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La lutte contre l'inflation au Canada… pour les entreprises ou pour les travailleurs et les travailleuses ?

С’était d’abord Chrystia Freeland, la ministre des Finances du Canada, qui nous a dit qu’il s’agissait d’un problème mondial, presque hors de notre contrôle et que la responsabilité de lutter contre l’inflation incombait aux banques centrales. Maintenant, suivant l’exemple de Freeland, Macklem, governeur de la Banque du Canada, guide le Canada et les Canadien.ne.s dans un marais d e dislocation économique de plus en plus profonde.

23 septembre, 2022 | tiré de socialist.projet.ca
https://socialistproject.ca/2022/09/tackling-inflation-canada/#more

Les deux « expert.e.s » économiques ont mêlé cause et effet et la manière dont le l’économie fonctionne. Le rôle des sciences sociales est de déterminer ce qu’est exactement « cause » et ce qu’est « effet ». Si nous ne pouvons pas déterminer avec précision ce qui cause l’inflation, nous ne pouvons pas espérer la résoudre.

Nous connaissons certainement l’effet de la hausse des prix. Mais augmenter les taux d’intérêt n’est certainement pas le moyen de résoudre le dilemme de l’inflation. En fait, cela va très probablement aggraver les choses, accélérant une récession, tout en augmentant l’inflation.

Crise économique mondiale

Un premier examen de cause et d’effet doit commencer par regarder l’économie mondiale. Et en ce sens, Chrystia Freeland a partiellement raison. Mais encore une fois, Mme Freeland n’examine que quelques « effets » d’un nouveau paradigme économique mondial. La guerre en Ukraine, la pandémie et les chaînes d’approvisionnement mondiales en sont toutes des symptômes.

Le problème auquel sont confronté.e.s les banquiers centraux, banquières centrales est qu’ils et elles ne contrôlent pas l’économie réelle. Ils et elles ne contrôlent que la masse monétaire, bien qu’il s’agisse d’un outil important dans une économie de marché capitaliste, mais pas l’aspect central de la production et de l’échange de marchandises dont la valeur, le prix et l’argent (lui-même une marchandise universelle) doivent obéir.

Si la douleur aux pompes à essence et aux épiceries et des loyers et des paiements hypothécaires est palpable avec la hausse de l’inflation, l’augmentation des taux d’intérêt est sur le point de ressembler à un waterboarding (torture d’eau) économique.

Un sondage récent de propriétaires canadien.ne.s a indiqué qu’une augmentation encore plus importante des taux d’intérêt placerait un quart des prêts hypothécaires immobiliers « sous l’eau » ; et leurs propriétaires « seront obligé.e.s de vendre leur maison » (en supposant qu’ils et elles puissent alors trouver un.e acheteur.e). Pour aggraver les choses, les hausses de taux d’intérêt surviennent à un moment où l’endettement canadien et mondial est record : dette gouvernementale, d’entreprise, dette personnelle, étudiante et hypothécaire.

Dans un essai précédent, j’ai jugé nécessaire de remettre en question les hypothèses sous-jacentes de la doctrine capitaliste néolibérale sur l’inflation. Cette doctrine est largement diffusée par les têtes parlantes des médias de masse et par les économistes patronaux et patronales qui savent mieux ou devraient le savoir.

Leurs points de vue, malheureusement, s’enfoncent profondément dans notre conscience et nous font sombrer dans la passivité avec l’idée que rien ne peut être fait. Car nous devons choisir soit de voir nos salaires, traitements et pensions se déprécier (en tant que pouvoir d’achat), soit de tomber dans la récession et la misère supplémentaire du chômage pour les travailleurs et les travailleuses.

Aujourd’hui, les banques centrales d’Amérique, d’Europe et du Canada choisissent pour nous : nous sommes confronté.e.s à une récession imminente. L’ampleur de la récession reste un jeu de devinettes pour les expert.e.s patronaux et patronales en économie.

Les gouvernements des grandes entreprises soutiennent qu’ils ne peuvent rien faire parce que la cause de l’inflation échappe au contrôle du gouvernement. « De plus, » disent-ils, « la gestion de l’inflation relève de la responsabilité des banques centrales, qui opèrent indépendamment du gouvernement. L’inflation est donc votre seule responsabilité, M. Macklem », disent les « expert.e.s ». Et ils et elles se demandent si la Banque du Canada n’a pas attendu trop longtemps pour commencer à relever les taux d’intérêt.

Juste pour que nous soyons clair.e.s, l’une de ces « expert.e.s », Chrystia Freeland, notre ministre des Finances, et Premier ministre en attente, a livré précisément cette prescription, comme prévu, au sujet de l’inflation au Empire Club le mois dernier, signalant à Macklem que la flambée de l’inflation était désormais sa responsabilité. Mais les arguments de Freeland sur les causes de l’inflation et sur la seule fonction de la banque centrale de contrôler l’inflation sont faux.

Malheureusement, M. Macklem est tombé dans le rang. Son discours du 13 juillet, prononçant une hausse supplémentaire de 1% des taux d’intérêt, est précisément le « water-boarding économique » dont les Canadien.ne.s ont été averti.e.s le mois dernier. Tout aussi inquiétant pour la plupart des travailleurs et travailleuses, M. Macklem dit qu’il n’a pas fini d’augmenter les taux, alors qu’il essaie de faire la course « en avance sur la courbe d’inflation ».

Montée en flèche des taux d’intérêt

Sa logique pour une hausse aussi draconienne des taux d’intérêt est la suivant. Ce sont ses mots exacts :

« Premièrement, l’inflation est trop élevée, et de plus en plus de gens s’inquiètent du fait que l’inflation élevée est là pour rester. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. Le rétablissement de la stabilité des prix – une inflation faible, stable, et prévisible – c’est primordial.

« Deuxièmement, l’économie canadienne est en surchauffe. Il y a des pénuries de main-d’œuvre et de nombreux biens et services. La demande doit ralentir pour que l’offre puisse rattraper son retard et que les pressions sur les prix s’atténuent.

« Et troisièmement, notre objectif est de ramener l’inflation à son objectif de 2%, avec un atterrissage en douceur de l’économie. Pour ce faire, nous augmentons rapidement notre taux d’intérêt directeur afin d’empêcher une forte inflation de s’enraciner. Si c’était le cas, il serait plus douloureux pour l’économie – et pour les Canadien.ne.s – de faire reculer l’inflation. »

Pour résumer, la solution de la Banque du Canada à une inflation élevée est le choix entre beaucoup de douleur aujourd’hui ou bien pire demain. J’en suis respectueusement en désaccord et je suggère que ce que propose Macklem sera beaucoup plus douloureux aujourd’hui et encore plus douloureux demain. Son raisonnement est faux sur pratiquement tous les points.

Sa prémisse sur la cause de l’inflation est fausse. Et par conséquent, sa solution d’augmenter les taux d’intérêt doit être fausse. La pensée de Macklem et de Freeland a comme but de discipliner la classe ouvrière du Canada, qui pourrait penser que des augmentations salariales importantes sont justifiées.

Comme nous l’avons appris il y a quatre décennies, lorsque nous avons été frappé.e.s par la stagflation (une économie stagnante avec une inflation continue), les travailleurs et travailleuses doivent se préparer à ce qui vient ensuite et aux théories du cycle coût/poussée, selon lesquelles les salaires font monter les prix, ce qui est suivi de plus d’augmentations salariales et de plus de hausses de prix.

Cette théorie est également fausse, mais elle a été utilisée il y a quarante ans par une précédente administration, celle de Pierre Trudeau.

Les prémisses sur lesquelles la banque centrale fonde ses actions ne résistent pas à l’examen de ce qu’elles feront à la société, et plus particulièrement aux travailleurs et travailleuses.

Premièrement, l’économie est-elle en surchauffe et est-il possible d’entrer en récession en même temps que nous avons un marché du travail tendu ? C’est ce que disent les grand.e.s économistes patronaux et patronales. L’histoire nous dit que la réponse est « bien sûr, il est possible que les taux de chômage soient bas au début d’une récession. » Les chiffres du chômage sont toujours en retard par rapport à la phase de boom du cycle économique, juste avant l’atterrissage brutal.

De plus, les statistiques officielles ne disent pas la vérité sur le pourcentage d’adultes en âge de travailler qui travaillent réellement (« attachement à la population active », un euphémisme économiste pour désigner le marché du travail), ni le nombre de travailleurs et travailleuses qui occupent désormais plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.

Peu importe comment les économistes (par exemple, l’ancienne présidente de la Fed américaine, Janet Yellen, et le lauréat du prix Nobel et chroniqueur du New York Times, Paul Krugman) évitent désormais soigneusement de parler de la définition technique utilisée autrefois d’une récession (deux trimestres consécutifs de PIB négatif), comme d’un gage de la santé de l’économie, la réalité est sombre. Ces mêmes individus soulignent maintenant d’autres considérations pour savoir si nous nous dirigeons ou non vers une récession.

La réalité dit aux travailleurs et travailleuses que nous entrons déjà dans un gouffre économique encore plus profond, et les actions de la banque centrale, face aux conditions mondiales, sur lesquelles ils et elles n’ont aucun pouvoir, garantiront, non pas un « atterrissage en douceur », mais plutôt un atterrissage extrêmement dur et un trou beaucoup plus profond pour les travailleurs et les travailleuses et leurs communautés.

Ce de nombreux et nombreuses économistes traditionnel.le.s colportent maintenant, c’est que, s’il s’agit de choisir entre une récession et une inflation élevée, la récession, malgré la douleur qu’elle causera, est la voie à privilégier.

Alors qu’ils et elles espèrent que les banques centrales parviendront à bien calibrer les hausses de taux d’intérêt afin que la récession ne soit pas trop profonde, ils et elles ne savent tout simplement pas, ou ne veulent pas savoir, comment gérer l’inflation.

Ce problème d’inflation découle d’une économie de marché, étroitement contrôlée par une poignée d’oligarques, dirigée par l’industrie des combustibles fossiles qui manipule ou profite des pénuries d’approvisionnement et des demandes de la société. Aller cap à la main à la famille royale saoudienne, comme l’a fait le président américain il y a deux semaines, pour plaider pour la libération de plus de pétrole était un choix raté. Il en va de même pour l’extraction de combustibles fossiles et la construction de pipelines au Canada.

Les gouvernements, y compris les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada, peuvent faire quelque chose contre la mainmise des oligarques nationaux et nationales sur l’économie. C’est une question de volonté politique et de changement du rapport de force entre eux et le peuple.

« Lutter contre l’inflation jusqu’au sol », avec des hausses de taux d’intérêt ruineuses pour des individus et pour des pays déjà fortement endettés, a signifié que des gens et des pays entiers ont fait faillite. Les banques mexicaines refusent toujours de prêter de l’argent pour l’achat d’une maison, après la faillite financière de ce pays. Merci à vous, M. Volker !

Permettez-moi d’offrir ces éléments historiques de contexte sur l’inflation et la stagflation à partir de notre histoire ouvrière. Voici comment un chercheur syndical a situé la question de l’inflation du milieu à la fin des années 1970 après que le Congrès canadien du travail a appelé un million de travailleurs et travailleuses canadien.ne.s à debrayer le le 14 octobre 1976 pour protester contre le contrôle des salaires.

Le directeur de la recherche, Eric G. Adams, dans un résumé de son rapport à son syndicat, United Electrical and Machine Workers (UE), intitulé « Comprendre l’inflation », avait ceci à dire :

« Le système capitaliste ne fonctionne pas bien, non seulement au Canada, mais dans tout le monde capitaliste. L’inflation et le chômage sont la preuve de troubles internes. Bien que l’inflation ait été pratiquement latente pendant de longues périodes dans le passé, les conditions d’après-guerre ont permis à la maladie de l’inflation de faire surface dans de nombreux pays et de persister obstinément.

« Ce qui semble distinguer l’inflation actuelle, c’est le pouvoir et l’efficacité croissants des « faiseur.e.s de prix » des entreprises sur les marchés importants. Nous datons l’ère contemporaine de l’inflation au Canada au milieu des années 1950, après l’accalmie qui a suivi le boom de la guerre de Corée. Pendant une décennie, l’inflation a augmenté régulièrement à un taux moyen inférieur à 2 % par an. Puis il a commencé à accélérer, atteignant deux chiffres en 1974. Les résultats sont devenus si graves pour tant de gens que l’inflation a pris des implications morales et sociales, ainsi qu’économiques.

« L’évolution des conditions dans la période d’après-guerre a facilité le développement et la propagation de l’inflation. Mais les conditions ne doivent pas être confondues avec les causes. La responsabilité première de la hausse des prix repose sur les « décideur.e.s » patronaux et patronales. Les politiques gouvernementales, cependant, ont renforcé et légitimé leurs actions, et les gouvernements n’ont pas fait grand-chose pour alléger le fardeau de la malheureuse majorité, qui sont inévitablement des « preneur.e.s de prix ».

Trop familier ! Alors que le jeune Trudeau lit le livre de jeu proposé par les oligarques patronaux et patronales de l’époque, utilisé par son père et transmis à son ministre des Finances, Macklem est pleinement approuvé par les oligarques mondiaux actuels du Canada et de l’Ouest.

Mais augmenter les taux d’intérêt, non seulement ne guérira pas l’inflation. Cela l’aggravera plutôt, soulevant le spectre de la poursuite de l’inflation, parallèlement à une économie stagnante, c’est-à-dire la « stagflation ». Cette fois-ci, la stagflation sera plus désastreuse et plus blessante parce que le capitalisme mondial est dans une crise plus profonde à bien d’autres égards - le climat, la santé, et une guerre laide apparemment sans fin en Ukraine, alors que les oligarques se battent pour la suprématie.

Dans une économie capitaliste, où le profit est roi et où l’offre et la demande régissent les prix, où la demande est élevée et l’offre faible, les prix et les bénéfices sur un marché contrôlé par des entreprises monopolistiques sont conçus pour monter, monter, monter, selon ce que le marché supportera, certainement pas tempéré par les banques centrales jouant avec les taux d’intérêt !

Politiques de prix monopolistiques

Cette spirale inflationniste soudaine n’est pas causée (comme l’a souligné Eric Adams il y a 40 ans) par des problèmes d’offre et de demande, mais plutôt par des politiques de prix monopolistiques, créant ou profitant des réalités de l’offre et de la demande. Mais il ne doit pas en être ainsi.

Les gouvernements pourraient intervenir pour empêcher les prix abusifs. Mais Macklem, Freeland, Trudeau, Biden et les gouvernements du grand capital ne veulent pas opter pour la seule solution possible à l’inflation. De plus, ils et elles continueront dans cette folie jusqu’à ce que les gens insistent pour qu’ils et elles s’arrêtent et prennent des mesures significatives.

Maintenant, les Conservateurs, Conservatrices attaquent les Libéraux et Libérales en disant que le gouvernement imprime « trop d’argent ». Imprimer trop d’argent peut contribuer à l’inflation, en particulier dans une économie qui ne se développe pas. Mais les Conservateurs et Conservatrices parlent vraiment de coupes dans les services et de discipliner la classe ouvrière de manière encore plus draconienne.

Alors que les Conservateurs, Conservatrices et les Libéraux, Libérales s’affrontent, ils et elles espèrent que le débat ignorera les énormes profits extraits des pompes à essence et des gigantesques chaînes d’épicerie et de vente au détail, la véritable cause sous-jacente de l’inflation.

George Hewison est un communiste, un organisateur syndical de longue date, et un ancien officier de son syndicat, United Fishermen and Allied Workers Union sur la côte ouest du Canada. Il embrasse l’activisme politique et social dans l’intérêt de la justice sociale et du changement social fondamental.

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