Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

La grande bifurcation du mouvement souverainiste

À l’inverse, une victoire de PKP bloquerait automatiquement une telle entente, le camp autonomiste et conservateur continuant d’enfoncer le PQ dans un nationalisme de province qui ouvrirait plutôt la voie à une éventuelle alliance avec la CAQ. Ce scénario n’est pas à exclure étant donné que PKP irait chercher la base électorale de ce tiers parti en misant sur des promesses semblables (relancer l’économie d’abord pour ouvrir la question constitutionnelle ensuite), et en enterrant dans un premier mandat l’héritage « social-démocrate » et souverainiste du PQ.

(tiré du site Ekopolitica : http://ekopolitica.blogspot.ca/2014/11/la-grande-bifurcation-du-mouvement_13.html)

Comme la victoire du camp conservateur est plus probable, il faut anticiper un retour de la question identitaire et la polarisation majorité/minorités, nationalisme/pluralisme. Cela nuirait évidemment à la question de la souveraineté, alors la poursuite des mesures d’austérité mènerait à la dégradation des conditions matérielles de la majorité sociale. Les forces progressistes et souverainistes qui adhéraient jadis au PQ seraient encore plus désillusionnées, mais n’iraient pas forcément rejoindre QS si celui-ci ne développe pas une stratégie offensive lui permettant de sortir de l’antagonisme pro/anti Charte qui favorise nettement le Parti libéral au pouvoir.

Voilà l’alternative qui obligera la gauche à prendre position. Dans le premier scénario d’un PQ « progressiste et indépendantiste », QS serait sans doute porté, pour faire des gains et contribuer à l’avancement du Québec sur le plan social et national, de nouer une « alliance de circonstance » avec le PQ pour constituer une sorte de « Front populaire », basé sur des réformes sociales, la sortie du pétrole, la réforme du mode de scrutin et le déclenchement d’un processus constituant et/ou référendaire. Cela conduirait au virage « social-démocrate » des deux partis, ce qui aurait l’inconvénient de rendre QS indiscernable du PQ dans l’espace public, mais l’avantage de favoriser une convergence nationale des forces progressistes et souverainistes.

Pour illustrer une telle configuration politique par analogie avec la situation écossaise, QS représenterait en quelque sorte un mixte entre le Scottish Socialist Party et les Scottish Greens, à côté du Scottish National Party majoritaire (PQ). Une campagne référendaire pluripartisane, décentralisée, progressiste et inclusive permettrait alors de relancer la marche vers l’indépendance avec un projet de société, ce qui pourrait éventuellement mener à la victoire. En prenant plutôt l’exemple de la Catalogne, QS prendrait la place de la gauche républicaine (ERC) à côté du parti nationaliste de centre droit (CiU) dans un gouvernement de coalition avec le PQ. Il s’agit évidemment d’un scénario qui suppose une forte ébullition sociale et une résurgence d’une lutte populaire pour la libération nationale.

Comme PKP risque très probablement de devenir le prochain dirigeant du PQ, en mettant de l’avant les « intérêts économiques » du Québec et une protection des référents identitaires découplée de tout véritable projet politique ou transformation des institutions, QS devra se démarquer par un projet de pays démocratique, égalitaire, écologique et inclusif basé sur la souveraineté populaire. Le seul moyen de sortir du débat pro/anti Charte est de créer un nouvel antagonisme. Il s’agit de mettre le PQ/PLQ/CAQ dans le même bateau de la « caste », et de présenter QS comme le seul porte-parole de l’unité populaire.

Il s’agit d’unir les luttes sociales contre l’austérité et le virage extractiviste par l’investissement subversif du discours « anti-corruption », à la manière d’Amir Khadir et du rapport de QS présenté à la Commission Charbonneau qui dénonce le « complot criminel » entre les firmes de génie-conseil et les politiciens et propose une réforme légale visant à briser l’impunité des élites. Populisme ? Sans doute, mais au sens d’un républicanisme anti-élitiste ou d’une « machiavellian democracy » qui n’hésite pas à questionner l’absence de contrôles populaires sur le système politique. La refonte fondamentale de la démocratie représente le nerf de la guerre, et il n’y aura pas de rupture majeure tant que le peuple ne sera pas convaincu que l’action politique doit être le fruit de sa propre activité. Le pouvoir citoyen contre la caste, l’auto-émancipation populaire contre l’oligarchie sera l’antagonisme qui pourra condenser les multiples enjeux sociaux dans un même discours.

QS ne doit pas défendre la souveraineté dans sa forme vide ou un enjeu séparé, mais à l’aune d’un projet de transformation sociale qui devra aboutir à l’indépendance pour aller jusqu’au bout. Par ailleurs, la question constitutionnelle devra être contrôlée par les citoyens eux-mêmes ; c’est au peuple de décider de son avenir, et non à une petite élite politique de mener le débat public. Autrement dit, contre le « faux débat » de la Charte dirigé par la caste, QS propose un vrai débat populaire sur l’ensemble des questions cruciales qui touchent la vie concrète des gens : la forme du pouvoir politique, les droits sociaux, la gestion des ressources naturelles, le bien-vivre, l’usage du territoire, la décentralisation vers les régions, etc.

Voilà la stratégie que QS devra mettre de l’avant afin de sortir de l’éternelle opposition entre libéraux et péquistes, le bipartisme étant au service de la caste et du statu quo d’un régime illégitime. Comme PKP ira manger une partie de l’électorat de la CAQ (qui sera appelée à s’effondrer ou à s’allier au PQ autonomiste), QS pourra grossir ses rangs en prenant non seulement les forces de la rue (mouvements sociaux, forces citoyennes) mais les classes moyennes et populaires actuellement courtisées par la CAQ. Comme une majorité de personnes ne se reconnaissent pas directement dans les identités politiques de la gauche et la droite, QS pourra articuler son projet de société aux enjeux qui touchent de larges secteurs de la population : familles, CPE, développement local et régional, municipalités, régimes de retraite, etc.

En développant clairement l’antagonisme entre « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas », l’élite et la démocratie réelle, PKP pourra être identifié à la caste et l’austérité nationale. Si QS est capable de développer un discours contre-hégémonique sur l’inversion du fardeau fiscal, la transformation démocratique, la transition écologique et la souveraineté populaire, il pourra alors se présenter comme la seule alternative politique au système, et dépasser le populisme de la CAQ sur sa gauche avec une réelle force de frappe. Tel est le précepte de la Révolution citoyenne : ce n’est pas le peuple qui doit être subordonné à la caste politique, mais le pouvoir citoyen qui doit être au cœur des grands domaines de la vie sociale : répartition de la richesse, système politique, développement économique et débat constitutionnel.

Pour le meilleur et pour le pire, le scénario « social-démocrate » d’une convergence nationale découlant d’un virage progressiste et indépendantiste du PQ est fort peu probable. On assiste plutôt à une divergence croissante entre le système politique traditionnel et le peuple. Le PQ, comme la CAQ et les libéraux, vont continuer de nous enfoncer dans l’austérité, le virage pétrolier et la corruption, QS devant faire cavalier seul et devenir une force politique « anti-système » à la manière de Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce, les deux principaux mouvements de gauche radicale qui risquent de prendre le pouvoir en 2015. C’est le scénario du pire, mais c’est la pente sociohistorique sur laquelle nous sommes en train de glisser.

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