Édition du 3 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

La naissance d’un nouveau mouvement syndical à Hong Kong – Des manifestations de rue spontanées à la création de syndicats

Pendant plusieurs mois en 2019, les médias du monde entier ont fait presque tous les jours leur une sur le mouvement contre la loi d’extradition de Hong Kong. Cependant, vers la fin de l’année, lorsque la violence de rue s’est calmée et que les violentes batailles dans deux universités se sont soldées par la défaite des étudiant.es et de leurs partisan.es, les médias internationaux ont semblé se désintéresser de ce sujet.

tiré de : Entre les lignes et les mots Lettre n°34 - 15 aout 2020 : notes de lecture, textes, vidéo et pétition

L’attention mondiale s’étant déplacée ailleurs, certain.es ont pensé que le mouvement était mort de mort naturelle. Mais tel n’était pas le cas.

C’est dans ce cadre que cet essai reprend le récit des évènements. A ce moment-là, le mouvement a pris une nouvelle direction : des militant.es ont commencé à créer des syndicats et à effectuer une transition vers un mouvement organisé naissant.

La façon de faire face aux désaccords au sein du mouvement

Dans le sillage du Mouvement des parapluies, qui a pris fin en 2015, une multitude de petits groupes et de partis politiques ont vu le jour aux côtés des « anciens » partis politiques pro-démocratie appartenant à diverses tendances politiques. Cette prolifération a entraîné une concurrence et une fragmentation, qui ont à leur tour sapé l’efficacité de l’activité politique.

Tirant leçon de cela, le mouvement contre le projet de loi d’extradition, qui a commencé pour de bon en juin 2019 et qui a fini par drainer [le 9 juin] environ un million de personnes dans les rues, a fait preuve d’une solidarité sans faille jusqu’à ce jour. Les divergences ont été mises de côté, et le mouvement s’est regroupé autour de trois grands principes cohérents.

1) Le premier principe est résumé par le slogan omniprésent « Cinq revendications, pas une de moins », un ensemble suffisamment large de revendications pouvant convenir à toutes les tendances politiques.

2) Le second principe est un pacte incarné par le dicton « frères gravissant une montagne, chacun fait de son mieux » (兄弟爬山, 各自努力), ce qui signifie que chacun.e adopte la stratégie qu’il/elle juge la meilleure pour atteindre l’objectif sans critiquer ou intervenir dans les actions et les stratégies des autres. Cela a permis de réunir les deux blocs clés du mouvement de protestation : la « Faction des vaillants » (勇武派) et la « Faction pacifique, rationnelle et non-violente » (合理非派).

* La première faction est composée principalement d’étudiant.es et de jeunes prêt.es à affronter la police.

* La seconde est composée de personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas s’engager dans la violence en première ligne. Ils/elles jouent plutôt un rôle de soutien à l’arrière, par exemple en fournissant des moyens matériels, en organisant ou en participant à des rassemblements, en s’associant à des activités pacifiques comme « Déjeunons ensemble » (和你lunch) ou « Chantons ensemble » (和你sing), en collectant des fonds, en rejoignant des chaînes humaines et en participant à une myriade d’autres actions innovantes.

Pour symboliser l’unité de but de ces deux âmes du mouvement, un nouveau caractère chinois a même été inventé de manière ludique, combinant des éléments des caractères « pacifique » (禾) et « vaillant » (勇).

(3) Le troisième principe était un accord selon lequel il n’y a « pas de grande table », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de dirigeant.es assis.es autour d’une table pour décider de l’orientation du mouvement.

N’importe qui pouvait faire des propositions – en fait, n’importe quelle idée et n’importe quel type d’action

– à tout moment et n’importe où par l’intermédiaire de la plateforme de médias sociaux Telegram, qui ne nécessite aucun enregistrement du nom réel des utilisateurs/trices.

Comme le dit le slogan « Be water », ce mouvement était censé « être de l’eau », c’est-à-dire non planifié, imprévisible, fluide et spontané, une forme de guérilla urbaine avec des manifestant.es surgissant et disparaissant soudainement dans des centres commerciaux et des stations de métro.

Dans le même temps, les grands rassemblements organisés par les partis pro-démocratie et les organisations bien établies ont continué à regrouper beaucoup de monde.

La marche de deux millions de personnes qui a eu lieu le 16 juin 2019 a été la plus grande expression de la force de l’unité.

Comme des mois d’actions de rue n’ont pas obtenu de concessions des autorités, une partie du mouvement de protestation a pris une nouvelle direction, plus formelle et organisée, et a commencé à créer des syndicats indépendants, qui sont pour l’instant de petite taille.

Pendant trois semaines en janvier, j’étais à Hong Kong pour faire des recherches sur ces syndicats naissants.

* À cette occasion, j’ai mené des entretiens à plusieurs stands de recrutement que des bénévoles de ces nouveaux syndicats avaient installés devant les stations de métro, les carrefours de rues animées et à l’entrée des hôpitaux pendant les pauses déjeuner, après le travail et le week-end.

* J’ai rencontré les membres nouvellement élu.es des comités exécutifs (ou préparatoires) de certains des nouveaux syndicats, assisté à quelques sessions de formation au droit du travail organisées par les syndicats, et rencontré des universitaires de Hong Kong ainsi que des animateurs/trices d’associations tournées vers le monde du travail (Labour NGOs).

* J’ai également interrogé des animateurs/trices des centrales syndicales existant à Hong Kong.

Depuis janvier, je me tiens au courant des événements par le biais des médias sociaux et de conversations en ligne.

Hong Kong est une plaque tournante commerciale mondiale dominée par des croyances au libre marché, et ayant une culture syndicale relativement faible.

Le mouvement syndical en place

HKFTU (Fédération des syndicats de Hong Kong) :

C’est la plus grande centrale syndicale, avec 253 structures affiliées et 420 000 membres.

Elle est bien dotée en ressources et largement contrôlée par le gouvernement de Chine continentale en tant que partenaire de la centrale syndicale officielle (ACFTU) qui est une organisation de masse subordonnée au Parti communiste chinois et seul syndicat légalement autorisé à exister en République populaire de Chine (RPC).

Tout comme son partenaire sur le continent, HKFTU fonctionne comme organisation d’aide sociale, distribuant de l’argent et de l’aide à ses adhérent.es pro-Pékin.

HKTUC (Conseil des syndicats de Hong Kong et Kowloon)

C’est un regroupement syndical concurrent ayant une longue histoire. Il avait historiquement des liens politiques avec le régime du Kuomintang de Taïwan, et est maintenant en fort déclin.

HKTUC et HKFTU ont souvent agi davantage comme les bras politiques de leurs mentors que comme des syndicats.

HKCTU (Confédération des syndicats de Hong Kong)

C’est aujourd’hui, la centrale la plus active en matière d’organisation des salarié.es et d’aide aux conflits du travail. Elle a été créée en 1990 et compte aujourd’hui 160 000 membres appartenant au 61 syndicats affiliés.

Dans la mesure où elle n’est pas directement associée à un parti politique, il s’agit d’une centrale syndicale indépendante qui se situe politiquement dans le camp des pro-démocrates.

Les nouveaux syndicats

Ils ont demandé l’aide et les conseils de HKCTU, bien que les dirigeant.es de cette centrale aient résisté à l’idée de jouer un rôle de leader à leur égard, car ils/elles hésitent à être perçu.es comme intervenant dans ce nouveau mouvement syndical apparu spontanément.

Les nouveaux syndicats ayant émergé au cours de l’année écoulée n’étaient pas issus d’une politique traditionnelle de syndicalisation. Ils sont au contraire nés des revendications de changement politique en soutien au mouvement de protestation, sans aucun programme concernant les conditions de travail ou les salaires.

Les premier.es organisateurs/trices bénévoles étaient issu.es de secteurs professionnels tels que la finance, la comptabilité, la médecine, la santé, le travail social et l’éducation.

Des infirmières/iers, des médecins, des ambulanciers/cières ainsi que des reporter.es présent.es en première ligne des affrontements, ont vu à plusieurs reprises des manifestant.es être gravement blessé.es par la violence de la police. Ils/elles ont même vu des membres des forces de sécurité se précipiter dans les hôpitaux pour exiger d’interroger les manifestant.es blessé.es et accéder à leurs dossiers personnels.

Des membres de ces professions ont eux/elles-mêmes subi des tirs de gaz lacrymogène, été aspergé.es de gaz poivre et battu.es pour avoir essayé d’aider des blessé.es et des traumatisé.es présent.es en première ligne. Certain.es d’entre eux /elles ont également été troublé.es par le fait que, sur leurs lieux de travail, des responsables pro-establishment harcelaient celles et ceux qui osaient manifester leur soutien au camp pro-démocratie.

Se sentant vulnérables, en colère et exaspéré.es, participant à des discussions, physiquement et par le biais des réseaux sociaux, ces personnes ont commencé à rechercher le soutien de leurs collègues au sein de leurs milieux professionnels respectifs, là où elles pouvaient partager des expériences communes et faire entendre leur voix.

Un début de structuration

L’appel d’étudiant.es et d’autres jeunes à lancer une grève générale dans le cadre des protestations est devenu le catalyseur de la formation de nouveaux syndicats.

Déçu.es que leurs manifestations de rue « be-water », organisées de manière fluide, n’aient pas permis d’obtenir de concessions du gouvernement de Hong Kong, ils/elles ont fait appel aux médias sociaux début août 2019 pour implorer l’ensemble de Hong Kong d’organiser une « triple grève » (三罢), appelée ainsi parce qu’elle était censée impliquer des salarié.es, des étudiant.es et des entreprises.

Le 5 août, jour choisi pour la grève, quelque 600 000 personnes ont participé à des rassemblements organisés dans différents quartiers de la ville. Les sympathisant.es participant aux manifestations ont refusé de se présenter au travail ou se sont fait porter malades.

Une fois sur les lieux des rassemblements, certain.es des manifestant.es se sont organisé.es en par profession ou par métier. Cela s’est avéré être une occasion de discuter entre eux/elles de la stratégie de participation aux manifestations sur la base de l’appartenance professionnelle.

Un appel à une deuxième « Triple grève » a été lancé pour le 2 septembre, mais cette fois seulement 40 000 personnes ont participé au principal rassemblement. La peur de mécontenter leur employeur en avait dissuadé beaucoup d’autres.

Dans son discours lors du rassemblement, Carol Ng, présidente de HKCTU, a qualifié les groupes disparates présents de « secteurs » (界别) parce que l’idée de former de nouveaux syndicats n’existait pas encore parmi eux.

Cependant, certain.es des participant.es ont commencé à discuter de la possibilité de créer un moyen de se protéger du harcèlement et des représailles de la direction par la création d’un groupe de soutien collectif. Cela a conduit à la formation d’un « comité préparatoire de lutte intersectorielle » (跨界 别 抗争 预备 组) et à une première discussion sur la formation de syndicats.

Fin octobre, après la mort suspecte d’un étudiant de l’Université de Hong Kong tombé d’un parking à plusieurs étages, des militant.es en colère ont voulu déclencher une nouvelle grève générale.

Des affiches ont été diffusées à Hong Kong, dont une dramatique qui disait : « Je suis prêt à prendre une balle pour vous. Êtes-vous prêt à faire grève à ma place ? » (https://madeinchinajournal.com/wp-content/uploads/2020/07/chan_1-723×1024.jpg). Cette troisième « triple grève » a finalement eu lieu le 11 novembre dans de nombreuses parties de Hong Kong et s’est terminée par des blocages routiers et des violences.

À ce moment-là, une nouvelle structure parapluie appelé « Front unique pour une triple grève de deux millions » (二 百万 三 罢 联合 阵线), est apparue sur les réseaux sociaux en publiant des informations sur la formation de syndicats et partageant de nouvelles idées sur les stratégies possibles. Cette structure a fait valoir, qu’une grève générale devait être mieux organisée au niveau du lieu de travail et devait être suffisamment massive et forte pour forcer la main au gouvernement de Hong Kong. Depuis lors, le groupe est devenu une organisation faîtière pour le nouveau mouvement syndical à Hong Kong.

La première tâche urgente des syndicats naissants était de recruter davantage de membres. Pour attirer davantage l’attention du public, les syndicalistes ont mis en place des « stands syndicaux communs » (联合 跨 站), chacun hissant le drapeau de son syndicat.

Lors d’un rassemblement de masse le 1er janvier 2020 dans le district de Wanchai, les syndicats émergents ont coordonné leurs activités et des représentant.es d’un certain nombre d’entre eux se sont réuni.es pour faire une photo, chacun arborant le drapeau de son propre syndicat et tenant une bannière commune portant le slogan « Les syndicats résistent à la tyrannie » (工会 抗 暴政) (https://madeinchinajournal.com/wp-content/uploads/2020/07/chan_2-1024×538.jpg).

Comme la plupart des membres fondateurs des nouveaux syndicats n’avaient qu’une faible connaissance du syndicalisme ou de la législation du travail en vigueur, ils/elles ont commencé par inviter des avocats spécialisés dans le droit du travail et des dirigeant.es de la centrale HKCTU pour animer des séminaires et des sessions de formation.

Selon le droit du travail de Hong Kong, les grèves politiques sont illégales, et la compréhension de la légalité des grèves et de la manière d’élaborer des stratégies est donc devenue une préoccupation majeure. En outre, grâce aux sessions de formation et au processus d’enregistrement de leurs syndicats auprès du gouvernement, les organisateurs/trices ont été face pour la première fois à divers aspects des droits sur le lieu de travail, y compris les droits syndicaux.

Progressivement, la motivation pour la création de syndicats est devenue multidimensionnelle, plutôt que concentrée uniquement sur le soutien aux grèves politiques. En plus des cinq grandes revendications politiques, les tracts des syndicats incluaient des revendications sur la réduction du temps de travail, une augmentation du salaire minimum, de meilleurs avantages sociaux, des primes plus équitables et, surtout, le droit à la négociation collective.

De manière inattendue, les nouveaux syndicats qui se sont organisés et enregistrés en premier représentaient les professions de « cols blancs », comme le syndicat des comptables, le syndicat du secteur financier, le nouveau syndicat de la fonction publique et les syndicats du secteur de la santé.

Lorsque j’ai déclaré : « Je suis surprise que vous soyez intéressés par la création d’un syndicat puisque vous êtes de la classe moyenne et non des travailleurs/euses d’exécution », plusieurs personnes interrogées m’ont répondu : « Non, nous sommes des travailleurs/euses ».

L’une d’entre elles a même souligné : « Il n’existe que deux types de personnes – les patrons et les travailleurs/euses. Nous sommes des travailleurs/euses ».

La question du logement

Parfois, sans qu’on le leur demande, les personnes interrogées ont fait part de leurs sujets de mécontentement. Le logement était un sujet de récrimination récurrent.

Lorsque des appartements de 50 mètres carrés coûtent jusqu’à l’équivalent de 500 000 euros, même ceux qui ont un diplôme universitaire ne peuvent pas se permettre de louer, et encore moins d’acheter une maison. Au cours des deux dernières décennies, alors que le coût de la vie ne cessait d’augmenter et que les inégalités se creusaient, les personnes les plus qualifiées de la classe moyenne ont commencé à se considérer comme appartenant à la classe ouvrière.

La santé et la sécurité au travail

Lorsque le coronavirus a commencé à se propager à Hong Kong, les employé.es du secteur de la comptabilité envoyés par leurs cabinets pour auditer les entreprises clientes en Chine se sont plaint.es sérieusement du manque de considération pour leur sécurité au travail.

Enfin, certaines personnes se sont plaintes à moi que leur propre secteur économique était de plus en plus dominé par des entreprises appartenant à la République populaire de Chine, ou que sur leur lieu de travail, les Hongkongais.es devaient rivaliser pour les emplois et les promotions avec des immigrant.es diplômé.es du continent, et que leurs patrons favorisaient le personnel chinois en raison de leurs liens avec les entreprises du continent.

La participation des syndicats à la politique électorale

Fin novembre, les syndicats naissants se sont fixé un nouvel objectif après que le camp pro-démocratique ait remporté, de manière inattendue, une victoire écrasante aux élections des Conseils de district, en remportant 17 des 18 Conseils de district de Hong Kong.

Dans le passé, le camp pro-démocratie n’avait jamais sérieusement participé à ces élections locales, considérant les Conseils comme impuissants et ne valant pas la peine d’investir du temps et de l’argent.

Depuis 2007, les Conseils étaient dominés par le camp pro-establishment, mais fin 2019, après 6 mois de manifestations de rue, la canalisation des énergie vers la politique électorale est soudainement devenu une option. Le triomphe des élections de district a été un grand coup de fouet pour le moral des troupes.

Le mouvement de protestation ayant gagné cette élection, il devenait envisageable qu’il soit en mesure de remporter un nombre significatif de sièges lors des deux prochaines scrutins :

* D’abord pour le Conseil législatif de Hong Kong (LegCo), partiellement élu. Ce scrutin étant [initialement] prévu en septembre 2020 ;

*Et deuxièmement pour le comité qui sera chargé du choix de le/la chef.fe de l’Exécutif, prévu en juin 2021.

Certains des sièges de ces deux organismes sont attribués à des syndicats, dans le cadre de la « circonscription socio-professionnelle » correspondante.

Pendant des années, ces sièges ont été dominés par la centrale HKFTU (pro-Pékin) qui, comme nous l’avons déjà dit, compte un grand nombre d’affilié.es. Avant 2019, HKCTU (pro-démocratie) n’avait pas fait beaucoup d’effort pour organiser et enregistrer de nouveaux syndicats pour rivaliser avec HKFTU au sein de ces circonscriptions socio-professionnelles, et ce pour plusieurs raisons.

* Premièrement, HKCTU ne disposait pas les moyens de concurrencer HKFTU, et considérait donc toute tentative en ce sens comme une perte de temps. En tant que syndicat, elle préférait donner la priorité aux questions relatives au lieu de travail et à la protection des droits des salarié.es, deux aspects que la centrale pro-pékin HKFTU avait toujours négligé.

* Deuxièmement, le territoire étant dominé par une idéologie capitaliste néolibérale, les Hongkongais.es avaient jusqu’alors montré peu d’intérêt pour le syndicalisme. Une animatrice de HKCTU a fait remarquer qu’au début du mouvement de protestation contre le projet de loi d’extradition, peu de manifestant.es étaient intéressé.es à prendre les tracts qu’elle distribuait.

De façon surprenante, la procédure pour former un nouveau syndicat à Hong Kong est simple. La condition minimale est que sept personnes se présentent au ministère du travail pour demander l’enregistrement d’un nouveau syndicat, formé soit par métier, soit par secteur, soit par profession.

Ces sept premières personnes doivent remplir des formulaires indiquant la mission du nouveau syndicat. L’obtention de l’agrément officiel prend généralement un mois ou deux. Une fois approuvé, les fondateurs/trices doivent tenir une assemblée générale pour élire un comité exécutif et le nouveau syndicat est alors officiellement enregistré. Ces syndicalistes m’ont assuré que le personnel du ministère du travail était coopératif et qu’ils/elles n’avaient pas rencontré de difficultés lors de l’enregistrement. Cette facilité d’enregistrement explique la prolifération des syndicats contestataires nouvellement enregistrés en quelques mois seulement. En fait, certain.es militant.es ont lancé un programme appelé « 7 UP », dans le cadre duquel ceux qui pouvaient rassembler sept personnes pouvaient demander à créer un syndicat.

Les gouvernements de Hong Kong et de Chine étaient trop confiants dans le fait que le camp pro-Pékin continuerait à monopoliser la scène syndicale, car les Hongkongais.es n’avaient jamais manifesté beaucoup d’intérêt pour l’adhésion aux syndicats.

La première des deux prochaines élections était celle du Conseil législatif [initialement] prévue pour septembre 020. En ce qui concerne les circonscriptions socio-professionnelles, le secteur du travail se voit attribuer trois sièges sur 35, qui, comme je l’ai mentionné plus haut, ont toujours été dominés par le camp des pro-Pékin.

Comme chaque syndicat dispose d’une voix selon un système « le gagnant remporte le tout », cela signifie que si le camp démocratique n’augmente pas le nombre de syndicats pro-démocratie, le camp pro-Pékin, qui compte le plus grand nombre de syndicats, remportera à nouveau les trois sièges du LegCo.

Malheureusement, pour avoir le droit de vote, un syndicat doit avoir été créé au moins un an avant l’élection. Comme la vague de création de syndicats n’a véritablement commencé qu’en octobre/novembre 2019, cela signifie que les nouveaux syndicats n’étaient pas autorisés à voter lors des élections [initialement] prévues en septembre 2020.

Malgré cela, 735 demandes d’enregistrement de syndicats ont eu lieu entre juin 2019 et février 2020, suivies d’un autre « tsunami » de demandes depuis lors. Selon les données officielles du ministère du travail, au cours des trois premiers mois de 2020, il y a eu 1 578 demandes, contre seulement 10 à 30 les années précédentes.

Bien que de nombreux nouveaux syndicats ne pouvaient pas participer aux élections [initialement prévues] en septembre, ils pourront voter en juin 2021 pour le comité électoral. Ce dernier, qui compte 1 200 sièges, votera à son tour pour le/la chef.fe de l’Exécutif de Hong Kong en 2022.

Le secteur socio-professionnel du travail se verra attribuer 70 sièges. Là aussi, plus il y aura de syndicats pro-démocratie, plus ils auront de chances d’obtenir une majorité.

Malheureusement pour les pro-démocratie, le camp pro-Pékin s’est également lancé dans une course à la création de nouveaux syndicats. La possibilité pour les pro-démocratie de gagner une part raisonnable des 70 sièges dépendra de la capacité des différentes tendances du mouvement à se coordonner pour éviter de se concurrencer.

Il convient également de mentionner qu’à côté de la création de nouveaux syndicats, une campagne extrêmement bien organisée est en cours pour augmenter le nombre d’inscriptions sur les listes électorales.

Un test pour la solidarité syndicale

Fin janvier 2020, s’est posée la question de savoir si les dirigeant.es des nouveaux syndicats apparus lors des manifestations – des personnes qui, quelques mois auparavant, n’avaient qu’une faible compréhension du syndicalisme – pouvaient résister aux pressions politiques et patronales.

Le coronavirus se propageait rapidement en Chine continentale et commençait à pénétrer à Hong Kong, qui n’était pas préparée à repousser la pandémie. Les hôpitaux manquaient de lits, d’équipements de protection individuelle, ainsi que de personnel.

À cette époque, le tout nouveau syndicat HAEA (Health Authority Employees Alliance), qui avait recruté activement des nouveaux membres et comptait alors 18 000 syndiqué.es sur les 80 000 membres du personnel médical et sanitaire de Hong Kong, a demandé au gouvernement de fermer la frontière avec la Chine, craignant que les hôpitaux du territoire ne soient débordés, ce qui mettrait le personnel de santé en danger. En d’autres termes, la mobilisation portait sur une question de santé et sécurité au travail, l’un des principaux problèmes sur lesquels les syndicats se concentrent généralement.

Le 31 janvier, Carrie Lam a refusé, déclarant que cela constituerait une discrimination à l’encontre des citoyen.nes de la République populaire de Chine.

Le comité exécutif de HAEA était dirigé par une jeune présidente qui a ouvertement admis que, seulement six mois plus tôt, elle ne se souciait que de profiter d’une bonne vie et n’avait aucune idée du syndicalisme. Elle a proposé de s’engager dans une grève en deux étapes. Le 2 février, avec 3 123 votes positifs sur 3 164 votant.es, le vote des membres de HAEA a été presque unanime en faveur de cette proposition. Plus de 50 syndicats ont alors manifesté leur soutien au HAEA, et le 3 février, premier jour de grève, 7 000 membres de HAEA ont participé à celle-ci – soit 17 % du secteur médical hospitalier de Hong Kong.

Le même jour, Carrie Lam a annoncé que tous les postes frontières avec le continent, sauf trois, seraient fermés, avec quelques restrictions à l’entrée par d’autres canaux. Mais elle a refusé de modifier davantage sa position.

Lorsque la première étape de la grève s’est terminée au bout de cinq jours, la HAEA a demandé un second vote sur la poursuite de la mobilisation. Faire grève pose toujours un dilemme moral intense aux professionnel-les de santé. Cette fois, alors que seule une partie de leurs revendications avait été satisfaite, sur les 7 000 personnes ayant participé au vote, 60% ont voté contre la poursuite de la grève. Le mouvement a été alors arrêté.

Cela a néanmoins constitué un succès partiel puisque Carrie Lam a ordonné la fermeture de la plupart des points d’entrée à Hong Kong depuis la Chine. La grève a été une première action impressionnante, menée par une nouvelle génération de dirigeant.es syndicaux qui ont rapidement appris à s’organiser et, surtout, étaient très attaché.es à la démocratie syndicale.

Bien que, par rapport à d’autres régions, Hong Kong ait été capable de contrôler assez bien la pandémie, les mouvements de rue y ont diminué à mesure que le coronavirus continuait à se répandre. Les nouveaux syndicats ont continué à recruter des membres et à faire des préparatifs en vue des prochaines élections.

Entre-temps, comme la répression s’est poursuivie sur les lieux de travail, les syndiqué.es ont rapidement demandé l’aide des syndicats. C’était particulièrement le cas dans le secteur de l’éducation, où les enseignant.es sont de plus en plus soumis.es à des pressions pour accepter de nouveaux programmes scolaires pro-Pékin, harcelé.es, voire licencié.es pour avoir soutenu le mouvement pro-démocratie et pour ne pas avoir découragé leurs élèves d’y participer.

Cependant, cette nouvel intérêt portée aux questions liées au lieu de travail n’a pas modifié l’agenda politique.

Le 20 juin, 30 syndicats se sont associés pour organiser un référendum visant à obtenir l’accord de leurs membres pour une nouvelle grève générale de protestation contre le projet de Pékin de promulguer une loi de sécurité nationale pour Hong Kong.

Un nouveau slogan reflétant l’identité collective des nouveaux syndicats de Hong Kong est apparu : « Pour libérer Hong Kong, rejoignez le syndicat ; la révolution syndicale pour résister à la tyrannie » (光复香港,加入工会 ; 工会革命, 对抗暴政).

Sur les 9 000 syndicalistes qui ont voté, 95% ont dit oui. Cependant, étant donné le taux élevé d’abstention, la grève a été annulée.

Après cela, les syndicats ont déplacé le centre de leurs activités vers les élections primaires organisées par le camp pro-démocratie pour décider qui devrait se présenter aux élections du LegCo [initialement prévues] en septembre. Le 11 juillet, 600 000 personnes ont voté pour élire leurs candidat.es préféré.es dans le secteur socio-professionnel auquel elles appartiennent.

Au moment où ces lignes sont écrites [15 juillet], les votes sont encore en cours de dépouillement, mais il y a au moins un signe encourageant pour les syndicats. La présidente de HAEA, qui avait organisé la grève en janvier, a remporté une victoire écrasante, avec 2 165 voix sur 2 856, contre 186 voix pour le député sortant du secteur des services de santé.

Si on lui permet de se développer et de mûrir, l’action collective organisée pourrait avoir un avenir, surtout maintenant que la « faction vaillante » a renoncé aux prouesses dont elle a fait preuve antérieurement.

Quelle prochaine étape ?

En résumé, lorsque le gouvernement de Hong Kong n’a pas cédé aux mobilisations pro-démocratie, une partie du mouvement de protestation a fait émerger un mouvement syndical, en créant de nouveaux petits syndicats. Contrairement au mouvement de rue délibérément sans chef, ce nouveau virage a signifié qu’il était nécessaire de prendre une voie institutionnelle qui nécessite une planification, une organisation et même un lien avec la politique électorale.

Deux stratégies sont désormais menées en parallèle :

* le mouvement de rue faisant face à la police,

* le deuxième mouvement mettant en place des structures institutionnelles organisées – dont des syndicats.

Ce mouvement à plusieurs facettes n’a pas créé de divisions au sein du mouvement de protestation. Le recours au slogan populaire « ce sont des frères gravissant une montagne, chacun faisant de son mieux »a clairement exprimé la position adoptée : toutes les trajectoires sont jugées bénéfiques à la réalisation des objectifs du mouvement.

Dans cette ascension [de la montagne], cette partie du mouvement, qui ne faisait que formuler des revendications politiques, se tourne progressivement vers des revendications sur les conditions de travail, les salaires, les primes et la stratégie de chaque profession, tout en cherchant à faire entendre sa voix dans le système politique défectueux de Hong Kong.

Cependant, avec l’adoption de la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong le 1er juillet, Hong Kong est devenue du jour au lendemain une société de non-droit. En raison de l’oppression directe exercée par Pékin, l’émergence de ce mouvement syndical pourra-elle être autre chose qu’un feu de paille ?

Anita Chan

Originaire de Hong Kong, Anita Chan est universitaire en Australie. Ses recherches portent notamment sur le monde du travail chinois.

NB : traduction de l’anglais par l’Union syndicale Solidaires, ni relue ni validée par l’auteure. Une partie des sous-titres ont été modifiés ou ajoutés.

https://madeinchinajournal.com/2020/07/15/from-unorganised-street-protests-to-organising-unions/

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article54328

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