitats.

Sur la santé :

Dans l’ombre des débats sur le financement à la COP15, des experts de la santé déplorent que la corrélation entre la protection de la biodiversité et les bienfaits pour la santé humaine soit trop peu abordée lors des négociations. La proximité avec la nature, rappelle-t-elle, réduit les risques de maladies, d’hypertension et de détresse psychologique, en plus de diminuer la sensation d’isolement. (Valérie Boisclair, La santé reléguée au second plan à la COP15 sur la biodiversité, Radio-Canada, 17/12/22)

La cible 12 de l’Accord malgré sa généralité qui n’engage à rien a au moins le mérite de mentionner la biodiversité urbaine dont les friches polluées pourraient bénéficier.

L’enjeu des 30% d’aires protégées reste la principale monnaie d’échange pour l’obtention de fonds

Tout de même, l’enjeu du 30% reste central mais il est loin d’avoir été réglé pour autant :

La principale autorité climatique mondiale, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a déclaré en février que la sauvegarde de la biodiversité nécessite que 30 à 50 % des terres et des mers de la Terre soient réservées à la nature. Certains écologistes pensent que les pays devraient viser le chiffre haut de gamme de 50 %. Karl Burkart, directeur adjoint de l’ONG One Earth, a comparé ce chiffre à la plus haute ambition de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. "Pour moi, 30% ressemble vraiment au 2C et 50% au 1,5C", a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse tenue vendredi au sommet. Un test clé de l’objectif 30x30 sera de savoir si les terres sélectionnées pour la protection sont ou non riches en nature pour commencer. Les pays ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la conservation doit se concentrer sur les « zones clés pour la biodiversité », les « zones d’importance écologique ou biologique », les « écosystèmes menacés » ou aucune des réponses ci-dessus. Les partis à Montréal ne sont pas d’accord non plus sur la question de savoir si l’objectif de 30 % devrait s’appliquer au monde dans son ensemble ou si chaque pays devrait être responsable de la protection de 30 % de ses terres.
L’un des plus grands problèmes entourant l’objectif 30x30 est ce qu’il signifie pour les droits des peuples autochtones, qui sont les gardiens d’environ 80 % de la biodiversité mondiale, mais seulement de 20 % de ses terres. Historiquement, la conservation a forcé les peuples autochtones à quitter leurs terres et causé d’innombrables violations des droits humains. Le texte actuel du cadre reconnaît les droits des peuples autochtones et le rôle essentiel qu’ils jouent dans la conservation, mais des questions subsistent quant à la manière dont cette partie de l’objectif sera mise en œuvre.
Les choses deviennent encore plus épineuses lorsque l’on considère comment l’océan s’intègre dans l’image de la conservation. Environ 60 % des mers de la Terre ne relèvent pas des juridictions nationales. Et l’organisme de l’ONU sur la nature n’a aucun pouvoir sur la haute mer, car les signataires du traité ne peuvent mener des actions qu’à l’intérieur de leurs propres frontières nationales.
(Daisy Dunne and Dr Giuliana Viglione, Should humanity set aside 30% of the Earth for nature alone ? One Cop15 plan says yes, Down to Earth — The Guardian, 13/12/22)

Si la cible du 30% (cible 3) a finalement été confirmée « en particulier [pour] les zones d’importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques » ce à quoi a été ajoutée une cible présumément différente de 30% (cible 2) pour la restauration de « zones d’écosystèmes terrestres, aquatiques intérieurs, côtiers et marins dégradés », elle ne s’applique pas à chaque pays mais à la terre entière dont la vaste zone de l’océan profond ce qui laisse place au défilement politique pour les pays récalcitrants.

Crises de la biodiversité et climatique se conjuguent l’une l’autre car la nature absorbe 50% du CO2

Étant donné l’intime relation entre crise climatique et celle de la biodiversité d’où la double priorité du Sommet de la terre en 1992, il est alarmant que la seconde soit à ce point marginalisée alors que plus de 50% du CO2 d’origine humaine est annuellement absorbé par la nature :

L’objectif principal des délégués à Montréal est de s’entendre sur un nouvel ensemble de règles pour protéger les écosystèmes, avec des objectifs qui doivent être atteints d’ici 2030. [...] C’est une tâche colossale. Les optimistes espèrent que le sommet produira quelque chose de semblable à l’accord de Paris, l’accord de 2015 qui a vu presque tous les pays promettre d’accroître leurs efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atténuer le changement climatique. Les pessimistes notent que rien de semblable n’a été réalisé en trois décennies de négociations internationales sur la biodiversité.
Les humains émettent environ 37 milliards de tonnes de dioxyde de carbone chaque année, ainsi que d’autres gaz à effet de serre. En absorbant le carbone, les plantes séquestrent 11 milliards de tonnes par an, tout en libérant de l’oxygène. 10 milliards de tonnes supplémentaires de carbone se dissolvent dans les océans.
En 1992, un immense « Sommet de la Terre » tenu à Rio de Janeiro a produit un trio de conventions de l’ONU pour faire face à un triptyque de calamités environnementales : changement climatique, biodiversité et désertification. [...] La biodiversité a été négligée.
(The Economist, Why is there another COP happening ?, 9/12/22)

Les ténors des pays du vieil impérialisme présentent l’Accord de Kunming-Montréal comme étant « historique » — mot dont l’abus devient sans limite — parce qu’équivalent à l’Accord de Paris sur le climat. D’un, ne faudrait-il pas se garder une petite gêne avant de faire une telle comparaison tellement ce dernier accord est insuffisant et galvaudé. De deux, le présent accord, malgré l’utilisation de quelques cibles chiffrées mais contournables, invite certes à une reddition élémentaire de comptes mais ne contient aucun mécanisme pour ce faire et encore moins une obligation, pas plus d’ailleurs que pour l’Accord de Paris.

La marchandisation de la nature par le capital financier risque de tirer son épingle du jeu

Deux jours avant l’échéance, la COP15 avançait à pas de tortue tellement elle paraissait dysfonctionnelle :

Même par les normes glaciales des négociations de l’ONU sur la biodiversité, la Cop15 a été lente. Nous avons progressé sur des parties de l’accord qui ne sont pas si controversées, mais nous avons laissé tous les aspects difficiles aux derniers jours d’un processus qui a duré trois ans. Derrière des portes closes, les pays semblent tout aussi dysfonctionnels. Le groupe africain semble non coordonné, les Latino-Américains semblent divisés, les Européens ne sont pas constructifs, les Canadiens n’ont pas été utiles dans les pourparlers et les Chinois sont silencieux. Mais c’était censé être le moment parisien de la nature et il semble que cette ambition soit repoussée dans les années 2030 et 2040. La Chine [présidant cette COP qui devait avoir lieu en Chine] ne fournit pas le leadership dont nous avons besoin pour une percée en ce moment. Elle a toujours été calme dans les négociations de l’ONU sur la biodiversité, mais ce n’est pas le rôle normal d’un président de COP.
(The Secret Negotiator, Cop15 was meant to be nature’s Paris moment, but Greta Thunberg’s ‘blah, blah, blah’ cry is proving right, The Guardian, 14/12/22)

Mais on peut toujours compter pour faire aboutir ce déroulement chaotique sur le capital financier aux aguets lequel peut compter sur des « amis » au sein des ONG :

Pour Tony Juniper, ancien vice-président des Amis de la Terre, […] les décideurs seront prêts à agir seulement s’ils comprennent bien que la protection de la biodiversité a une valeur économique. Selon les estimations actuelles, a insisté M. Juniper, les écosystèmes de notre planète offrent des avantages d’une valeur estimée entre 125 000 et 140 000 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de plus de 1,5 fois le PIB mondial. (Alexandre Shields, Le financement, nerf de la guerre pour préserver la biodiversité, Le Devoir, 14/12/22)

Comment expliquer en effet malgré un déroulement laborieux et lent déploré tant de l’intérieur, même par le ministre de l’Environnement canadien, que de l’extérieur par en particulier la jeunesse (Jean-Thomas Léveillé,Des jeunes pressent les pays de surmonter leurs désaccords, La Presse, 16/12/22), la COP15 se soit terminée à temps et en plus sur la base d’un document de travail à peine modifié présenté par la présidence 24 heures avant l’adoption du document final ? Il est pourtant clair que les exigences voulues par les pays du Nord, lesquelles sont contraignantes avant tout pour les pays du Sud débordants de biodiversité, ont été acceptées, à quelques exceptions africaines près, par ces derniers pays qui eux n’y ont pas trouvé leur compte en termes monétaires.

Le double jeu des pays émergents, dans l’antichambre de l’impérialisme ou en faisant carrément partie, y est certainement pour beaucoup. On peut aussi ajouter que les petits pays insulaires très contestataires lors des négociations sur le climat ont été discrets peut-être parce qu’ils ne sont pas techniquement en mesure de respecter la norme du 30% d’aires protégées. On peut faire l’hypothèse de la pesanteur des « milliardaires » dénoncés par le déploiement de banderoles quelques jours avant la fin de la COP (Lila Dussault, L’influence de milliardaires dans les négociations dénoncée, La Presse, 15/12/22). Ce sont eux qui sont en mesure de bénéficier de la richesse génétique de la biodiversité tropicale et ce sont aussi eux qui sont en mesure de profiter de la conversion de la nature en capital à protéger contre argent sonnant.

Il faut bien lire le libellé de l’Accord au sujet de l’appui financier, en particulier le surprenant 200 milliards $US venu de nulle part et qui n’a jamais fait problème :

Augmenter substantiellement et progressivement le niveau des ressources financières de toutes les sources, de manière efficace, opportune et facilement accessible, y compris les ressources nationales, internationales, publiques et privées, conformément à l’article 20 de la Convention, pour mettre en œuvre les stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité, d’ici 2030 en mobilisant au moins 200 milliards de dollars américains par an, notamment en : a) Accroissant le total des ressources financières internationales liées à la diversité biologique provenant des pays développés, y compris l’aide publique au développement, et des pays qui assument volontairement les obligations des pays développés faisant parti de l’Accord, aux pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, ainsi qu’aux les pays à économie en transition, à au moins 20 milliards de dollars US par an d’ici 2025, et à au moins 30 milliards de dollars US par an d’ici 2030 ;…

Une lecture attentive de ce charabia, qui n’est pas dû à sa traduction en français, indique la provenance entre autres privée non seulement de ce montant annuel de 200 milliards $US qui n’a jamais fait problème mais aussi — « y compris l’aide publique au développement » mais pas seulement — pour les politiquement litigieuses sommes de 20 puis 30 milliards $US.

L’Accord Kunming-Montréal fait certes la part belle aux peuples autochtones bien qu’ils n’aient pas eu voix au chapitre. Le mot « autochtone » (indigenous) est mentionné vingt fois dans ce document de 14 pages. On se dit que leurs connaissances de la nature et de ses « services » combinées à leur dénuement matériel et politique en font aux yeux des banquiers des proies faciles et utiles pour la mise en valeur et la protection du « capital-nature ». D’autant plus que ce ne sont pas les pingres États néolibéraux qui les soutiendront comme le démontre la citation précédente. C’est oublier leur résilience et leur combativité qui pourraient vaincre si les peuples « blancs » surmontaient leur racisme afin de les appuyer dans la rue et dans les urnes. Attendent-ils d’être au pied du mur pour le faire ?

Marc Bonhomme, 19 décembre 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarac@videotron.ca

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